MONTRÉAL – Il règne un mystère et une fascination à propos de la création des jeux offensifs au football. Les entraîneurs y consacrent des heures incalculables et de nouvelles idées surgissent dans leur cerveau autant lors d’un souper au restaurant avec son être cher, pendant un rendez-vous chez le médecin, durant une partie du jeu vidéo Madden de ses enfants ou même en pleine nuit de sommeil. On a eu l’occasion de s’incruster dans la tête d’André Bolduc pour comprendre son processus créatif.

 

On vous le dit tout de suite, le sujet est si vaste et passionnant qu’on aurait voulu en discuter pendant une journée.

 

Présentement, ce boulot colossal atteint un autre niveau pour les Alouettes de Montréal qui se retrouvent dans un contexte particulier. Étant donné que les probabilités sont énormes en vue d’un duel éliminatoire contre les Eskimos d’Edmonton, les entraîneurs des Oiseaux peuvent se donner à fond dans la préparation qui va s'étaler sur un mois au lieu d'une semaine. 

 

Bolduc, l’entraîneur des demis offensifs des Alouettes, répartit donc son travail en deux grandes catégories. Il étudie d’abord les jeux impliquant ses protégés face aux Eskimos pour identifier ceux qui ont connu du succès et ceux qui n’ont pas fonctionné. Il dissèque ensuite les jeux, déployés par des adversaires, qui ont causé des ennuis aux Eskimos.

 

Il se transforme alors temporairement en professeur de mathématiques pour établir une corrélation afin de créer des formules à privilégier contre cet adversaire.

 

« J’ai regardé tous les matchs d’Edmonton et j’ai analysé certains jeux (NDLR : on ne vous dévoilera pas le chiffré évoqué pour ne pas alerter les Eskimos) qui leur posent des ennuis chaque fois. Je parle au niveau du gain, mais aussi de leur structure défensive », a confié Bolduc dans le cadre d’une autre discussion captivante avec l’entraîneur québécois.

 

« Ces jeux-là, je les adapte avec ce que l’on fait de mieux », a ajouté celui qui encadre la deuxième meilleure attaque terrestre, pilotée par William Stanback et Jeremiah Johnson, de la Ligue canadienne de football derrière Winnipeg.

 

Mais la clé se situe dans les détails au football, sinon ce serait trop facile. Bolduc doit sélectionner – ou créer – des jeux qui vont embêter les Eskimos d’une manière similaire à ce qu’il a observé. Il doit toutefois s’assurer de piger dans des stratégies qui collent bien au style des Alouettes. Ce n’est pas tout, c’est parfois le contexte qui explique le résultat. Il doit analyser l’emplacement sur le terrain ainsi que le côté (court ou large) sur lequel ils ont été effectués.

 

Cette saison, les Alouettes excellent au niveau des jeux explosifs. C’est vrai par la passe, mais également par la course. Ils ont accompli 16 jeux de 20 verges ou plus et ils partagent le sommet avec Winnipeg à ce chapitre.

 

Ce n’est pas pour rien que Bolduc affiche une grande confiance pour quelques jeux à déployer dans le cadre de la demi-finale de l’Est.

 

« J’ai déjà préparé une poignée de sélections au sol pour lesquelles je sais que ça deviendra un gros gain ou un jeu important dans le match », a lancé Bolduc avec assurance.

 

« Il y a des jeux que j’appelle ‘les inarrêtables’, c’est le langage que j’utilise quand j’en parle avec mon plus vieux. Peu importe ce que l’adversaire va faire, quelque chose va fonctionner. J’ai toujours des jeux comme ça pour chaque match », a-t-il poursuivi.

 

Une panne d’inspiration, oubliez ça !

 

L’aspect que l’on sous-estime le plus, c’est que le cahier de jeux varie passablement de semaine en semaine. Les joueurs doivent donc assimiler de nouvelles notions en vue de chaque affrontement. Pour les porteurs de ballon, on parle d’environ 12 à 14 jeux par match. Bolduc avoue qu’il doit procéder à des choix déchirants pour déterminer ceux qu’il va suggérer pour approbation à l’entraîneur-chef, Khari Jones. 

 

Par contre, les Alouettes possèdent maintenant le luxe de réduire volontairement cette cadence. Un peu à l’image de ce qui se produit pendant les matchs préparatoires, les entraîneurs ne veulent pas « montrer » leurs plus belles stratégies pendant des matchs peu significatifs à l’approche des éliminatoires.

 

« Ce n’est pas pour rien que le niveau est encore plus sharp dans les entraînements cette semaine, les jeux sont plus simples. On voit que ça roule, on n’a pas besoin de faire autant de répétitions pour effectuer des correctifs. C’est quand on aborde des choses plus complexes que ça prend plus de temps, mais ça veut aussi dire que c’est plus difficile de s’ajuster pour l’adversaire et ça rapporte », a décrit Bolduc.

 

À force de renouveler les options offensives, on pourrait croire que les entraîneurs finissent par frapper un nœud ou même un mur.

 

« Non, c’est pratiquement à l’infini. Je ne suis pas du style non plus à copier les autres équipes. Je me concentre vraiment sur ce qu’on fait de bien et ce que j’aime faire. Il faut dire que j’ai de beaux produits à ma disposition avec Stanback et JJ. On est forts sur les screen, JJ lit tellement bien le jeu devant lui. On a une production au sol, mais aussi par la passe. C’est là qu’on peut faire mal aux autres équipes, en complétant notre attaque aérienne », a répondu Bolduc.

 

Les Patriots de la Nouvelle-Angleterre, les Saints de La Nouvelle-Orléans, les Eagles de Philadelphie, le Crimson Tide d’Alabama, les Tigers de Clemson. Voilà une minuscule fraction des inspirations qui pourraient attirer Bolduc.

 

« Pas tant, parce que tout a déjà été fait. Je fais des tests, j’ai tenté quelques affaires cette année que je n’avais jamais essayées. Maintenant, je les cache pour qu’Edmonton ne travaille pas trop là-dessus. Ce sont des trucs que je vais ramener en séries. On va essayer de les sortir au bon moment », a maintenu Bolduc qui ne peut s’empêcher de sourire quand une autre équipe de la LCF déploie un jeu qu’il a créé.

 

Et les jeux truqués dans tout ça ? Voilà une autre facette intrigante de ce mandat. Cette saison, les Alouettes n’ont pas craint de se tourner vers cet outil trop souvent boudé. On n’a qu’à penser à la passe de touché lancée par Eugene Lewis à Vernon Adams fils le 20 juillet contre Edmonton. Ce jeu avait d’ailleurs été élaboré par Bolduc. 

 

« J’en ai à l’infini, mais ils doivent cadrer avec ce qu’ils font de l’autre côté. La plupart du temps, ce sont des jeux qui exigent plus de temps et ça prend une bonne protection pour que ça fonctionne », a-t-il rappelé.

 

Bolduc et les autres entraîneurs des Alouettes ont compris qu’il valait mieux impliquer les joueurs dans le processus. Les effets bénéfiques se ressentent au quotidien. On pourrait comparer le tout à des employés qui sont écoutés par leur patron dans des entreprises ou des élèves dont l’opinion compte pour les professeurs.

 

« C’est le fun de garder nos gars impliqués et excités, ils font un bon travail pour embarquer dans nos concepts et les exécuter », a-t-il dit avec satisfaction.

 

Bien sûr, les quarts-arrières adorent s’impliquer dans ce processus. D’ailleurs, ils ne lâchaient pas le morceau auprès de Bolduc pour qu’il élabore un jeu impliquant deux quarts sur le terrain.

 

« Quand ils m’ont taquiné la fois d’après avec ça, je leur ai dit de venir dans mon bureau et je leur ai montré que je l’avais déjà dessiné, que ça existe. Ils disaient ‘Wow, c’est cool, il faut absolument le faire !’ Mais j’ai dû leur rappeler qu’on doit attendre le moment propice », a raconté l’entraîneur avec amusement.

 

Une trêve de football, mais pas à l’automne
 

Quand les idées fusent sans cesse, l’enjeu devient de balancer le tout avec une vie familiale. Pour Bolduc, ce n’est pas un jeu d’enfant puisque ses deux garçons jouent au football (Thomas avec le Rouge et Or et Raphaël avec les Harfangs du Triolet) et ses deux jumelles (Justine et Élizabeth) au volley-ball.

 

Durant la saison de football, il ne retourne pas souvent à la maison familiale, à Sherbrooke, mais ça lui arrive de penser à de nouveaux jeux quand il y est. Vous comprendrez que sa femme finit parfois par se tanner du football.

 

« Oui, c’est sûr. On va être capable de dire ‘on ne parle pas de foot ce soir’. Mais c’est difficile quand même. Disons que je suis là et mon plus jeune revient de son entraînement, c’est sûr que je veux savoir comment ça s’est passé. Vers 20h, Thomas va m’appeler via FaceTime après sa pratique avec Laval. C’est clair que je vais lui demander des choses et il va vouloir m’en parler. Après ça, on arrive plus à passer à autre chose », a exposé Bolduc en précisant que sa femme est une sportive aussi heureusement.

 

Parfois, c’est au tour des jumelles d’exiger une trêve.

 

« On y arrive, mais on est en automne présentement. C’est l’équivalent de trois saisons en même temps avec celles de mes fils et les Alouettes. On joue vendredi et j’irai voir Raph samedi et ensuite ce sera le duel Laval contre Montréal dimanche. Après notre partie contre Toronto, je vais me transformer en père de famille », a-t-il conclu.

 

Il n’est toutefois pas impossible que ce soit en regardant le match de l’un de ses fils que son prochain jeu se dessine dans son esprit.