Cela nous avait frappés, un ex-collège et moi, quand nous avions rendu visite à Albert Ladouceur à sa résidence, dans un quartier cossu de la banlieue de Québec, en août 2013, quelques jours après qu'un verdict de cancer du pancréas lui soit tombé dessus.

Il avait tout pour être heureux dans une maison toute neuve et judicieusement décorée. L'endroit était spacieux et accueillant. L'aménagement paysager de la cour arrière était une invitation à la détente avec ses deux patios et ses meubles chaleureux.

Le genre de cour où un vieux routier du journalisme, toujours excité par l'écriture, pouvait se réfugier pour pondre de nouvelles histoires. Sa compagne Céline, qu'il allait épouser un mois plus tard dans un décor enchanteur de Baie-Saint-Paul, s'inquiétait de son état, allant même jusqu'à se demander s'il allait tenir bon jusqu'au jour du mariage.

Mettez-en qu'il a tenu bon. Près de deux ans, en fait. On savait Albert pince-sans-rire, blagueur, rieur, joueur de tours. Avec lui, tout était prétexte pour faire rire son entourage. Ce qu'on ignorait, c'est qu'il était aussi tout un bagarreur.

À l'occasion d'une réception civique à l'hôtel de ville de Québec, précédant le lancement de son livre « Déjoué par le cancer », il avait fait la promesse à son hôte, le maire Régis Labeaume, d'être sur place à l'occasion de l'ouverture du nouvel amphithéâtre, le 15 septembre prochain. On a tous fait semblant de le croire à ce moment-là. Pourtant, il a bien failli y être.

Je vous rappelle qu'il s'agissait d'une vicieuse forme de cancer réputée pour remporter toutes ses batailles dans un délai relativement court.

Au début, il affirmait souvent qu'il allait mourir. Il le disait avec une certaine désinvolture, de sorte qu'on ne savait trop s'il était convaincu de cette affirmation qui nous chagrinait. C'était l'évidence même qu'il allait mourir un jour, mais on aurait préféré qu'il voie l'urgence de se battre. Peut-être s'exprimait-il ainsi parce qu'il ne savait trop comment réagir devant la terrible maladie. Quand on n'est jamais passé par là, on ne peut pas savoir.

Quand son désarroi nous nouait la gorge, il pouvait y aller d'une bonne blague pour alléger l'ambiance. Durant cette visite chez lui, alors qu'on se demandait si on le rencontrait pour la dernière fois, il nous avait fait une curieuse démonstration de son humour particulier en marchant dans son salon, les bras en croix. « Je me prépare à voler comme un ange », avait-il dit en riant de bon cœur. On avait ri jaune.

Il n'y a aucun doute que l'écriture de « Déjoué par le cancer » a contribué à prolonger son existence. Après avoir mis son statut au Journal de Québec en veilleuse afin de consacrer toutes ses énergies à cette bataille, c'est comme s'il y avait vu une chance providentielle de retourner à l'écriture. Il s'y est consacré énergiquement en donnant l'impression d'oublier qu'il était en pleine bataille contre le sujet de son bouquin.

À l'heure du lancement, la tournée des médias du Québec a eu l'effet d'une puissante dose d'adrénaline sur lui. Albert était heureux à Québec. Il est le seul journaliste de l'écrit à avoir couvert les premier et dernier matchs des Nordiques. Durant les dernières années de sa carrière, son journal avait fait de lui un columnist, une assignation qu'il avait acceptée avec fierté. Malgré tout, il a toujours souffert de ne pas avoir bénéficié d'une visibilité provinciale. Si bien qu'il a retrouvé un enthousiasme quasi juvénile quand l'ensemble des médias du Québec l'a accueilli en entrevue.

Les images se bousculent

Le décès d'Albert nous ramène aux beaux jours de la couverture des Nordiques qu'il a effectuée avec son inséparable partenaire de l'époque, Claude Cadorette. Ces deux-là n'étaient pas que des journalistes affectés aux activités de l'équipe chou chou de la ville. On avait l'impression qu'ils s'aimaient comme des frères. Cadorette est malheureusement décédé dans un accident de la route au début des années 90.

Son fils Stéphane est aujourd'hui le chroniqueur de football du journal qui a fait les beaux jours de son père. Il ne cache pas être chamboulé par toutes sortes d'émotion en ce moment. Les images se bousculent dans sa tête. L'historique de la relation entre Albert Ladouceur et son père ressasse chez lui des souvenirs impérissables.

« J'avais deux ans quand mon père et Albert ont commencé à se partager le boulot à la couverture des Nordiques. J'en avais 17 quand mon père est décédé. J'ai fait mon entrée au journal à 24 ans. Je pense à tout cela en ce moment. Ça brasse des émotions pas très agréables », admet-il.

Stéphane Cadorette n'est pas le seul à être secoué par le départ d'Albert qui comptait beaucoup d'amis dans la confrérie et dans la communauté de Québec. Quand l'annonce de son cancer a été divulguée, il était fier de dire qu'il a reçu 1 367 messages d'encouragement du public. Personne n'a vraiment été surpris qu'il les ait comptabilisés jusqu'au dernier.

Albert n'a pas eu une enfance facile après avoir perdu sa mère à l'âge de cinq ans. Il a grandi sans frère ni soeur. Il a perdu une première femme décédée d'un cancer. Il a manqué d'amour dans certaines périodes de sa vie, de sorte qu'il ressentait parfois le besoin d'être rassuré. Il voulait être aimé de ses proches, apprécié de ses lecteurs et estimé de ses confrères. Au cours des derniers moments de sa vie, les témoignages qu'il a reçus lui en ont donné l'assurance.

Il peut maintenant dormir en paix.