MONTRÉAL – Le plan, tel que l’avait conçu Alexis Gravel en se préparant pour le championnat canadien de hockey universitaire, était de prolonger d’une dizaine de jours son séjour dans la région d’Halifax. Le jeune gardien, qui a joué cinq ans avec les Mooseheads dans la LHJMQ, pensait faire d’une pierre deux coups et rester en visite chez la belle-famille. La vie, se disait-il, fait bien les choses.

Il avait raison. C’est d’ailleurs exactement pour ça que le plan, finalement, a pris le bord.

Gravel était dans l’autobus qui ramenait les Patriotes de l’UQTR au Québec lundi au lendemain de leur première conquête d’un titre national depuis 2003. La voix rauque après une longue nuit de célébrations, il justifiait sa décision sans aucun remord. Sa copine, assurait-il, avait approuvé son nouvel itinéraire.  

« Quand tu gagnes, tu veux rester avec les boys. Je pense qu’il y a d’autres partys prévus cette semaine! Je ne pouvais pas manquer ça. Halifax, j’y retournerai cet été. »

Gravel vient de livrer la performance de sa vie. Les Patriotes perdaient 4-2 contre l’Université de l’Alberta dimanche en grande finale. Ils ont réussi à créer l’égalité en troisième période, puis ont été déclarés champions après un but de Simon Lafrance en deuxième prolongation. Cette remontée aurait été impossible sans le brio de leur gardien. Quand il s’est débarrassé de son masque et a quitté son demi-cercle pour rejoindre les célébrations, Gravel avait été bombardé de 70 lancers.   

« Pour moi, c’est comme un miracle, ce qui s’est passé hier, s’emportait son père, François Gravel, lorsque RDS l’a contacté. On va s’en rappeler longtemps. »

Le fier paternel, un ancien choix des Canadiens, a brièvement côtoyé Ron Tugnutt au sein du club-école des Nordiques à la fin des années 1980. Il compare ce que son fils vient de réussir au match de 70 arrêts qui a fait entrer son ancien coéquipier dans la légende en 1991.

Alexis, qui est né le 21 mars 2000, neuf ans jour pour jour après l’exploit de Tugnutt, n’en avait jamais entendu parler avant d’en faire sa plus belle imitation.

« Les coaches m’en ont parlé hier. Je ne connaissais pas ça, mais je trouve ça drôle. C’est vrai que j’ai reçu beaucoup de rondelles, mais les gars m’ont bien protégé. Personnellement mon état d’esprit, c’était "donne tout ce que t’as à donner jusqu’à temps que tu gagnes le trophée". Pis ça a payé. J’étais vraiment dans ma bulle. J’arrêtais pas tant qu’on gagnait pas. »

Dans sa jeune carrière, Gravel s’était souvent approché de l’ivresse des grandes victoires sans jamais pouvoir en ressentir les effets euphorisants. À l’âge de 15 ans, il a dû se contenter de la médaille d’argent après une défaite contre les États-Unis aux Jeux olympiques de la jeunesse à Lillehammer en Norvège. Trois ans plus tard, il a perdu en finale des séries éliminatoires de la LHJMQ et en finale du tournoi de la coupe Memorial en l’espace de quelques semaines.

« Ça, ça a fait extrêmement mal. Depuis trois ans, je me demande ce que j’aurais pu faire de mieux en finale. T’sais la fenêtre, elle s’ouvre mais elle ne reste pas ouverte longtemps. Là, on a saisi l’opportunité et on a gagné deux championnats. Je suis tellement content, tellement fier. Personnellement, j’avais hâte de gagner. J’étais vraiment dû. »

La victoire dans cet ultime match est aussi venue mettre un baume réparateur sur les déceptions vécues par Gravel durant son court passage chez les professionnels. Après avoir profité d’une invitation au camp du Canadien l’automne dernier, l’ancien choix de sixième ronde des Blackhawks de Chicago n’a suscité l’intérêt d’aucun club de la Ligue américaine et n’a même pas donné le goût du risque aux Lions de Trois-Rivières.

Sa seule chance lui a été accordée par les Americans d’Allen, un club de la ECHL domicilié au Texas. Il y a passé seulement deux matchs avant d’être éjecté de son poste. La précarité des ligues mineures lui a rentré dedans. C’est à ce moment qu’il s’est laissé séduire par les Patriotes, qui ont annoncé son arrivée en novembre.  

« Quand je suis arrivé à Trois-Rivières, j’ai rencontré Marc-Étienne [Hubert, l’entraîneur] et je lui ai dit que je voulais gagner. Parce que quand tu gagnes, tu es étiqueté champion pour toujours. Même si j’avais bien fait en séries à la coupe du Président, je n’avais pas gagné. Si j’avais gagné, je pense que ça aurait peut-être été mieux pour moi au niveau professionnel. Dans le fond, mon objectif c’était de venir avec les Pats, donner tout ce que j’avais, essayer de ramener la coupe Queen’s et après ça ramener la U Cup. Je peux dire mission accomplie. »

Accomplie, mais pas nécessairement terminée. Gravel ne sait pas quelles sont les chances que ses récentes performances soient arrivées aux oreilles des bonnes personnes et à vrai dire, bien assis dans un bus entre la Nouvelle-Écosse et la Mauricie, c’est un peu le dernier de ses soucis. Parmi ses priorités, il y a le prochain party, oui, mais il y a aussi l’achèvement de son baccalauréat en administration des affaires.  

Pour le reste, il semble assez clair que sa loyauté passera avant l’attrait immédiat d’un chèque de paie.

« Quand j’ai été libéré de la ECHL, je n’avais nulle part où aller et les Pats m’ont pris. Ils m’en ont donné, je leur en ai donné. Mon objectif maintenant, ce n’est pas d’aller pro l’an prochain. Si l’offre est là et que je n’ai pas le choix de dire oui, je vais le faire. Mais si ce n’est pas un no brainer, je veux vraiment être un Patriote. »