C’est quand même ironique qu’après avoir mené la croisade qui s’est soldée par l’entrée des Nordiques dans la LNH, après avoir fait une maille dans le rideau de fer pour y faufiler les frères Statsny et les amener à Québec, après avoir livré et remporté des guerres juridiques sur plusieurs fronts, sans oublier les nombreux duels qu’il a aussi gagnés en coulisse pour mousser un projet ici, une candidature là, Marcel Aubut n’ait pas été en mesure de se défendre lui-même face aux allégations lancées à ses dépens jeudi dernier.

Il est vraiment ironique de le voir rendre les armes avant de les avoir saisies. Avant même de les avoir brandies.

La raison est simple : à titre de grand avocat, mais encore plus à titre de maître du contrôle de l’information et parfois aussi de la désinformation, Marcel Aubut sait mieux que quiconque que s’il est possible de défendre l’indéfendable dans une cour de justice, il est impossible de le faire avec succès sur la place publique.

Prises une à une, les dénonciations des victimes alléguées de Me Aubut auraient pu être balayées du revers de la main. Battues en cour. Ou encore étouffées comme plusieurs l’ont été par le passé.

Mais une fois mise au jour, la première plainte a ouvert la porte à une réaction, ensuite à un témoignage, puis à un autre pour finalement se transformer en tsunami d’allégations qui ont secoué Marcel Aubut au point de le faire vaciller avant de finalement le faire tomber.

Plus encore que les plaintes qui l’ont atteint en plein visage la semaine dernière, ce qui a fait le plus mal à Marcel Aubut ce sont les commentaires de personnes aussi crédibles, sincères et gentilles que Sylvie Bernier qui a candidement reconnu que les comportements reprochés au grand patron du mouvement olympique canadien étaient connus de tous et de toutes depuis longtemps parce que : « Marcel, c’est Marcel! »

C’est ça qui a fait le plus mal. Car avant que le collègue Daniel Leblanc du Globe and Mail – avec la collaboration de Sean Gordon du même journal – ne lève le voile sur l’enquête en cours au COC mercredi dernier, ces comportements étaient connus de tous dans les milieux où gravitait, voire sévissait, Marcel Aubut. Le lendemain de la sortie du texte de Daniel Leblanc, c’est tout le monde qui a su.

Au printemps 2014, L’Actualité, sous la plume de l’excellent journaliste Alec Castonguay, avait dressé un profil grandeur nature de Marcel Aubut. Avec ses bons côtés et ses moins bons. Malgré la recherche exhaustive menée par le collègue Castonguay et la lourdeur de certains faits reprochés, Marcel Aubut s’en était très bien tiré.

Cette fois-ci, il ne s’en est pas remis. Au fait : s’en remettra-t-il un jour?

Un homme de contrastes

Le Marcel Aubut que je connais n’est pas un monstre. Il était et est certainement encore aujourd’hui une source intarissable d’informations crédibles sur le milieu des affaires et du sport. Surtout si ces informations servent sa cause ou nuisent à celles de ses adversaires.

Parlant d’adversaires, il faudrait être bien naïf pour croire que cette histoire sort au grand jour sans avoir obtenu un petit coup de pouce de quelques-uns des nombreux ennemis que Marcel Aubut a collectionnés au cours de sa carrière. Un « frog » de Québec à la tête du COC, ça dérangeait dans le « Rest of Canada ».

Le Marcel Aubut que ses proches défendent avec vigueur depuis une semaine est l’ami inconditionnel qui sollicitera tous ses contacts et les faveurs qu’on lui doit pour aider un ami à mener à bien un projet, à défendre une cause.

Mais ce Marcel est aussi le patron exigeant, dur, rustre, insolant que plusieurs de ses anciens employés ont décrit. Et aussi cet homme qui aime bien les femmes comme l’a dit Sylvie Bernier à la Première chaîne de Radio-Canada vendredi matin dernier. Cet homme aux mains baladeuses et aux commentaires parfois beaucoup trop généreux, déplacés, voire carrément vulgaires aux goûts de celles à qui ils étaient destinés.

À Tout Le Monde En Parle dimanche, une ancienne adjointe administrative de Me Aubut dans un grand bureau d’avocats de Montréal a indiqué avoir livré des documents à son patron qui l’attendait en « boxer » dans son bureau.

Des histoires du genre faisaient le tour de Québec à l’époque où Marcel était le président des Nordiques. Les commentaires sur les courbes des femmes étaient aussi légion.

Je me souviendrai toujours des doléances d’un ancien joueur des Nordiques à qui Me Aubut, pendant un souper dans un restaurant du Vieux-Québec pour régler un différend contractuel, avait demandé le prix qu’il avait payé pour la chirurgie esthétique très bien réussie subie par son épouse – les termes employés étaient plus crus – pendant que la jeune femme était allée aux toilettes.

Est-ce que, au lieu de rire de ces histoires à l’époque des Nordiques, il aurait mieux valu rappeler Marcel Aubut à l’ordre? L’apostropher pour lui dire que ça n’avait aucun sens? Le condamner sur la place publique avant que cela n’aille trop loin?

Les derniers jours nous ont indiqué que oui.

Me Aubut lui-même le reconnaît dans sa lettre de démission, alors qu’il admet avoir dépasser les limites. Peut-être pas les siennes, mais certainement celles de ses victimes et aussi celles du gros bon sens.

C’est la leçon à tirer de cette histoire. Et c’est encore une belle victoire pour celles – et ceux car Marcel Aubut à bardasser bien des employés masculins qui n’ont toutefois pas eu à composer avec les commentaires sexistes et les mains longues de leur patron – qui ont prouvé au cours de la dernière semaine que toute vérité est bonne à dire. Que cette vérité peut ouvrir la porte à des dénonciations puis à une ou des condamnations. En souhaitant maintenant que la condamnation publique qui a fait tomber Marcel Aubut soit suivie des changements importants et nécessaires pour s’assurer que des situations semblables qui sont sans l’ombre d’un doute courantes dans plusieurs autres milieux cessent immédiatement. Ou qu’elles soient rapidement et vigoureusement dénoncées.

Car si Marcel Aubut doit assumer la lourde responsabilité et les plus lourdes encore conséquences de ses paroles et de ses gestes, tout ceux qui savaient et qui n’ont rien dit ou ne se sont pas opposés avec assez de vigueur pour lui faire comprendre qu’il devait cesser ont aussi une part du blâme à porter.

Maintenant que Marcel Aubut a démissionné, la tempête va se calmer. Il y aura encore des orages ici et là alors que d’autres dénonciations viendront appuyer celles que l’on connaît déjà et qui l’ont déchu de son trône au Comité olympique canadien.

Mais une fois la tempête passée, quelle place l’histoire du sport à Québec, au Québec et au Canada réservera à Me Aubut?

Je vous pose la question, car je ne suis pas convaincu de la réponse...