Depuis quelques années, les amateurs de football universitaire assistent au lent et triste déclin des Gaiters de Bishop's. Mais que les Gaiters se consolent puisqu'il y a encore pire au pays. Les Mounties de Mount Allison? Non. Pire encore. Le Varsity Blues de Toronto, un club en chute libre depuis près d'une décennie. À côté du Varsity Blues, les Gaiters ont l'air de véritables géants.

Question quiz. Quand le Varsity Blues a savouré sa dernière victoire ? Si vous avez répondu octobre 2001, vous avez raison. Depuis cette date, Toronto a perdu ses 27 matchs. Aucune victoire en huit matchs en 2002, aucune victoire en 2003, aucune victoire en 2004.

Et depuis le début de la saison, Toronto a perdu ses deux matchs. Le Varsity Blues est passé bien près de savourer une première victoire en près de quatre ans samedi dernier, s'inclinant par la marque de 29-27 contre Waterloo.

Jamais Toronto n'était passé aussi près de la victoire en quatre ans. Bonne nouvelle, Toronto affronte York samedi le 18 septembre. Il s'agit de sa meilleure chance de victoire cette saison. Si Toronto perd ce match, une quatrième saison consécutive sans victoire est à la portée de l'équipe.

Sa dernière victoire, le Varsity Blues l'a signée contre Windsor le 13 octobre 2001 par la marque de 13-11. C'était le septième match de l'année pour les bleus, qui avaient amorcé leur saison avec six défaites consécutives. Donc une fiche de 1-7 en 2001.

En 2000, Toronto avait perdu ses huit matchs. Idem en 1998. Et en 1999, une toute petite victoire.

C'est donc dire qu'entre 1998 et 2004, Toronto a compilé une médiocre fiche de 2-54. Pendant la même période, les Gaiters ont conservé un dossier de 15 victoires et 41 défaites (pourcentage de victoire de .268) ; les Mounties, une fiche de 13-43 (.232). En passant, une fiche de 2-54, c'est un pourcentage de victoire de .035 !

Le Varsity peut peut-être se consoler à l'idée que ce sont les Mounties qui ont subi la pire dégelée de l'histoire du football universitaire: le mémorable 105-0 contre Saint Mary's en septembre 2001.

Mais au chapitre des dégelées, le Varsity Blues ne donne pas sa place… en 2004, il a subi trois massacres (70-0, 67-0 et 72-8). Idem en 2003 (80-0, 72-0 et 66-7), 2002 (72-0, 58-0 et 61-10), 2000 (62-0, 64-3, 55-1) et 1999 (60-3, 55-3, 58-10).

De 1998 à 2004, Toronto a marqué 513 points et en a accordé 2439 (oui 2439), ce qui est bon pour une moyenne de 73.29 points marqués par saison et une moyenne de 348.43 points accordés.

Côté chiffres, c'est en 2003 que Toronto a connu sa pire campagne : 42 points pour vs 438 points contre. Et un différentiel de 396, ce qui est plus élevé que le total de points marqués lors de ces sept saisons. Des statistiques qui auraient de quoi décourager trois Jean-Marc Chaput!

Si le Varsity Blues évoluait dans la Premier League anglaise de soccer, il y a longtemps qu'il aurait été relégué en deuxième division. Mais au football universitaire canadien, le système de relégation n'existe pas. Alors que fait-on? "On tire la plogue", comme on dit en bon français ?

Même si cette avenue était souhaitable pour certains, il serait très surprenant que l'équipe disparaisse.

Premièrement en raison de la tradition. Avec les Redmen de McGill et les Golden Gaels de Queen's, le Varsity Blues est l'une des trois plus vieilles formations au Canada, le programme de football de Toronto fêtant cette année sa 128e année d'existence.

Et il serait très surprenant que les anciens (alumni), qui s'impliquent d'ailleurs beaucoup dans le programme, laissent mourir l'équipe.

Et à Toronto, les anciens ont les moyens de leurs ambitions. Etre admis à l'Université de Toronto, c'est un peu comme être admis à McGill, c'est prestigieux. N'entre pas à Toronto qui veut. Les standards académiques de l'institution sont très élevés et plusieurs anciens joueurs du Varsity Blues sont devenus des chefs d'entreprise, des financiers, des ingénieurs… bref des professionnels qui ont de l'argent… de l'argent qu'ils vont investir dans le sport. Ce phénomène commence à s'observer chez les Francophones, surtout à Sherbrooke, mais chez les Anglos, donner de l'argent au sport universitaire, c'est commun.

En 1993, un fonds financé par les anciens de l'équipe de football a été mis sur pied et depuis sa création, près d'un million de dollars a été amassé… et le montant grimpe à chaque année.

Mais si Toronto a les anciens, et leur argent, derrière le club, comment expliquer la soudaine chute du Varsity Blues, qui a remporté la coupe Vanier pas plus tard qu'en 1993?

Le problème est bien simple : le recrutement. L'entraîneur-chef, Steve Howlett, en poste depuis 2003, raconte que quand il est arrivé à la barre de l'équipe, il n'avait jamais vu de toute sa vie un programme de football aussi médiocre et mal organisé. Au football universitaire, une année de mauvais recrutement peut te coûter trois ou quatre ans de vaches maigres. À Toronto, les mauvaises années de recrutement ont commencé vers 1996-1997… tout s'explique.

A son premier camp d'entraînement, il se souvient d'avoir vu plusieurs joueurs qui n'avaient jamais réellement joué au football organisé auparavant. Les joueurs de 140 livres qui se sont présentés au camp, il ne pouvait pas les compter sur les doigts de ses deux mains.

" Il y avait plusieurs joueurs pour qui le football n'était qu'un loisir, loin après les études. Ces joueurs n'étaient pas impliqués (" commited ") envers le club. Dans une ligue universitaire de plus en plus forte, il est impossible de gagner quand les joueurs n'ont pas une philosophie axée sur le football et les victoires ", indique Howlett, qui a joué pour le Varsity Blues en 1983 et 1984.

Et comme si les ennuis de l'équipe sur le terrain n'étaient pas suffisants, le Varsity Blues a dû disputer la saison 2002 sans entraîneur-chef, Bob Laycoe ayant soudainement quitté l'équipe avant le début de la saison. Dans ces circonstances peu ordinaires, le travail de pilote en chef a donc été effectué par les coordonnateurs offensif et défensif… pour ce qui est du niveau de préparation et de stabilité, on repassera.

Vous en voulez encore, des problèmes ? OK. L'édition 2002 du Varsity Blues a dû disputer ses matchs locaux à l'extérieur du campus, sur un terrain inconnu, en raison de la démolition des gradins du vieux Varsity Stadium… en raison du manque d'entretien, les estrades étaient devenues trop dangereuses pour les spectateurs et on a dû détruire le tout. Et depuis 2003, ce sont des gradins temporaires qui accueillent les spectateurs.

Orphelins d'entraîneur et de stade, difficile d'attirer les jeunes joueurs…

Malgré toute cette adversité, l'université n'a jamais eu l'intention de mettre la clé dans la porte et elle a confié les destinées de l'équipe à Howlett après le désastre de 2002.

Contrairement à son prédécesseur, Howlett fait du recrutement sa priorité. Et il voit la lumière au bout du tunnel.

" Quand je suis arrivé, personne ne voulait venir jouer à Toronto. Mais ça change. Tu attires les jeunes en leur parlant des valeurs de l'équipe et de l'université. Tu dois t'intéresser à eux. Et c'est ce que je fais ", ajoute Howlett.

" Nous avons fait du bon recrutement au cours des deux dernières années et je commence à voir des résultats positifs. Les victoires ne viennent pas encore mais elles viendront. Pour la première fois en trois ans, je sens que l'équipe est capable de rivaliser avec les autres formations sur le plan physique. L'équipe est très jeune. L'an passé huit partants avaient directement le saut des rangs secondaires, c'est énorme. Je ne regarde même pas la colonne des victoires pour le moment. Patience est le mot clé. Je vise le long terme et j'ai confiance ", poursuit Howlett.

La preuve que le vent est en train de tourner à Toronto : à partir de l'an prochain l'équipe aura la chance d'évoluer dans un nouveau stade de 5000 places en plein cœur du campus. Un stade des grandes ligues, en partie financé par l'argent des anciens, avec une surface de jeu en Field Turf et des estrades permanentes !

Un tout nouveau départ, comme si d'un trait on effaçait une décennie de misère.

Des paroles aussi optimistes, on en avait pas entendues depuis longtemps en provenance de Toronto. Le Varsity Blues ne gagnera pas la coupe Vanier cette année ni l'année prochaine, mais l'équipe devrait retrouver une certaine dose de crédibilité au cours des prochaines années. Et peut-être nous intéresserons-nous à l'équipe pour ses vedettes et non pour ses défaites de 80-0.