La plupart du temps, le masculin l’emporte haut la main sur le féminin dans l’ordre des priorités lorsque vient le temps d’énumérer les gagnants d’un événement sportif. Et c’est bien malheureux.

 

Prenez par exemple le plus récent Marathon de New York. Dans tous les résumés que j’ai vus ou lus au sujet de cette formidable course du 4 novembre dernier, on apprenait d’abord que c’était l’Éthiopien Lilesa Desisa qui avait terminé premier chez les hommes. Après avoir nommé ceux qui l’accompagnaient sur le podium et fait un résumé de leur course, on basculait du côté féminin pour évoquer le triomphe de la Kenyane Mary Keitany. Et n’allez surtout pas me dire que cela est uniquement par respect pour l’ordre d’arrivée, les hommes étant naturellement plus rapide que les femmes. Ça ne tient pas!

 

Il serait bien temps de changer cet automatisme et d’y aller au mérite. Sans ne rien vouloir enlever à la superbe victoire de Desisa, la performance de Keitany était franchement plus impressionnante et c’est de cette extraordinaire coureuse qu’on aurait dû parler. C’est une des stars de l’athlétisme.

 

Mary Keitany sur une page du New York TimesLe New York Times a publié un cahier spécial sur ce marathon? Sur la première page, on peut lire que « La gagnante laisse ses poursuivantes à l’extérieur de la photo » (Winner leaves the pack out of the picture). 

 

La gagnante? Cette coureuse, seule sur la photo, a pourtant un nom. Plusieurs lecteurs ont réagi et exigé que le prestigieux quotidien change son titre puisqu’il s’agissait d’un manque de respect pour cette grande championne qu’est Keitany. De là à dire qu’on aurait probablement nommé le coureur s’il était un homme ou un Américain, il n’y a qu’un petit pas à franchir.

 

Mais revenons à Mary Keitany. Elle est très certainement la meilleure coureuse de fond sur la planète et probablement une des plus incomparables de l’histoire. Du haut de son 1,58 mètre (5 pieds et 2 pouces) pour 42 kilos (93 livres), elle s’est imposée en 2 h 22 : 48 à New York, devançant sa compatriote Vivian Cheruiyot, plus récente gagnante de l’épreuve londonienne, par plus de trois minutes (3 : 14). C’est énorme.

 

C’est la seconde portion de sa course qui a frappé l’imaginaire. Après être passée à la mi-parcours en 1 h 15 : 50, elle s’est mise à accélérer de manière irrésistible dès le 26e kilomètre pour compléter la seconde moitié en solitaire en 1 h 06 : 58!  Les meilleures coureuses américaines, la championne en titre Shalane Flanagan en tête, ont tenté de travailler ensemble pour garder le contact avec la Kenyane, mais le rythme était insoutenable. 

 

La coureuse de 36 ans est ainsi venue à seulement 17 secondes de battre le record du parcours new-yorkais. Après sa course, elle déclarera cependant aux journalistes que ce record ne lui avait jamais traversé l’esprit. La victoire primait en premier lieu.

 

Grâce à sa quatrième victoire, Keitany est devenue la deuxième athlète la plus titrée dans la Grosse Pomme. Elle aura toutefois fort à faire pour rejoindre une autre légende de la course à pied, la Norvégienne Grete Waitz, qui avait triomphé là-bas à neuf reprises entre 1978 et 1988.

 

Je trouve malheureux que dans la tête de nombreux amateurs de course à pied, les coureurs africains, principalement du Kenya et de l’Éthiopie, semblent être interchangeables. On sait qu’ils sont là et qu’ils sont bons, mais on ne s’attarde pas à retenir leurs noms. Pourtant, ils n’ont pas tous le même talent.

 

Mary Keitany est le pendant féminin du Kenyan Eliud Kipchoge qui vient de battre le record du monde au marathon de Berlin. Ce n’est pas un hasard si ces deux athlètes ont été choisis les marathoniens de l’année 2017 par la prestigieuse Association des directeurs de course représentant 435 marathons dans 114 pays. C’était la cinquième fois que Keitany recevait cette distinction et elle a de bonnes chances de la gagner à nouveau cette année.

 

Mary KeitanyOfficiellement, le record du monde féminin appartient à la Britannique Paula Radcliffe (2 h 15 : 25). Mais elle avait profité d’un contingent de lièvres masculins pour lui dicter le rythme en 2003. Dans une course exclusivement féminine, le record va à Keitany (2 h 17 : 01), réalisé lors de sa victoire au Marathon de Londres en 2017, une course qu’elle a gagnée trois fois!

 

Avec sa victoire à New York, la Kenyane a également cloué le bec à tous ceux qui affirment que les nouvelles chaussures Zoom Vaporflys 4% développées par Nike offrent un avantage. C’est avec ces chaussures que Kipchoge a battu le record du monde à Berlin en septembre dernier et que Mo Farah a amélioré le record européen il y a quelques jours à Chicago.

 

Keitany court avec des chaussures Adidas. Pour elle, « ce ne sont pas les souliers qui courent, mais vous! » De sages paroles venant d’une grande petite dame qui mérite qu’on lui porte attention.

 

S’il n’en tenait qu’au mérite, on parlerait beaucoup plus de Mary Keitany.