C'est avec nostalgie et le cafard que l'ancien jockey d'expression française Ron Turcotte a surveillé la 135e édition du fameux Derby du Kentucky, samedi, de sa résidence de Drummond, au Nouveau-Brunswick. En fauteuil roulant.

Turcotte, peu de monde s'en souvient malheureusement, a remporté les honneurs de la triple couronne du turf en 1973, avec le célèbre Secretariat, le meilleur pur-sang de tous les temps selon plusieurs connaisseurs. Il demeure le seul jockey canadien-français à avoir accompli un tel exploit. Secretariat était aussi entraîné par un Québécois, Lucien Laurin, originaire de St-Paul de Joliette. Lucien est décédé il y a une dizaine d'années.

Mais Ron vit toujours dans les Maritimes même si ses conditions de vie sont affreusement difficiles. "Tu te souviens Jean-Paul, je t'avais raconté il y a une dizaine d'années que j'avais découvert un docteur à Presque-Ile, dans le Maine, qui m'avait prescrit des médicaments miraculeux appropriés à mes douleurs. Pendant un certain temps, j'ai retrouvé le goût de vivre. La vie était belle à nouveau. Agréable à vivre. Je ne pouvais y croire. C'était impensable, surtout après avoir souffert le martyre pendant 20 ans. Mais il y a deux ans, j'ai attrapé une pneumonie et j'ai failli y passer. J'en étais rendu là. Je ne sais vraiment pas comment j'ai pu m'en sortir. J'en remercie la Providence", de raconter Ron, condamné au fauteuil roulant depuis un malheureux accident survenu en piste en 1978.

Par 31 longueurs

Après avoir conduit Secretariat à la victoire au Derby du Kentucky en un temps record - toujours existant après 36 ans d'ailleurs -, Turcotte a gagné le Preakness, deuxième joyau de la triple couronne, à la piste Pimlico de Baltimore. Puis, le Belmont Stakes, quelques semaines plus tard à New York, et ce par une marge de 31 longueurs, un autre record qui n'a jamais été éclipsé.

Secretariat devenait ainsi le premier cheval à gagner la triple couronne depuis 25 ans, soit depuis Citation en 1948. Il va sans dire que Ron Turcotte se souviendra longtemps de cet exploit.

"36 ans? C'est difficile à croire. Pour moi, c'est comme si c'était hier. Je n'ai jamais douté de la capacité de Secretariat. Le meilleur de tous. Dommage qu'il ait été retiré pour la production si tôt. Il n'avait pas quatre ans et n'avait pas connu ses meilleurs jours. Il n'était pas encore à son apogée. Mais je le répète, c'est le meilleur pur-sang de tous les temps", d'affirmer Ron.

La fructueuse carrière de Ron Turcotte a pris fin tragiquement cinq ans plus tard, sur le même tracé qui l'avait rendu célèbre avec Secretariat à Belmont Park. Le 13 juillet 1978, le sensationnel jockey a été projeté au sol par une pouliche de trois ans du nom de Flag of Leyte Gulf. Il subit plusieurs blessures, dont une fracture de la colonne vertébrale. Paraplégique, il est paralysé de la poitrine aux pieds, pour le reste de ses jours.

Il n'avait que 36 ans. Il se promène depuis en fauteuil roulant. Il est retourné dans son patelin au Nouveau-Brunswick où il s'est fait construire une magnifique maison équipée pour sa condition. Il peut également conduire un véhicule monté pour ses besoins. Ron peut compter sur sa fidèle épouse Gaétane (Morin) et ses filles, Tammy, Tina, Anne et Lyne pour l'aider dans son malheur.

Sa carrière a durée 17 ans au cours de laquelle il a paradé 3033 fois dans le cercle du vainqueur. Ses gains en bourses lui ont rapporté plus de 30$ millions. Des pinottes aujourd'hui. Il est devenu un homme fort actif dans sa communauté et s'est engagé dans plusieurs événements et entreprises. "J'ai encore été invité au Derby cette année, ainsi qu'au prochain Belmont Stakes au mois de juin, mais je suis trop faible et trop épuisé. Dommage", dit-il.

Turcotte se souvient de ses voyages éclair à Blue Bonnets, du temps des coureurs dans les années 1970. "Monsieur Lévesque (Jean-Louis, propriétaire de Blue Bonnets) me faisait venir de Saratoga par hélicoptère le samedi soir pour conduire dans la grosse course au programme. À New York, Bernard Geoffrion, alors avec les Rangers, m'invitait aux parties locales au Madison Square Garden et en retour je l'invitais à la piste Belmont ou Acqueduct. C'était le bon temps", de se souvenir Ron.

Il a de la parenté au Québec. Il y a quelques années, il s'est rendu à Sherbrooke et Magog avec sa famille à l'occasion du 60e anniversaire de son frère Camille et sa soeur jumelle, Camilia. "C'était à l'époque où il était plus facile de voyager."

Ron Turcotte a été élu à tous les panthéons imaginables. Il serait temps que les dirigeants du Panthéon des sports du Québec pensent à lui avant qu'il ne soit trop tard. J'dis ça de même. Juste en passant.