MONTRÉAL – Si c’était à refaire, est-ce que Simon Jodoin continuerait à jouer au hockey en poursuivant ses études universitaires? Est-ce qu’il ferait le voyage jusqu’à Moncton, à 17 ans, pour participer au camp d’entraînement des Wildcats? Ou aurait-il rangé ses patins avant même de passer deux saisons midget avec les Gaulois du Collège Antoine-Girouard?

« Je ne le sais pas, lâche-t-il après une hésitation bien sentie. Mais il y a beaucoup de décisions que je changerais, si je pouvais, pour ne pas avoir à passer où je suis passé. »

Les questions, les doutes, les remords, Jodoin les ressent comme autant de lames bien tranchantes sur sa peau depuis qu’une commotion cérébrale l’a plongé dans le noir il y a deux ans. Il en avait subi six durant sa carrière de hockeyeur. La première dans un match à Drummondville à sa saison recrue dans la LHJMQ, à 18 ans. « Et à partir de là, quasiment une par année pendant que j’ai joué au hockey compétitif », calcule-t-il dix ans plus tard.

La sixième l’avait convaincu d’accrocher ses patins. C’est une décision qu’il avait prise avec fierté, convaincu d’avoir arrêté à temps. Mais il y en a eu une septième, résultat d’une bête collision à la maison, et ses effets ont été pires que la combinaison de toutes celles qui avaient précédé.

« Au début, dans les premiers mois, j’avais beaucoup de ces pensées-là. Est-ce que j’aurais dû, est-ce que j’aurais pu... Est-ce que j’aurais dû poser plus de questions? Est-ce que j’aurais dû faire des traitements plus tôt. Est-ce que j’aurais dû jouer au hockey? Ça vient te hanter. C’est vraiment dur de ne pas les écouter. »

La liste des symptômes qu’a ressentis l’ancien défenseur depuis la dernière fois qu’il a été mis K.-O. donne mal à la tête. « Migraines ophtalmiques, étourdissements, maux de tête, pression dans la tête, vision floue, tensions dans le cou, sensation d’être dans le brouillard, acouphènes », énumère-t-il. Le sentiment d’être à côté de son propre corps. Les tâches banales du quotidien s’élèvent devant lui comme une insurmontable montagne et le temps n’est porteur d’aucun progrès. Les médecins n’ont aucune garantie à offrir.

C’est ce qui est le plus pesant : la maladie ne semble avoir aucune date d’expiration.

« Je ne suis pas le genre de gars qui a l’habitude de s’apitoyer sur son sort et je sais qu’il y a des gens qui sont dans de situations pires que ça. Mais ça a été tellement difficile pour moi au début juste d’en parler avec du monde, de dire : "Regarde, je ne peux même pas aller prendre une marche". Quand tu ne l’as jamais vécu, c’est difficile à comprendre. Même les membres de mon entourage proche, ça a été long avant qu’ils comprennent. »

Éventuellement, l’anxiété s’est incorporée au cocktail et la dépression a été diagnostiquée. Les pensées suicidaires sont venues faire leur tour, mais la gravité de la situation a eu des effets négligeables sur la compréhension générale de son état.

« Les premiers mois, je dirais même la première année, il n’y a pas grand monde qui saisissait. Ça disait : "Il ne doit pas être si pire que ça"... J’ai eu une opération à cœur ouvert en 2017 et beaucoup de gens me disaient comment ça devait me faire mal. Mais l’opération, c’est rien! Si vous saviez à quel point j’ai dix fois plus mal avec le reste. L’opération, ils t’ouvrent et ça fait mal, mais tu sais que c’est réglé après. Tu n’as plus l’inquiétude de te demander : "Je suis supposé avoir quoi comme attente pour le reste de ma vie?" »

« Ça vient de partout, c'est fou »

En fin d’après-midi, mardi, Jodoin n’était pas aussi fatigué qu’il le devient normalement pendant une longue conversation. Ce regain d’énergie, il l’attribuait à une « poussée d’adrénaline » suscitée par la popularité inattendue d’une campagne de financement qu’il avait officiellement lancée quelques heures plus tôt.

Mise sur la mappe par un article publié dans le quotidien l’Acadie Nouvelle, l’initiative a été un succès instantané. David Savard, un ancien coéquipier avec les Wildcats, y a réagi avec un poignant témoignage sur son compte Instagram. Le capitaine des Blue Jackets de Columbus, Nick Foligno, a contribué à engraisser la cagnotte. Au moment d’accorder une entrevue à RDS, vers 17 h, Jodoin avait récolté plus des deux tiers de la somme de 30 000$ qu’il visait d’atteindre. En fin de soirée, grâce à la générosité de plus de 300 donateurs, son objectif avait déjà été dépassé.

« Je suis un peu... je suis un peu sans mots. Je ne m’attendais jamais à ce que ça explose comme ça. Je prenais des pauses, je ne peux pas être à l’ordi tout le temps, mais à chaque fois que je l’ouvrais, j’étais comme "Wow!" C’est fou... »

« C’est incroyable de voir que des gars avec qui j’ai joué, mais aussi d’autres gars que je n’ai même jamais croisé ou des gens qui ont des enfants qui ont joué avec moi, ont été interpellés, s’émerveillait le natif d’Otterburn Park. Ça vient de partout, c’est fou. Il y a tellement de gens de Moncton qui m’ont aidé. Le monde du hockey, c’est une grande communauté, mais c’est tissé serré. »

Mais pourquoi une campagne de financement? Parce que plutôt que de regarder des spécialistes se renvoyer la balle, Jodoin a décidé d’explorer lui-même d’autres avenues... et il en a trouvé une qui le remplit d’espoir. À Montréal se trouve l’une des rares cliniques en Amérique du Nord à offrir un traitement expérimental centré sur le PoNS, un stimulateur qui vise à rétablir la plasticité du cerveau et enrayer les symptômes rattachés à une commotion cérébrale.

En novembre, Jodoin a défrayé les 5000 $ requis pour réserver sa place pour le programme, qui s’étend sur une durée de 14 semaines. L’évaluation de son dossier est prévue pour le 21 février et le début des traitements pour la mi-mars. La somme qu’il a amassée lui permettra d’assumer tous les frais inhérents, qui s’additionnaient déjà à tout ce qu’il avait déboursé dans les deux dernières années pour tenter d’améliorer sa condition.

La partie n’est pas encore gagnée, les idées noires loin d’être dissipées. « Mais là j’essaie de ne plus les avoir et de me concentrer sur ce que je pourrais faire pour améliorer ma situation, sur ce qui est devant moi et non derrière, se motive Simon Jodoin. C’est pour ça que je me dis que je dois me battre. Je dois essayer de mettre toutes les chances de mon côté pour essayer de m’en sortir et avoir des réponses pour d’autres personnes qui sont dans une situation similaire. »

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