MONTRÉAL – Les larmes coulent sur le visage de Denis Gauthier. Son agent Gilles Lupien, qu’il aime appeler son Jerry Maguire, n’a plus que quelques mois à vivre. Une conclusion trop hâtive, qui brise le cœur de ses proches, pour celui qui a passé sa vie à défendre les autres. 

Le matin de l’entrevue, Gauthier avait trouvé le courage d’appeler Lupien quelques jours après avoir appris la terrible nouvelle de la voix brisée de son grand allié, Enrico Ciccone.

« J’ai pleuré ce soir-là, j’ai eu beaucoup de peine. [...] C’est une personne que j’aime et que j’apprécie grandement pour ses valeurs », a confié Gauthier envahi par les émotions. 

Cette profonde amitié durant depuis 30 ans entre les deux hommes. À son année bantam à St-Jean-sur-le-Richelieu, Lupien avait abordé Gauthier et sa famille avec les valeurs qui le définissent encore. 

« Ça n’a pas vraiment été long parce que le fit était parfait avec nos personnalités. Gilles n’imposait pas de pression, il mettait à l’avant-plan le bien-être du jeune et son développement. D’autres agents sont venus me parler, mais le courant était trop bon avec Gilles. J’avais l’impression d’être avec un ami plus qu’un agent », s’est souvenu l’ancien défenseur. 

À cette époque, Gauthier ne se croyait même pas assez bon pour la LNH. Mais Lupien savait lire le potentiel chez un défenseur imposant, courageux et dévoué pour les autres. Après tout, c’est exactement avec ce profil que Lupien a connu une carrière dans la LNH. 

Au fil de son parcours, Gauthier s’est fait dire plusieurs fois que d’autres agents pourraient lui dénicher plus d’argent. Cet argument n’a jamais battu le précieux lien qui existait entre eux. 

« Je leur répondais ‘Tu ne comprends pas ce qu’on vit ensemble!’ Il a toujours été mon Jerry Maguire, c’est comme ça que je l’ai décrit. Ma relation avec lui était comme celle de Tom Cruise avec son joueur de football », a-t-il raconté avec des mots sentis. 

Pour Pierre Mondou, le premier contact avec Lupien n’a pas été aussi plaisant. 

« Au début, j’aimais moins le croiser parce que je jouais contre lui dans le junior et il était très physique », a expliqué Mondou en riant. 

« Mais dès notre première rencontre, au camp d’entraînement du Canadien, on est devenus des amis tout de suite! Le courant a passé immédiatement et on a habité ensemble pendant deux ans à Halifax dans la Ligue américaine », a ajouté celui qui doit à Lupien son surnom du Mousse qui l’a suivi toute sa vie dans le milieu du hockey. 

Sur la glace, l’histoire est bien connue : Lupien jouait le rôle de protecteur pour des joueurs de talent comme Mondou et Guy Lafleur. Mais l’influence du colosse originaire de Brownsburg (près de Lachute) ne s’arrêtait pas là. 

« Dans mes premières années, je ne parlais pas bien anglais et, à cette époque, il fallait parler à une opératrice pour effectuer un appel longue distance. Faque, c’est Gilles qui faisait tous mes appels, il était donc mon traducteur et mon protecteur sur la glace! On était bien chanceux l’avoir », a avoué Mondou avec amusement et reconnaissance. 

Grâce à plusieurs joueurs inébranlables dont Lupien, le Canadien a empêché les Flyers de Philadelphie d’imposer leur règne de terreur à long terme au milieu des années 1970. Par contre, Lupien n’a jamais aimé ce mandat et le qualificatif de « goon » l’insultait au plus haut point. 

Mondou a rappelé que Lupien avait même quitté le hockey durant la saison 1972-1973. 

« Gilles n’était pas malin de nature. Il s’est tellement chicané avec Ghislain Delage, l’entraîneur Castors de Sherbrooke, au point de retourner chez lui, il ne voulait plus jouer ce rôle », a noté Mondou. 

C’est Roger Bédard, du Canadien junior, qui l’a fait changer d’idée en lui promettant plus de latitude. 

La confiance plutôt qu’un contrat

Sylvain Couturier, le père de Sean, est également lié à Lupien depuis des lunes. Leur confiance était si réciproque que Sean n’a jamais signé de contrat depuis qu’il est devenu son agent. 

« Ça s’est fait avec une poignée de mains. Ça fait quand même 12 ou 13 ans qu’il représente Sean. J’ai beaucoup de respect pour Gilles même si on a eu nos divergences d’opinion vu que je travaille dans la LHJMQ. Sean est rendu à un âge auquel il peut prendre ses propres décisions, il aurait pu changer n’importe quand, mais il n’a jamais eu le goût d’aller ailleurs », a souligné le directeur général du Titan d’Acadie-Bathurst.

Couturier a été sous le choc en apprenant le triste verdict il y a une quinzaine de jours. Il croyait que Lupien s’était sorti de cette galère et il aurait aimé pouvoir raconter cette anecdote avec autant de plaisir qu’il y a quelques mois.    

« Il y a deux ans, on avait fait un voyage ensemble à Philadelphie et j’avais amené Gilles mangé dans une petite binerie où je vais toujours, disons que ce n’est rien de très chic. En sortant, Gilles m’avait dit ‘Hey, la salade ne passe pas. Je ne peux pas croire que tu m’as amené manger ici’. Il n’avait pas fini le voyage avec nous, il était revenu au Québec tellement il n’avait pas filé pendant deux ou trois jours. C’est à son retour à Montréal que les médecins lui avaient découvert un cancer de l’intestin. Je lui disais que mon restaurant lui avait sauvé la vie, qu’il n’aurait jamais su qu’il avait le cancer. Depuis un an, chaque fois qu’on se parlait, on faisait bien des farces avec ça. Mais quand il m’a annoncé la nouvelle, je peux te dire que je n’avais pas le goût de plaisanter… », a témoigné Couturier avec le cœur serré. 

Des rires au lieu de la tristesse 

Dans la touchante chronique de Réjean Tremblay, Lupien a bien insisté qu’il ne voulait pas faire pleurer personne avec son histoire. Ce n’est pas tout simplement pas à son image. On présume qu’il aurait aimé qu’on termine cet article avec des anecdotes divertissantes. 

« Quand j’ai signé mon premier contrat professionnel, j’étais prêt à acheter ma première voiture. Il faut que ça se dépense, à un certain moment, cet argent. Je voulais acheter un Toyota 4Runner, un gros 4x4. À ma grande surprise, il m’a empêché de l’acheter! Il m’a dit ‘C’est trop gros, tu n’as pas besoin de ça et ça coûte trop cher d’essence’ donc j’ai fini par acheter ... une Honda Civic », s’est rappelé Gauthier qui a retenu plusieurs leçons de cet épisode.   

De son côté, Mondou se souvient des nombreuses heures à ses côtés en avion. 

« On était toujours assis ensemble et on détestait l’avion! On se faisait toujours des peurs. Je m’en rappellerai toujours : on prenait l’avion d’Halifax à Boston et on devait faire un arrêt à Dartmouth et ça brassait tout le temps, c’était une aventure chaque fois ! Avec le Canadien, on avait des vols nolisés avec des avions à hélices, des DC-3, et ce n’était pas plus plaisant. L’avion nous énervait plus que le match ! », a rigolé Mondou alors que le CH était une puissance de la LNH. 

« Quant aux histoires sur la glace, je me souviendrai toujours d’un gars qui jouait junior pour Cornwall, John Wensink. Il était fort, aussi fort que Gilles. Toute sa carrière, Gilles a été pogné avec ce maudit John dans ses pattes. Il l’affrontait avec le Canadien junior. Ça s’est poursuivi dans la Ligue américaine et on a dû jouer 20 matchs contre son équipe durant une année. Il a continué de le croiser dans la LNH avec Boston, c’était vraiment son grand rival! Gilles a tenu son bout contre lui », a exposé Mondou. 

Lupien a souvent fait rire ses proches, mais il quittera aussi en laissant un héritage à sa grandeur. Après sa carrière, il s’est férocement battu pour le bien des jeunes hockeyeurs avec le dossier de l’abolition des bagarres au sommet de la liste.  

« C’est triste à voir, mais les gens vont se rappeler de lui et la cause pour laquelle il s’est battu. Il a dit ce qu’il avait à dire, sans jamais avoir de filtre. Tu ne laisses personne indifférent dans ce temps-là, mais les gens vont se souvenir de Gilles comme un homme qui s’est battu pour les jeunes », a reconnu Couturier. 

Le cancer qui s’abat sur son proche ami fait réaliser à Mondou que cette maladie fait des ravages chez les anciens du Canadien. 

« Dans notre groupe d’âge, on dirait qu’il y en a beaucoup dans notre gang du Canadien. Gilles et moi, on était bien amis avec Bill Nyrop qui est décédé (à 43 ans) du cancer », a-t-il noté avec regret.  

Si les excellents souvenirs sont nombreux, la fin de l’histoire de Lupien ne sera pas aussi heureuse que celle du film Jerry Maguire. Il a choisi de vivre ce dernier chapitre dans une certaine discrétion. 

« C’est un tough, ça ne me surprend pas tant. Ça le représente très bien, il n’a jamais voulu déranger le monde avec ses histoires. Il a toujours pensé aux autres... », a conclu Gauthier en résumant le tout à la perfection malgré les pleurs.