Pendant des années, on a vu Lionel Duval circuler en vélo dans les rues de Boucherville. Il était dans une forme à rendre jaloux les gens de son âge. Lionel s’entraînait, jouait régulièrement au tennis, un sport dans lequel il se défendait d’ailleurs fort bien, et le vélo lui apportait probablement une sérénité qu’il n’avait pas toujours eue derrière un microphone.

Puis, il est disparu de la route. Si Lionel ne traversait plus la ville sur deux roues, il y avait sûrement une bonne raison. Il fallait que ce soit attribuable à un problème de santé, le seul élément qui pouvait le brimer dans ses activités. C’est beaucoup plus tard qu’on a appris qu’il souffrait de la maladie de Parkinson. Elle l’a emporté à l’âge de 83 ans.

Les éloges n’ont pas manqué depuis sa mort, vendredi dernier. Le premier ministre Justin Trudeau a souligné son accomplissement. Le premier dirigeant du Québec, Philippe Couillard, a mentionné qu’il avait marqué toute une génération dans son rôle. Le disparu aurait été fier de cela, lui qui a toujours eu l’impression de ne pas être reconnu à sa juste valeur dans la grande tour de Radio-Canada.

Il a exercé le métier de ses rêves. Il désirait être commentateur, principalement descripteur des parties du Canadien à la télévision. On l’a surtout associé au hockey, mais il en a fait tellement plus. Il a couvert au moins une dizaine de Jeux olympiques, les Jeux du Commonwealth, plusieurs Jeux du Québec, l’Omnium canadien de golf et j’en passe.

Depuis sa mort, on a fait fréquemment allusion à l’énorme déception qu’il a ressentie quand Richard Garneau et Claude Quenneville sont tour à tour passés devant lui quand on a assuré la succession du meilleur parmi les meilleurs, René Lecavalier. Il croyait que la chaise la plus prestigieuse à La Soirée du hockey lui revenait. Cependant, il n’a jamais fait de scènes. Il n’a pas protesté publiquement. Seuls ses collègues et ses proches savaient qu’il en avait été profondément affecté.

Duval était un homme jovial, d’un commerce agréable, sans malice. Beau bonhomme, gentil avec les gens qu’il croisait, il exerçait une présence agréable à l’écran. Toujours extrêmement nerveux, il s’amusait de ses propres erreurs en onde, ce qui a sans doute contribué au vent de sympathie dont il a bénéficié. C’était le roi du fou rire, un charmeur. Parce qu’il savait jouer le jeu, il était parfois l’objet de quelques coups pendables des joueurs. Combien de fois a-t-il été aspergé de champagne en réalisant des entrevues dans le vestiaire après une coupe Stanley du Canadien. On n’aurait jamais osé s’offrir pareille liberté avec René Lecavalier ou Richard Garneau, mais Lionel, c’était Lionel. Et malgré le champagne qui lui piquait les yeux, il arrivait toujours à terminer le boulot.

« Si on avait organisé un concours de popularité parmi notre groupe de commentateurs, il aurait toujours gagné, affirme Quenneville. Les gens s’identifiaient à lui parce qu’il était humble et facile d’approche. Il acceptait le fait qu’il puisse commettre une bévue à l’écran. Lionel n’était pas sévère envers lui-même. L’image qu’il projetait était plutôt sympathique. »

Il a obtenu une confirmation de sa popularité quand on lui a remis un trophée Métro Star à titre de commentateur sportif de l’année en 1990. L’annonce de sa nomination a été faite par la médaillée d’or olympique Sylvie Bernier et le trophée lui a été présenté par la reine des Jeux de 1976, Nadia Comaneci. On l’a senti au septième ciel, mais il n’a pas pavoisé. Il n’était pas du genre à se péter les bretelles.

Suite au décès de MM. Lecavalier et Garneau, Quenneville, lui-même aux prises avec un sérieux problème de santé, est le seul qui puisse revenir sur les sentiments qui ont habité Duval quand on l’a boudé pour décrire les matchs du Canadien. C’était une décision d’entreprise. Cette situation n’a jamais créé de froid entre Lionel et lui.

« Il a trouvé cela difficile, mais il savait que je n’avais rien fait pour le priver de son rêve, pas plus que Richard d’ailleurs. Il avançait en âge. Peut-être a-t-on jugé qu’il aurait pu accomplir ce boulot moins longtemps que nous. Il ne m’a jamais laissé voir qu’il m’en voulait. On était toujours heureux de se revoir », dit-il.

C’était un peu cela, Lionel Duval. Touché dans sa fierté par cette décision, il est resté lui-même affable et amical, au sein de ce groupe renommé de commentateurs.

Dans le cadre de ses entrevues télévisées, il était imprévisible. On n’était jamais certain de la tournure qu’allait prendre la conversation. Il m’a joué le tour un soir de match des séries de la coupe Stanley à Boston. Dans un match rude comme ils l’étaient tous dans le vieux Garden, le petit, mais coriace Stan Jonathan avait, à la surprise générale, terrassé aux poings Pierre Bouchard, pourtant fort comme un boeuf. Sur la passerelle, j’ai reçu le message de descendre dans le studio de la télé pour discuter avec Lionel de ce qui venait de se passer. Chemin faisant, je me disais qu’il allait me questionner sur l’impact que la défaite de Bouchard allait avoir sur le match et peut-être sur la série. Il allait sûrement vouloir évaluer l’impact que cet évènement aurait sur la réputation de l’homme fort du Canadien.

À l’entracte, j’ai pris place devant la caméra. Le régisseur a fait le décompte habituel: cinq, quatre trois, deux, un... et Lionel a lancé une première question qui m’a totalement déstabilisé.

« Bertrand, qu’est-ce que ça fait à un petit gars de Chicoutimi de couvrir un match des séries de la coupe Stanley à Boston », a-t-il demandé, la main tremblotante.

J’admets que je ne l’avais pas prévue, celle-là.

L’ombre de Lecavalier planait au-dessus de lui

On n’a jamais vraiment su pourquoi un commentateur possédant un bagage d’expérience comme le sien pouvait être aussi nerveux dans l’exercice de ses fonctions. Peut-être se sentait-il dans l’obligation de fixer la barre très haut chaque fois que la caméra était fixée sur lui. Quenneville a sa propre théorie là-dessus.

« Son maître à penser a toujours été Lecavalier, souligne-t-il. Peut-être voulait-il  se montrer à sa hauteur? Il savait que son idole était à l’écoute. Il anticipait peut-être qu’il passerait des commentaires sur ses prestations. Qui sait?»

Malgré tout, Duval aura réussi sa carrière. Près de 32 ans de service derrière un micro, à commenter des performances olympiques et à recueillir les opinions des athlètes en toutes circonstances, ce n’est pas rien. Ses collègues le confirment, il a été un excellent descripteur. Sa personnalité attachante en aura fait l’un des chouchous de la télévision sportive à l’époque.

Ils sont peu nombreux à pouvoir s’enorgueillir de cela.

On pourra rendre hommage à Lionel Duval au Complexe Rive-Sud, à Longueuil, vendredi de 16 à 21 heures et samedi de 9 à 11 heures.