Conte de Noël
$content.firstChildCategorie mercredi, 9 juil. 2014. 23:17 dimanche, 25 déc. 2011. 19:16Malgré le temps sec et froid qui colle les narines, le soleil est présent en ce bel après-midi du 24 décembre. Presque toute la famille est arrivée à la salle communautaire du village. Presque, parce que Léopold n’est pas encore là. Tous l’attendent avec impatience, puisque si la fête annuelle a lieu, c’est grâce à lui et à Berthe. Malheureusement, Berthe n’est pas de la partie depuis environ une décennie. Mais Léopold, fier de ses 86 ans, est toujours très motivé à festoyer avec ses 10 enfants, ses 26 petits-enfants et une poignée d’arrière-petits-enfants. Malgré toute la bonne volonté du vieil homme, il joue de plus en plus un rôle d’observateur en raison de sa santé qui se détériore.
Tous l’attendent pour commencer à fêter, mais surtout, pour que la partie de hockey se mette en branle. À chaque année, les 5 frères affrontent les 5 beaux-frères avec pour seul équipement – autre qu’un bâton de hockey et une balle de tennis – des bottes, un manteau, un foulard, une tuque et des mitaines. Normalement, la partie se termine quand les joueurs ont trop froid ou quand ils sont rendus trop mous par le p’tit punch fourni par la snoro de tante Gisèle…
L’équipe gagnante reçoit la Coupe Léo, remise en l’honneur de celui qui se fait attendre. Chaque frère, ou beau-frère, a le droit de l’exhiber dans son salon pendant deux mois. Les deux autres mois de l’année? La Coupe Léo repose sur la télé de Léopold! Ça lui rappelle que dans quelques semaines, il verra toute sa famille ensemble et ça lui fait chaud au cœur.
Vers 15h00, Léopold et son trophée se font escorter de la voiture de sa plus jeune fille. Dès que son pied droit touche la neige, les hommes procèdent à la mise au jeu…
Que la partie commence!
Devant le filet de l’équipe des frères, il y a Germain; celui qui chiale contre les gardiens du Canadien depuis les années 80. Tous y ont goûté, de Patrick Roy jusqu’à Carey Price. À chaque arrêt, il se vante d’être meilleur que le portier du tricolore.
À la défense, il y a Carol. Le plus jeune des frères joue beaucoup du bâton et agace ses adversaires. Il fait plusieurs blagues et n’arrête jamais de parler. C’est le P.K. Subban de l’équipe.
Son partenaire est Marcel, le plus vieux des frères. Il est un peu plus lent, mais il joue de façon intelligente et fait toujours de belles passes. Un vrai Nicklas Lidstrom.
À l’attaque, Claude est le meneur de jeu. C’est un grand sportif qui combat l’adversaire… et le froid. Il n‘a pas de foulard et joue avec son manteau ouvert! Heureusement qu‘il a son col roulé comme Tomas Plekanec!
De tous les frères, Raymond est le marqueur naturel. Celui qui complète toutes les séquences. Il se démarque près du filet adverse et attend une passe pour tirer aussitôt. C’est à croire que Steven Stamkos a copié sur lui!
Chez les beaux-frères, Guy est le gardien. Lors de la première partie de la Coupe Léo, il avait volé la vedette avec des arrêts spectaculaires, mais depuis quelques années, c’est laborieux. Une carrière calquée sur celle de Steve Mason des Blue Jackets.
Pierre a beaucoup de motivation, mais un talent limité. Il compense en étant toujours accroupi près de son gardien pour bloquer la balle. À 6 pieds 3 pouces, il est intimidant, mais doux comme un agneau. Un Hal Gill tout craché!
Jean est l’autre élément des tours jumelles qui composent la défense des beaux-frères. Contrairement à Pierre, il utilise sa taille pour brasser un peu les autres, tout comme le fait Zdeno Chara à Boston.
Si la défense est forte, l’attaque est plus faible. Rodrigue est rapide comme l‘éclair, mais a de la difficulté à marquer. Un peu comme Scott Gomez.
Yvan est, quant à lui, un bon manieur de bâton et a un bon tir, mais semble quelques fois désintéressé. Son style nonchalant déplait aux autres beaux-frères, mais ils doivent faire avec. L’an dernier, pour rire un peu, les frères lui ont acheté un chandail du Canadien avec Kostitsyn écrit dans le dos…
Pendant que les hommes redeviennent des enfants à l’extérieur, les vrais enfants veulent faire comme leurs oncles, mais à l’intérieur. Armés de petits bâtons en plastique et d’un haki, les jeunes jouent à ce qu’ils appellent le « p’tit hockey » dans un coin de la salle communautaire. Normalement, la joute se termine quand les tantes le décident. Souvent, c’est parce qu‘un cousin s‘est fait mal parce qu’il a été poussé par un autre. Ou parce que ce qui fait office de rondelle a touché une assiette de salade de patates.
L’équipe qui gagne la partie de « p’tit hockey » ne reçoit aucun trophée; juste le choix entre se servir en premier dans le buffet ou recevoir ses cadeaux en premier. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’est souvent l’alléchante tourtière et les œufs cuits durs qui l’emportent sur les jouets! Visiblement, le Père Noël ne fait pas le poids devant une belle grande table remplie de bouffe.
45 minutes après que la semelle droite de Léopold et la neige se soient rencontrées, les hockeyeurs adultes mettent fin à leur duel. Résultat final : frères 14 – beaux-frères 10. Pour les amateurs de statistiques, 9 bières, 16 verres du « punch à Gisèle » et 3 café alcoolisés ont été consommés. Disons simplement que le jeu était décousu! Plus tard en soirée, les frères recevront officiellement leur 4e Coupe Léo consécutive; une vraie dynastie!
Pour ce qui est des jeunes, le match a duré environ une heure. Il est assez facile de dire quelle équipe est la gagnante, mais pour le compte final, c’est plus ardu. L’une des deux équipes a visiblement marqué plus de but que l’autre, mais combien? Chaque enfant a un verdict différent! Ce qu’on sait toutefois, c’est que les gagnants mangeront en premier et que la partie s’est arrêtée quand David a poussé son cousin Guillaume contre un mur et que ça a fait un trou. Aussitôt, la sirène (les cris des tantes) s’est fait entendre!
Avant que les délicieux mets soient pris d’assaut, Léopold fait la bénédiction. La prière traditionnelle terminée, il annonce qu’après le festin, tout juste avant que le perdants du « p’tit hockey » commencent à déballer les cadeaux, il remettra un prix à tous les joueurs et à tous les spectateurs. Bref à tout le monde.
Pendant le souper, tous essaient de découvrir le fameux prix. Léopold garde bien son secret en engouffrant plusieurs betteraves marinées pour éviter de trop parler…
Environ deux heures plus tard, 5 frères un peu titubants et avec le ventre plein soulèvent la Coupe Léo au bout de leurs bras. Puis, de façon aussi naturelle que bizarre, les cris laissent place à un silence qui remplit la salle communautaire. Léopold, de sa faible voix gutturale, prend la parole. Il dévoile son mystère.
« Mes enfants, ce soir, je vous donnerai un prix. En fait, je vous lègue une partie de mon héritage. Ce soir, je donne à chacun de vous… un billet pour aller voir une partie des Canadiens! On ira tous ensemble!»
Aussitôt, des exclamations se font entendre et des larmes, autant de joie que de tristesse envahissent les visages de certains. Le silence d’il y a quelques minutes est officiellement disparu pour le reste de la soirée. C’est la cacophonie totale! Les invités sont incrédules. Ce n’est que lorsque Léopold sort une grosse enveloppe pleine de 41 billets pour un match des Canadiens qu’on y croit. Tout le monde est heureux! C’est le plus beau cadeau de Noël de leur vie.
Mais dans le fond, Léopold veut se faire un cadeau à lui-même. Il réalisera l‘un de ses vieux rêves : transporter la force qui unie chaque membre de sa descendance jusqu‘aux abords de la patinoire montréalaise. Peu importe le résultat final, ce sera le meilleur match des Canadiens de toute l’histoire.
Parce que Léopold sait que trop rapidement à son goût, il sera rappelé dans la grande ligue. Il ira rejoindre sa défunte femme dans la ligue des étoiles…
*
Je vous invite à vous procurer mon plus récent ouvrage intitulé : Le vol de la Coupe Stanley