COLLABORATION SPÉCIALE

J’ai été attristé comme plusieurs amateurs de sport d’apprendre cette semaine le décès à l'âge de 85 ans de John Madden, un homme que je considère comme un monument du football américain.

Ça m’a immédiatement ramené en 1981, à ma première année au CEGEP. Combien de dimanches à cette époque, puis à l’université ensuite, ai-je passés sur mon divan, tel une vraie « patate de sofa », à écouter le duo de Pat Summerall et John Madden décrire et analyser les matchs de la NFL? C’était vraiment « LE » duo par excellence.

Comme mes propres matchs de football étaient le samedi à cette époque, je me remettais le dimanche non seulement des petits bobos de la veille, mais aussi de la sortie en soirée qui s’en était suivie avec mes coéquipiers. Disons que l’annonce du décès de Madden m’a ramené tout droit dans ces années-là, lorsque je l’allais découvert.

L'élément qui ressort le plus pour moi est que John Madden n’était pas seulement un instructeur ayant connu du succès avec les Raiders d’Oakland, les ayant même conduits à un Super Bowl en 1976. Il n’était pas non plus seulement un analyste hors pair et un membre du Temple de la renommée de son sport.

Pour moi, il était avant tout un enseignant exceptionnel du football.

Cet homme avait une capacité phénoménale de simplifier les choses par rapport à un sport qui, fondamentalement, est très complexe. Il enseignait et faisait voir à son auditoire des choses qui autrement n’auraient pas été remarquées par le téléspectateur. En ce sens, il se distinguait énormément des autres analystes à la télévision.

Il a été l’un des premiers à attirer l’attention des gens vers le travail des lignes offensive et défensive, et vous savez peut-être à quel point c’est un aspect du football qui m’est cher. Il arrivait à illustrer la guerre des tranchées en nous montrant les mouvements de la ligne pour ensuite expliquer comment la suite du jeu a pu se déployer. Ce n’est qu’en regardant le travail de la ligne qu’on pouvait expliquer la succession d’actions qui s’en était suivie, et ça, Madden a été l’un des premiers à le faire reconnaître à ses téléspectateurs. 

Évidemment, son vocabulaire coloré et ses expressions ont également marqué les esprits. Les « Boom! » après un plaqué solide ou les « Doink! » après un ballon qui rate sa cible ou frappe un poteau sont devenus sa marque de commerce durant les reportages des matchs.

Son fameux « Telestrator » a également été une nouveauté dans son domaine. C’est lui qui a commencé à dessiner sur l’écran des gens. Ainsi, il arrivait à diriger l’attention vers quelque chose de concret sur un plan de caméra contenant 22 joueurs. Il s’agit d’un autre de ses outils nous ayant permis de mieux décortiquer le jeu. Ça semble banal aujourd’hui, comme si on comparait une PlayStation 5 à un Atari, mais à l’époque, c’était rien de moins que révolutionnaire.

Pour ajouter au côté « enseignement » de l’héritage que lègue John Madden, on n’a qu’à penser à sa populaire série de jeux vidéo Madden Football (puis ensuite Madden NFL). Combien d’amateurs de jeux vidéos au fil des ans ont approfondi leurs connaissances et appris à mieux connaître les subtilités de ce sport grâce à cela? D’une manière différente, il est venu démocratiser le football, le rendre accessible et amusant auprès d’un auditoire qui autrement n’aurait peut-être pas eu la piqûre.

À ce jour, Madden NFL est tellement devenu populaire que les joueurs du circuit Goodell sont curieux de connaître leur évaluation (« rating ») lorsqu’est mise en vente la nouvelle version du jeu. Ai-je obtenu une cote de 92 ou de 99? Ils ont hâte de tirer la pipe à leurs coéquipiers et leurs rivaux moins bien évalués qu’eux.

Bref, Madden a été un ambassadeur de la NFL comme il s'en est fait peu. Comment ne pas aimer ce personnage plus grand que nature?

Trois sujets me viennent en tête quand je pense à cet homme. Le football et les jeux vidéo comme je l’ai déjà mentionné, mais aussi la bouffe!

On n’a qu’à penser aux matchs de l’Action de grâce durant lesquels on le voyait arriver avec ses dindes à six cuisses (d’ailleurs, on ne sait toujours pas d’où elles provenaient!). Le joueur du match se faisait plaisir de prendre une bonne bouchée en entrevue après la rencontre. Il nous a également proposé la « Turducken », ce mets invraisemblable composé de poulet, de canard et de dinde désossées. Pas besoin de vous dire que ça me rejoignait dans mes intérêts!

Je me rappellerai toujours que Madden, avec sa touche d’humour bien à lui, avait affirmé qu’il ne fallait jamais laisser à une personne mince la responsabilité de s’occuper de la mise sur pied d’un buffet!

Il divertissait et il informait

Pour revenir à la qualité de son travail à la télévision, je me rappellerai également qu’avec John Madden, il n’y avait jamais de temps mort car il avait toujours une façon de nous divertir ou de nous informer.

Des exemples, il y en a à n’en plus finir, mais l’un de ceux qui m’ont marqués est survenu lorsqu’il s’était servi de son « Telestrator » pour dessiner sur le visage d’un jeune Troy Aikman, afin de nous montrer à quel point ce dernier n’avait aucune chance de se faire pousser une barbe, et encore moins une moustache! 

Dans un autre match joué par temps froid, il avait commencé à disserter sur le phénomène de l’évaporation de la chaleur lorsqu’on avait vu la fumée s’échapper de la tête de Nate Newton, des Cowboys, après que celui-ci ait retiré son casque. Je vous dis, c’est tout juste si on n’était pas rendus dans un cours de biologie!

Le football est un sport dans lequel il y a des temps morts entre les jeux, et Madden avait une façon remarquable de combler ce temps.

Il y a de cela belle lurette, chaque équipe avait un membre du personnel sur les lignes de côté dont la responsabilité était de regarder un système vidéo branché à des imprimantes. Son mandat était de prendre des captures d’écran et de les faire imprimer, pour ensuite retranscrire des informations au crayon (exemple : 1er essai et 10 à la ligne de 35, 2e essai et 5 à la ligne de 40, etc.) Les entraîneurs prenaient ces photos, allaient voir leurs joueurs, et leur présentaient ce que l’équipe adverse avait fait sur la dernière séquence.

Ça nous semble bien sûr archaïque à ce jour puisque chaque instructeur possède sa tablette Microsoft qui l’informe de tout cela en temps réel. Mais à l’époque, ça commençait à peine et les téléspectateurs n’étaient pas familiers avec cette technologie. J’ai le souvenir que Madden avait pris le temps de nous expliquer à la télévision tout ce fonctionnement avec des dessins. C’était cela, le genre de valeur ajoutée qu’on retrouvait dans les matchs analysés par cet homme passionné. Il a carrément amené la télédiffusion des matchs à un autre niveau.

Cet homme n’a jamais semblé non plus être transformé par l’ampleur de son succès. Il semblait un bon vivant, un gars terre-à-terre qui connectait avec le peuple. Il en a vu à la tonne des gens durant ses années à voyager à bord du Madden Cruiser, qui a commencé à rouler en 1987. Mine de rien, son autocar tournait certaines saisons à près de 130 000 km, puisque Madden avait une peur maladive de prendre l’avion. Entre deux grandes ville américaines, il s’arrêtait dans de petites villes pour un plein d’essence, un repas, pour faire un téléphone, et bien entendu, il ne passait pas inaperçu. C’était un événement, quand le Madden Cruiser était de passage dans ton village!

De par son âge, Madden était moins présent dans l’univers médiatique au cours de la dernière décennie. La dernière fois qu’il a réellement été sous les projecteurs remonte à son intronisation au Temple de la renommée, en 2006. Fidèle à son habitude, il y était allé d’une citation savoureuse, se demandant à la fin de son discours si le soir, après le départ des visiteurs et du personnel du Temple, les bustes des légendes du football se mettaient à se jaser, à se raconter de bonnes vieilles anecdotes. Ça, c’est du Madden! Encore une fois, il avait trouvé une façon originale et imagée de dire les choses.

Dimanche, lorsque l’on respectera une minute de silence dans chacun des stades de la NFL en l’honneur de John Madden, on aura une preuve supplémentaire de l’énorme empreinte laissée par cet homme sur le sport qu’il adorait tant.

Un personnage plus grand que nature et un incontournable lorsqu’il s’agit de gens ayant contribué à faire exploser la popularité du football américain.

* propos recueillis par Maxime Desroches