Richard Garneau était de la lignée des grands du milieu sportif, un ambassadeur exceptionnel pour le métier qu'il exerçait et pour tous les athlètes qu'il a contribué à faire connaître par sa générosité et par son lourd bagage de connaissances.

On le savait très malade. On nous disait qu'il allait difficilement s'en tirer, mais on refusait de le croire. Richard, c'était un indestructible homme de métier, un athlète à sa façon qui avait toujours tout fait pour garder la forme. Tout récemment encore, on l'observait du haut de ses 82 ans en se demandant comment ce diable d'homme pouvait encore être aussi fructueusement actif.

Ses confrères l'aimaient. Dans le métier qu'on pratique, c'est plutôt rare qu'un collègue est appelé à travailler avec autant de gens sans essuyer une seule critique et sans recevoir ici et là des petits coups de poignard dans le dos, compétition oblige. Les athlètes le respectaient. Ils savaient que derrière son micro, il ne leur manquerait jamais de respect. Avec lui, ils ne risquaient pas d'être blâmés pour une contre-performance. Il savait tout de leurs sports, des degrés de difficulté, de la pression qui les accablait et de leurs chances parfois bien minces de s'offrir un podium. Il avait un pif particulier pour ces choses-là.

Son inséparable complice en patinage artistique, Alain Goldberg, nous en dit beaucoup sur lui quand il raconte que sa préparation relevait d'une extrême minutie. Elle ne se limitait pas à une simple cueillette d'informations. Il poussait la chose jusqu'à faire montre d'une grande discipline personnelle. Il surveillait son alimentation. Il courait régulièrement et la veille d'un événement, il dormait tôt. Le Richard Garneau qu'on a vu à l'écran pendant toutes ces années n'a jamais limité sa préparation à un ramassis de notes et de statistiques destinées à lui permettre de remplir les temps morts en ondes.

« Pour durer, il fallait qu'il s'économise, raconte Goldberg. Il n'a peut-être pas toujours agi de cette façon, mais quand je l'ai connu il y a 20 ans, il faisait tout ce qu'il fallait faire pour pouvoir exercer ce métier très longtemps. Il fallait toujours qu'il soit au summum de ses capacités. Et il a réussi puisqu'à 82 ans, il se préparait déjà pour les Jeux d'hiver de Sotchi dans un an. »

Personnellement, je connais Richard Garneau depuis 40 ans. À mes débuts à la couverture du Canadien, La Soirée du hockey utilisait deux ou trois jeunes journalistes pour meubler des entractes. C'était tout nouveau comme expérience. Nous étions nerveux comme dix, assis sur nos petits bancs en studio. Grâce à son entregent légendaire et à son sourire rassurant, il a très souvent contribué à nous calmer.

Plusieurs années plus tard, j'ai été son analyste quand TVA a retenu ses services comme descripteur des matchs du Canadien au Hockey du Jeudi soir. J'étais impressionné par sa carrure et par sa prestance face à la caméra. Il était grand dans tous les sens du terme. Je doublais ma préparation personnelle pour m'assurer d'être à la hauteur. Devant lui, certains soirs, je me sentais comme un jeune joueur de hockey qui aurait fait l'impossible pour plaire à Jean Béliveau.

D'ailleurs, sur le plan médiatique, Richard Garneau est celui dont la personnalité se rapprochait le plus de celle de Béliveau. Il avait du charisme. Quand il entrait quelque part, on ne le saluait pas en lui donnant une claque amicale dans le dos. Il commandait le respect sans faire quoi que ce soit de particulier pour le mériter.

On ne se lassait pas de l'entendre décrire le patinage artistique avec Goldberg. Quand il parlait d'athlétisme, on écoutait ce qu'il racontait parce qu'il ne faisait pas que parler. Il nous apprenait des choses.

Il s'est distingué par sa générosité avec tous ceux qui ont travaillé à ses côté. Il décrivait les événements sans chercher à se donner le beau rôle. Il laissait toute la place à ceux qui partageaient l'antenne avec lui. « Posséder un immense savoir et ne pas l'utiliser pour écraser les autres, c'est rarissime dans notre société », affirme Golberg.

L'analyste considère que Serge Arsenault, le plus grand ami de Garneau, lui a accordé un très grand privilège quand il a décidé de les réunir. C'était à l'occasion des Jeux olympiques de Lillehammer qui ont été suivis d'une série télévisée baptisée « Magie sur glace Banque Royale » qui a duré neuf ans. Puis, ils ont vécu ensemble l'extraordinaire bourde d'une juge française qui a privé temporairement le couple Jamie Sale-David Pelletier de la médaille d'or aux Jeux de Salt Lake City.

« Quand c'est arrivé, Richard m'a tiré par la manche en me recommandant de me calmer, rappelle-t-il. Et dans un éclair de génie, il a tout de suite pointé la juge Marie-Reine Le Gougne comme la responsable de ce fiasco. C'est dire à quel point il savait ce qui se passait »

Quand il analysait une compétition de patinage artistique, Garneau notait ses remarques sur un bout de papier et il revenait sur chacune d'elles par la suite. Cela créait une interaction dont les téléspectateurs profitaient pleinement. Il lui arrivait aussi de lui jouer des tours durant un spectacle télévisé.

« Richard s'amusait à me prendre en défaut avec des colles sur le patinage, rappelle-t-il. Il pouvait me demander qui avait terminé au troisième rang lors des championnats du monde en 1926. J'étais concentré sur ce qui se passait sur la glace et il m'arrivait avec une niaiserie pareille. Ça le faisait rigoler. Richard aimait taquiner la planète. »

Plus jamais personne, je pense, n'aura la capacité physique et l'endurance pour couvrir, toujours avec le même enthousiasme, 23 Jeux olympiques. Ce qui est regrettable quand on y pense, c'est qu'il n'y ait pas de relève pour succéder à un homme de sport d'une telle envergure.

Goldberg a pleuré en apprenant le décès de Garneau. Il avoue sans la moindre gêne qu'il va pleurer encore. Pour lui, le disparu n'était pas juste un ami issu du sport. Il le considérait comme un membre de la famille.

Ils sont plusieurs à partager cette opinion parmi les gens des médias, parmi les athlètes qu'il a contribué à faire connaître et parmi tous les ex-collègues de Radio-Canada qu'il a cotoyés durant 23 ans. Richard Garneau faisait partie d'une bien belle gang. Personne n'aurait eu à rougir de le considérer comme un membre de la famille.