MONTRÉAL – Depuis sept saisons, Luc Brodeur-Jourdain s’est bâti une crédibilité irréprochable en sacrifiant son physique pour défendre ses coéquipiers. Le gentil géant en a fait tout autant, et même plus, à l’extérieur du terrain en se dévouant à sa famille et en devenant un modèle sportif pour la communauté.

Le centre des Alouettes de Montréal – qui prépare son retour d’une opération au genou droit – s’est forgé cette enviable réputation tout naturellement. En effet, Brodeur-Jourdain s’est rapproché des partisans en multipliant les participations aux activités communautaires et il dit puiser ce côté altruiste de ses racines familiales.

Plus souvent qu’autrement, Brodeur-Jourdain s’avère le premier joueur à répondre présent pour des conférences dans des écoles, des cliniques de sang, des visites dans des hôpitaux et même des voyages en Afghanistan – quitte à risquer sa vie – pour aider au moral des troupes militaires.

Ce n’est donc pas étonnant si le colosse de six pieds deux pouces et 309 livres est devenu un chouchou des fidèles des Alouettes.

Par contre, Brodeur-Jourdain a effectué le geste d’amour le plus significatif au sein de sa famille quand il a choisi de s’engager à long terme avec sa copine, Marie-Élaine Chicoine, dont le fils Thomas doit composer avec le trouble de l’autisme et de la dyspraxie physique et verbale (trouble à coordonner les gestes pour faire une action et pour parler).

« J’ai mis cartes sur table avec Luc. Comme je dis souvent, je viens en paquet de deux parce que Thomas (10 ans) est très présent dans ma vie et la plupart de mes décisions de vie sont en fonction de lui. Ça m’a montré son ouverture et sa flexibilité. Il ne faut pas se le cacher, c’est de l’amour aussi. Il faut que tu aimes la blonde et l’enfant pour vouloir t’impliquer à ce point-là », a confié sa conjointe dans un généreux entretien avec RDS.

« Ce ne sont pas tous les conjoints qui auraient été prêts à faire ce choix de vie. Luc a toujours été une personne authentique et vraie; c’est quelqu’un de familial », a-t-elle ajouté.

Brodeur-Jourdain a décidé de plonger dans cette aventure avec ouverture.

« Je n’étais pas nécessairement effrayé, mais c’est un apprentissage quotidien. En tant que tel, il n’y a rien qui te prépare à ça. Au fil du temps, on développe des trucs pour les interventions parce que la façon plus conventionnelle d’élever un enfant ne fonctionne pas vraiment. Ça passe beaucoup par la communication », a exprimé LBJ avec franchise.

Avec un contexte familial plus exigeant, personne n’aurait pu critiquer le Québécois de 33 ans de consacrer toutes ses énergies à sa famille. Au contraire, il a décidé de ne pas lever le pied sur le volet « communautaire » de sa carrière d’athlète.

« Ce n’est pas parce que ça me prend un peu plus de mon temps qu’une famille conventionnelle que je ne vais pas m’impliquer ailleurs. Pour moi, ça se fait sans hésiter », a-t-il convenu.

Ayant lui-même été élevé par ses parents ainsi qu’un beau-père, Brodeur-Jourdain n’a jamais eu l’intention de jouer le rôle de père que celui de Thomas exerce encore.

« Quand j’étais jeune, j’avais dit à mon beau-père Maurice qu’il n’était pas mon père. Il m’avait répondu qu’il n’était peut-être pas mon père, mais qu’on était dans sa maison, dans sa vie de famille et qu’il me considérait comme l’un de ses fils. J’ai 33 ans et je n’ai jamais senti de différence à ses yeux entre moi et ses enfants. C’est exactement ce que j’ai en tête quand je suis avec Thomas », a exprimé le volubile athlète qui a incité son père, sa mère et son beau-père à modifier leur mode de vie et perdre un total de plus de 300 livres en un an.

Depuis le retour des Alouettes en sol montréalais, en 1996, les joueurs québécois ont rempli une mission très importante de porte-étendards de l’organisation. Sans eux, l’équipe n’aurait pas créé cet attachement avec le public et Brodeur-Jourdain tient ce rôle à cœur tout comme plusieurs autres ont pu le faire.

« Je suis certain qu’il voit ça comme moi, j’ai toujours considéré que tu as l’obligation de redonner en tant qu’athlète professionnel. Le sport a cette vertu, c’est l’un des seuls endroits où il y a des modèles masculins positifs pour les jeunes. Je parle de personnes sympathiques, éduquées et accessibles. Luc le fait avec brio et sans compter les tours », a témoigné Matthieu Proulx qui est devenu analyste à RDS après sa carrière dans la LCF.

Lancer un service pour aider les démunis

Ce qui est encore plus fascinant par rapport à l’implication communautaire de Brodeur-Jourdain, c’est qu’elle remonte à bien plus loin. En effet, Glen Constantin s’est souvenu que son ancien joueur de centre avait même démarré un ingénieux service pour venir en aide aux moins fortunés.

Au lieu de se la couler douce, comme n’importe quel étudiant l’aurait fait entre ses heures à bûcher sur les terrains de football ou dans les cours, Brodeur-Jourdain avait plutôt élaboré une manière pour leur vendre des électroménagers à prix modiques.

« Je travaillais dans l’entrepôt chez Ameublements Tanguay et j’avais constaté que la plupart des vieux électroménagers ramenés par nos livreurs étaient envoyés à une décharge de métal même s’ils étaient encore fonctionnels. Mon frère possédait un encan à St-Hyacinthe et je m’étais dit qu’on pourrait facilement les revendre là-bas. J’avais donc évalué le prix reçu pour le métal et j’avais présenté une offre équivalente au double de ce montant. En retour, je demandais une place dans l’entrepôt pour l’entreposage. Je sélectionnais les électroménagers avant de les envoyer à l’encan où tout se vendait rapidement. Ça permettait à des gens d’acheter des électroménagers moins chers », a raconté l’entrepreneur social.

« Il a un grand cœur! Déjà, à l’université, il avait pensé à ça et il était impliqué dans toutes nos activités. Tu ne vois pas ça souvent, c’est très rare dans cette génération. Au lieu de penser à ce qu’on pouvait faire pour lui, il pensait aux autres », a confié Constantin qui l’a dirigé avec le Rouge et Or de l’Université Laval.

Plusieurs années plus tard, Brodeur-Jourdain – qui a presque complété sa maîtrise en finances - ne comptabilise pas le temps qu’il accorde aux amateurs. Après les matchs, il accepte des dizaines de demandes d’autographes, de photos et de selfies bien sûr. 

« Ça me fait vraiment plaisir, je l’ai fait dès mon premier match et c’était le cas aussi à Laval. Il faut comprendre que nos matchs sont aussi un spectacle. Les gens consacrent leur temps et leur argent pour venir nous voir. C’est fou de penser à ça, ils prennent de leur temps, la chose la plus précieuse. Alors, pour moi, c’est quoi de prendre 1 h ou 2 h de plus? », a-t-il commenté sur sa disponibilité.

« N’importe qui peut l’arrêter dans la rue et il va prendre 15 minutes pour lui parler. Avant tout, c’est un bon Jack, une bonne personne. OK, il a peut-être l’air intimidant par son physique, mais il est gentil et il aime la vie », a soulevé Matthieu Proulx en souriant.

Parmi ses centaines d’activités auprès du public, Brodeur-Jourdain n’hésite pas à identifier ses deux séjours en Afghanistan comme ses expériences les plus spéciales. Le contraire serait surprenant surtout qu’il a craint pour sa vie dans l’un deux.

« On n’est tellement pas au courant de ce qui se passe là-bas. Les gens pensent que je le dis en blague, mais ma première réaction à mon retour de Kandahar a été de donner un câlin à un arbre parce qu’il y a juste du sable, du soleil et de la chaleur là-bas. La qualité de vie est très basse », a-t-il exposé.

« Voir des bombardements dans les bulletins de nouvelles, ça n’explique en rien le quotidien et le stress d’une personne là-bas. À notre deuxième journée, on a vécu une attaque de roquettes avec le stress de se coucher la face au sol, les mains derrière la tête et attendre que ça fasse boom pour savoir si tu es encore en vie. Eux, ils vivent ça pendant des mois en pensant à leur femme et leurs enfants. On ne réalise pas notre qualité de vie. Même dans la pauvreté, on est dans la luxure. »

Une montagne de compliments pour le passionné de musique

Il suffit de prononcer le nom de Brodeur-Jourdain pour que les compliments affluent à son égard. Que ce soit des coéquipiers actuels ou anciens, des entraîneurs et même des adversaires, le numéro 58 fait l’unanimité.

« C’est un coéquipier vraiment agréable, c’est le genre de gars avec lequel tu deviens ami pour la vie », a résumé son coéquipier, Kristian Matte, dans une phrase révélatrice.  

« Luc est l’une des meilleures personnes que j’ai rencontrées dans ma vie, il est aussi l’une des plus travaillantes. Il a bûché pour tout ce qu’il a dans la vie. Ça dit tout quand le dernier choix de la LCF devient un joueur étoile, il a fait mentir beaucoup de gens », a vanté son autre coéquipier, Jeff Perrett.

Si Matte et Perrett sont devenus de grands amis, aucun coéquipier n’aura eu autant d’influence sur lui que Scott Flory. Celui qui a été l’un des meilleurs gardes de l’histoire de la LCF lui a généreusement transmis son savoir.

« Luc se soucie des autres, il est généreux et authentique, tu ne peux pas trouver mieux. Il ne va pas tricher peu importe de quoi on parle. C’était d’ailleurs à Luc qu’on confiait l’argent des amendes parce qu’on avait confiance en lui », a décrit Flory.

L’occasion était aussi belle pour ses partenaires de lui tirer la pipe. Chacun de leur côté, ils l’ont tous taquiné sur son sens de l’humour qu’il pousse parfois trop loin avec un peu moins de succès.

« C’est vrai, ça arrive que c’est juste lui qui comprend sa blague. Ça fait partie de son personnage et c’est ce qui est drôle. L’humour, ça nous unit dans le couple parce qu’on vit parfois des situations familiales assez déroutantes qui viennent nous pousser à nos limites. Souvent, c’est l’humour qui nous sauve, on allège le tout en riant », a admis sa conjointe, une éducatrice spécialisée qui est intervenante en prévention des dépendances.

En entendant ce concert d’éloges, on aurait tendance à croire que le résidant de Saint-Damase a toujours été aussi jovial. Pourtant, c’est plutôt grâce à la musique – sa première passion – qu’il a chassé la plupart de la timidité qui l’habitait durant son enfance et son adolescence.

« La musique a été importante pour moi et elle l’est encore parce que j’ai développé une capacité à m’exprimer via la musique. Je suis capable de le faire maintenant parce que j’ai développé une confiance en moi, ça m’a servi à le faire. J’étais extrêmement timide au primaire et au secondaire, j’avais de la difficulté à m’ouvrir aux autres », a avoué le colosse qui ne laisse pas facilement paraître ce côté.

C’est au toucher d’une guitare qu’il a poussé son univers musical encore plus loin.

« C’est le premier instrument qui m’a donné le goût de composer. À partir de là, j’ai eu le goût de faire une chanson complète. Au final, tu en finis par construire quelque chose qui vient à 100 % de toi. C’est une belle opportunité de s’exprimer, ça peut être de la tristesse, de la joie, de la colère, de la frustration… Les premières fois que j’ai joué mes chansons, les gens me demandaient ça venait de qui. Ça fait un velours de dire que ça vient de toi, mais tu abaisses en même temps tes barrières personnelles parce que tu t’ouvres aux gens », a révélé Brodeur-Jourdain sur son intérêt encore méconnu.

Une journée d’accouchement digne d’un film

Le 20 septembre dernier, Brodeur-Jourdain s’est réveillé avec la même excitation d’une journée habituelle de match. Mais lorsque sa copine a ouvert les yeux, elle a constaté des saignements dans le lit.

Le choc a été encore plus brutal quand elle s’est levée. Nul doute, le moment était venu d’accoucher même si ça signifiait une naissance prématurée de cinq semaines.

La césarienne a permis l’accouchement du petit Noah à 9 h 09 alors que la partie des Alouettes débutait à 13 h. Une véritable course contre la montre s’est enclenchée comme une scène de film.

«  Je me souviens qu’un médecin m’avait dit : "Je pense que tu vas pouvoir aller à ton match". »

En contact avec Jim Popp et Anthony Calvillo, LBJ a pu quitter l’hôpital de St-Hyacinthe à 11 h en courant sous les encouragements des gardiens de sécurité. Après un excès de vitesse pardonnable sur l’autoroute, il a eu à se faufiler dans les rues de Montréal paralysées par un marathon et un match préparatoire du Canadien!

« J’étais rendu à monter la rue Université quand j’ai demandé à un policier de tasser son véhicule pour que je puisse me stationner sur une rue bloquée. Il a accepté quand je lui ai expliqué qui j’étais et que je lui ai montré mon bracelet d’hôpital », a narré Brodeur-Jourdain qui n’a pas pu éviter un constat d’infraction à son retour.

« C’est la plus belle journée de ma vie, sans la moindre hésitation. En plus de la naissance de mon fils, je suis passé par une si grande variété d’émotions dans une seule journée, c’est quelque chose d’inoubliable. Par-dessus le marché, c’était presque notre seul match avec une performance offensive acceptable (en 2015) », a-t-il poursuivi à propos du gain de 35-14 contre Winnipeg.

Après la rencontre, un tourbillon d’émotions l’a frappé surtout qu’il était loin de sa conjointe et de son fils.

« Je ne sais pas comment j’ai fait pour jouer, mais je m’étais mis à pleurer après le match. J’ai vécu des émotions extrêmement fortes et j’étais très émotif. Devenir père pour la première fois, c’est complètement fou et ça ne se fait pas en temps normal d’aller jouer une partie après. J’avais l’impression que je faisais quelque chose que je ne devais pas faire. En même temps, j’étais content de le faire. Je me demandais aussi si c’était correct d’être content de jouer au football la journée de la naissance de mon fils », a relaté LBJ.

« J’ai savouré cette journée de A à Z. Je suis retourné à l’hôpital et je me suis couché avec ma blonde et mon garçon. Thomas est venu nous rejoindre aussi. Ça restera une journée inoubliable. »

Après avoir aidé à élever le fils autiste de sa copine, Brodeur-Jourdain vit maintenant le rôle de père à temps plein. Il est parfois frappé de plein fouet par l’injustice selon laquelle la vie ne permet pas à Thomas d’apprendre aussi vite que son fiston de 10 mois peut le faire.

Chose certaine – et peu étonnante –, il s’assure d’être un père très impliqué.

« Luc est fidèle à lui-même comme père. Je l’ai vu, par moments, sensible et ému. C’est un papa vraiment attentionné, c’est un papa poule, on ne se le cachera pas! », a décrit Marie-Élaine sans jeu de mots volontaire avec le surnom parfois accolé à sa position au football.

« Ses habiletés parentales sont impressionnantes. Il a aussi partagé avec moi une partie du congé parental, ce qui a un impact positif sur son lien d’attachement avec Noah. Il a un lien privilégié avec son petit bonhomme, c’est sans surprise pour moi. Il est comme ça dans ses relations humaines », a conclu sa copine qui verra Luc s’occuper avec autant de cœur du prochain enfant de la famille qui est attendu au mois de décembre.

* Avec la collaboration de Didier Orméjuste et Mikaël Filion
** Jeudi, un deuxième article sera consacré à la partie football de la carrière de Luc Brodeur-Jourdain