MONTRÉAL - Jouer un match de football par semaine est-il trop pour le cerveau? Les résultats préliminaires d'une étude québécoise tendent à démontrer que oui, mais le monde du football universitaire serait-il prêt à changer ses pratiques pour limiter les risques? Tour d'horizon sur le sujet.

À l'automne 2019, le neuropsychologue et professeur à l'Université de Montréal Louis De Beaumont et son équipe ont lancé leur projet de recherche Tête première, dont le but était de vérifier, d'une semaine à l'autre, les effets des matchs de football sur le cerveau des athlètes universitaires.

Les chercheurs ont suivi pendant plusieurs matchs 38 joueurs de football des universités Concordia et McGill, ainsi que de l'Université de Montréal.

Après avoir analysé les données recueillies, le Dr De Beaumont a remarqué, sans grande surprise, que le cerveau d'un athlète subit des dommages lors d'un match de football, en raison des nombreux chocs à la tête encaissés.

Et selon ce qu'a observé le chercheur, le cerveau des joueurs n'aurait pas le temps de récupérer avant le match suivant dans plusieurs cas, ce qui lui fait remettre en question la pertinence de jouer un match par semaine, comme c'est le cas présentement au football universitaire québécois et dans la majorité des ligues nord-américaines.

« C'est très arbitraire la raison pour laquelle on joue un match par semaine au football. C'est vraiment une question de tradition, souligne le Dr De Beaumont.

« On ne s'est jamais demandé si c'était bon pour l'athlète de bâtir le calendrier ainsi. On sait qu'une saison de football est dommageable pour le cerveau, mais on n'a jamais regardé ce qui se passe d'une semaine à l'autre. Je crois que la réponse se trouve là. »

Le projet de recherche du Dr De Beaumont n'en est qu'à sa première année. Il a été interrompu en 2020 par la pandémie de COVID-19, mais le chercheur espère recueillir des données pendant quatre autres saisons pour confirmer les tendances qu'il a observées.

Déjà, il pointe du doigt la manière dont le calendrier est organisé.

« Ce qu'on observe actuellement, c'est que le cerveau n'a que très peu de temps pour récupérer, parce que dès le lendemain ou le surlendemain d'un match, le joueur va recommencer à s'entraîner pour se préparer au match suivant. Peut-être qu'avoir seulement quelques jours de plus de repos avant de reprendre l'entraînement pourrait faire une grande différence », selon le neuropsychologue.

Lorsque l'étude sera complétée, le Dr De Beaumont pourra offrir des recommandations aux fédérations sportives pour les aider à rendre le sport plus sécuritaire, et la balle, ou le ballon, sera dans leur camp pour les appliquer ou non.

Des joueurs ouverts à l'idée

Évidemment, il faudra attendre le rapport complet du chercheur et de son équipe pour tirer des conclusions définitives. La Presse Canadienne a néanmoins abordé le sujet avec plusieurs joueurs qui ont participé à l'étude pour connaître leur avis sur ces résultats préliminaires.

Si les trois athlètes rencontrés ont mentionné être ouverts à l'idée d'échelonner davantage les matchs dans le temps, certains y voient tout de même des inconvénients.

« On développe notre forme physique en jouant des matchs, donc s'il y avait une trop longue pause entre les parties, cela pourrait avoir un impact négatif sur la performance », note le joueur de ligne défensive des Carabins de l'Université de Montréal, Philippe Lemieux-Cardinal.

Il faudrait donc trouver « un juste milieu », selon lui.

Actuellement, chacune des cinq équipes de football du circuit universitaire québécois dispute huit matchs sur une période de neuf semaines, en plus des rencontres éliminatoires, entre la fin août et la mi-novembre.

Jean-Philippe Hudon, du Vert et Or de l'Université de Sherbrooke, abonde dans le même sens.

« Ça pourrait être plus (que sept jours entre les matchs), mais moi je n'ai jamais senti le besoin d'avoir plus qu'une semaine pour récupérer physiquement », souligne celui qui portait les couleurs de l'Université McGill lorsqu'il a participé au projet.

Mais pour le maraudeur des Redbirds de McGill, Alexandre Paré, la question ne se pose pas.

« Si le Dr De Beaumont voit qu'une semaine, ce n'est pas suffisant, je ne vois pas pourquoi on n'ajusterait pas les calendriers scolaires.

« Les commotions cérébrales ont longtemps été un sujet tabou au football, mais c'est important d'être conscient des risques que notre sport peut avoir sur notre santé », affirme l'étudiant en kinésiologie.

Difficile à appliquer

Dans la pratique, espacer davantage les matchs de football pourrait être difficile à appliquer, fait remarquer le président-directeur général du Réseau du sport étudiant du Québec (RSEQ), Gustave Roel.

Selon lui, il serait difficile d'augmenter l'écart à 10 jours entre les matchs, puisque cela impliquerait des parties en milieu de semaine pour les étudiants-athlètes. De plus, il ne serait « pas envisageable » pour le RSEQ de doubler la durée du calendrier pour laisser deux semaines entre les rencontres.

« Si l'étude arrivait à une conclusion forte, il faudrait qu'il y ait une entente entre les universités et que les autres fédérations, comme le U Sports, s'adaptent à leur tour », affirme Roel, qui rappelle que le RSEQ respecte actuellement toutes les normes en place.

En ce moment, l'horaire de la saison est planifié en fonction du calendrier scolaire des universités, qui débute à la fin du mois d'août.

L'entraîneur-chef du Vert et Or de l'Université de Sherbrooke, Mathieu Lecompte, confirme qu'entreprendre plus tôt la saison de football universitaire viendrait avec son lot de défis.

« Étaler davantage le calendrier pendant l'été demanderait un remaniement complet du fonctionnement de notre sport, et ce serait plus difficile à faire accepter dans le reste du Canada, qui tient beaucoup à une saison qui débute en septembre », selon lui.

« Mais, si ça devient un enjeu de sécurité pour nos étudiants-athlètes, il n'y a rien qui empêche le Québec de faire figure de pionnier. »

L'entraîneur serait prêt à appuyer une telle refonte, mais il serait impératif pour lui que le nombre de matchs ne soit pas revu à la baisse.

Lecompte rappelle cependant qu'il faudra des données scientifiques solides pour convaincre le monde du sport de revoir ses façons de faire, un point de vue partagé par le coordonnateur médical du Rouge et Or de l'Université Laval, Raphaël Morin.

« C'est une belle piste qui est ouverte, et selon les résultats (du Dr De Beaumont), on pourra se pencher sur la question pour adapter le sport. Au final, c'est la sécurité des athlètes qui compte », souligne le physiothérapeute.

L'équipe du Dr De Beaumont déposera une demande de financement d'environ un million $ auprès de l'Institut canadien de recherche en santé pour assurer la suite du projet, qui doit reprendre dès l'automne 2021.

Le neuropsychologue n'exclut pas d'étendre ses recherches à d'autres sports et à d'autres groupes d'âge une fois la portion sur le football universitaire complétée.