L'avancement de la race chevaline est en perte de vitesse, pour ne pas dire au point mort. Finies les courses à l'Hippodrome. Sur le site des écuries, une odeur de charnier a remplacé celle du fumier. Triste situation. C'est la désolation à l'Hippodrome. Et dire que le premier juillet 1970, plus de 41,578 amateurs avaient envahis la piste du boulevard Décarie pour assister à un événement spécial, soit la soirée du "Bon Vieux Temps".

"Je m'en souviens comme si c'était hier", de se rappeler Raymond Lemay, l'un des promoteurs ou organisateurs les plus perspicaces de l'histoire du sport au pays. Raymond a été président de Blue Bonnets de 1959 à 1973, après avoir quitté Québec en 1953 pour prendre la direction du Parc Richelieu, une piste de courses située à l'extrémité Est de Montréal, à la demande de ses patrons, MM Michaud et Simard. "Il y avait du monde partout", de poursuivre Raymond. "La foule aurait pu dépasser 50,000 personnes si cela avait été possible. La police avait dû intervenir vers 19 heures, pour contrôler la circulation. Toutes les rues avoisinantes, y compris le Boulevard Décarie, étaient bloquées. Les terrains de stationnement étaient pleins. Du jamais vu."

"Il faut dire que c'était une promotion spéciale. L'admission était gratuite. Les hot dogs, boissons gazeuses, crèmes glacées se vendaient cinq et dix sous. Un menu spécial au "Centaure", le restaurant du "club house" toujours existant d'ailleurs, valait 1,99$. Des chapeaux de paille, popularisés par Maurice Chevalier, avaient été remis aux premiers arrivés. Point besoin d'ajouter qu'on en avait manqués. Il s'agissait en somme d'une attraction afin de tenter d'attirer de nouveaux clients et de populariser notre sport. Ce fut une réussite sur toute la ligne. Jamais, au grand jamais, nous ne pensions attirer autant de monde. Je dois donner crédit à Albert Trottier, alors directeur de la publicité et ses adjoints Gilles David et Serge Dionne, car cette promotion était leur initiative"

Malgré cette foule record pour un événement sportif au pays --il y avait plus de monde qu'au match de la coupe Grey ou encore qu'au Queen's Plate à Toronto-- les organisateurs n'avaient pas fait un coup d'argent. Les paris au mutuel pour la soirée n'avaient pas atteint le million, soit un peu plus de 850 000$, dont 80 748$ sur l'épreuve principale, la septième course, un record à l'époque. Les amateurs ne pouvaient pas parier à leur guise car ils étaient trop nombreux. Mais cette soirée avait eu des retombées inespérées pour populariser le sport du trot et amble. Ce fut la promotion la plus visuelle de l'histoire des courses au Québec. Les gens étaient heureux de se retrouver dans cette ambiance. Une soirée à la fois historique et inoubliable.

La descente aux enfers

Comment un sport aussi populaire à une certaine époque a-t-il pu descendre aussi bas pour en venir à fermer boutique? "La concurrence est devenue féroce dans le monde du sport, du divertissement et de l'activité sociale. Les saisons de hockey interminables, la présentation de festivals de toutes sortes, la mise sur pied de loteries diversifiées, les machines vidéo poker, les bingos, les salons de paris (Hippo Club) et j'en passe, ont porté un dur coup à l'industrie des courses, sans parler de la situation économique. À qui la faute? À un peu tout le monde. L'incompétence des dirigeants de l'Hippodrome au fil des ans. Leur inexpérience du marketing, leur manque de vision et leur impuissance à contrer la concurrence. Les gouvernements, qui malgré leurs nombreuses contributions financières, n'ont pu freiner la descente aux enfers de l'industrie. Enfin, Loto Québec, qui offre depuis toujours une compétition très vive et qui semble insensible aux problèmes des courses de chevaux. Personnellement, j'ai atteint mon but et quand je me suis retiré en 1973, j'avais la satisfaction du devoir accompli en voyant le sport du trot et amble à son plus haut sommet", d'ajouter Raymond Lemay.

En parlant du succès grandiose qu'on connu les courses dans son temps, Raymond aura toujours une bonne pensée pour son ancien patron et propriétaire de Blue Bonnets, Jean-Louis Lévesque, surtout en ces moments tristes et difficiles à accepter. "Il y a naturellement eu de mauvais et de bons souvenirs au cours de mes années dans le monde des courses, mais je m'en voudrais de ne pas faire l'éloge de Monsieur Lévesque. C'est lui en coulisse, qui a été redevable de la popularité grandissante des courses à l'époque. Je me souviendrai toujours de 1967, l'année de l'Exposition Universelle, alors que fut inaugurée la nouvelle grande estrade populaire suivie, plus tard, par la construction du "club house" actuel. Monsieur Lévesque fut un pionnier de l'industrie."

Après avoir quitté Blue Bonnets en 1973, Raymond Lemay a été président de la Canada Steamship Lines durant 16 ans, avant de devenir le bras droit de Pierre Péladeau, grand patron de l'empire de Québecor. Il est encore consultant pour l'entreprise.

Pour revenir à la soirée du "Bon Vieux Temps", il serait bon de souligner qu'en plus des 41 578 chrétiens à Blue Bonnets ce premier juillet 1970, il s'en trouvait 25 623 autres au parc Jarry pour le match des Expos contre les Phillies de Philadelphie.

C'était à l'époque où Montréal était une ville sportive.

Des soirées à Blue Bonnets, j'en ai personnellement vécues des bonnes et des moins bonnes. Un soir, j'avais gagné un coupe-vent aux couleurs de Blue Bonnets, à l'occasion d'un tirage promotionnel organisé par la maison. Ça ne pouvait pas mieux tomber. Il faisait 15 sous zéro et je venais de perdre ma chemise. On ne peut pas toutes les perdre.