MONTRÉAL – Le 14 avril, le Canadien aurait voulu célébrer le 60e anniversaire de sa cinquième conquête consécutive de la coupe Stanley en 1960 sauf que la pandémie ne s’y prête pas. La petite voix était toutefois trop forte, il fallait s’enquérir de la santé que de quelques acteurs de ce championnat. 

On ne pouvait pas les oublier particulièrement pendant la crise actuelle qui touche les personnes âgées. Au fil des années, de grandes légendes de cette dynastie sont allés retrouver leur forme d’antan dans le ciel. On pense ici aux Maurice et Henri Richard, Jean Béliveau, Bernard Geoffrion, Dickie Moore et compagnie. Mais, heureusement, il reste quelques représentants de cette époque fabuleuse. On amorce ce tour d’horizon avec Marcel « l’ours » Bonin et on enchaînera avec Phil Goyette et André « le kid » Pronovost. 

Véritable force de la nature, Marcel Bonin ne pouvait pas hériter d’un autre surnom après avoir accepté de se battre contre un ours de 650 livres! Certes, l’animal était dégriffé et édenté, mais vous pouvez imaginer le courage que ça prenait pour s’attaquer à ce défi difficile à croire en 2020. 

À 88 ans, le temps a fini par faire son œuvre même contre celui qui a épaté et protégé ses coéquipiers grâce à sa puissance. Les jambes sont plus faibles depuis quelques années, il porte un appareil auditif et sa vue a particulièrement dépéri dans l’œil droit. 

Mais la mémoire tient toujours le coup. Au bout du fil, on sent le plaisir dans sa voix de revivre ces précieux souvenirs. Impossible de nier que le « timing » est opportun pour se divertir l’esprit. Heureusement, selon ce qu’il en sait, aucun cas de la COVID-19 n’a été répertorié dans sa résidence de personnes âgées à Saint-Charles-Borromée. 

« Mais on est comme en prison, on ne sort pas. Ils viennent nous porter nos repas dans nos appartements. Avant, je lisais beaucoup sur l’histoire, mais je ne peux plus lire bien bien. Je regarde la télévision et j’ai justement vu sur Facebook, les images de la dernière partie de 1959. On voit mon but vainqueur (à 7 :39 de cette vidéo). On avait gagné ce match 5-3 si je me souviens bien », a raconté Bonin avec justesse qui avait surpris pendant ce parcours éliminatoire avec 10 buts et 5 passes en 11 matchs alors qu’il avait emprunté les gants de Maurice Richard qui était blessé. 

Le printemps suivant, en 1960, Bonin avait repris son rôle de supporter les gros canons et il avait amassé un but et quatre aides. Tout a fonctionné à merveille alors que le Canadien a balayé ses deux adversaires (Chicago d’abord et Toronto en finale) pour le dernier tour de piste du Rocket. 

« On ne m’employait pas pour compter des buts. J’étais plutôt un joueur défensif dans un sens. Quand c’était une partie plus robuste, je jouais plus souvent. Dans notre temps, mettons que Geoffrion ou Béliveau se blessaient, n’importe qui était capable de le remplacer pour quelques parties. On jouait vraiment tous pour gagner et on avait chacun des qualités », a précisé Bonin qui récupérait une multitude de rondelles pour les deux vedettes de son trio.

Sur ces magnifiques images, on le voit être frustré par la tête du gardien Johnny Bower à 1 :40 en plus de réussir une superbe passe à Béliveau sur le dernier but de la finale à 9 :24. 

Le championnat de 1960 avait aussi été le premier pour lequel le Canadien avait remis une bague de la coupe Stanley à ses joueurs. Un cadeau qui était tout sauf banal à cette époque moins payante pour les joueurs. 

En 1955, il avait savouré sa première coupe Stanley auprès de Gordie Howe dans l’uniforme des Red Wings de Detroit. Après une année moins fructueuse avec les Bruins de Boston, il a rejoint le Canadien pour la saison 1957-1958 ce qui lui a permis de soulever le précieux trophée trois autres fois.  

« À Montréal, on ne parlait pas de première ligne ou troisième ligne, on était tous sur un pied d’égalité. On était une équipe, comme des frères. Quand on embarquait sur la glace, c’était toujours pour gagner », a tenu à souligner Bonin qui n’a plus le temps de lancer des fleurs sans raison à son âge. 

Bonin ne rêvait pas nécessairement au Canadien

Né à Montréal, Bonin a découvert la magie du Tricolore d’une façon savoureuse. 

« Quand j’étais jeune, j’écoutais le Canadien à la radio. J’étais au collège et on avait de petits radios cristal. On écoutait les matchs avec la couverte par-dessus la tête parce que c’était défendu. On accrochait la radio après nos springs du lit. C’était la Punch Line de (Toe) Blake, Bert (Olmstead), (Maurice) Richard dans les années 40 », s’est souvenu Bonin en riant du stratagème. 

Ça ne signifie pas que Bonin a rêvé toute son enfance de suivre les traces de patin de ces monuments. 

« Pas nécessairement, j’étais déjà bien heureux quand je me suis rendu junior. J’étais satisfait. Je ne pensais pas trop à la LNH. Mais je me souviens quand mon père m’avait amené au Forum à la cérémonie pour Howie Morenz en (19)37. Il avait été exposé sur la glace, ça m’avait bien impressionné, mais il faut dire que je n’étais pas vieux (6 ans). Mon père me parlait de ce joueur », a déclaré l’ancien numéro 18. Marcel Bonin

Ce souvenir a sûrement été d’autant plus marquant puisque son père est décédé peu de temps après alors que Bonin n’était âgé que de sept ans. Il n’a pas oublié ses premiers pas sur la glace avec son père dans des champs du quartier La Petite-Patrie à Montréal et de la joie de découvrir le baseball durant l’été en sa compagnie.

Bonin aura fini par devenir cochambreur du Rocket. Ainsi, il est heureux de se compter parmi ceux qui pouvaient jaser facilement avec le numéro 9. « On avait une bonne relation, je pouvais lui poser n’importe quelle question. Avec moi, il parlait en masse », a-t-il noté en riant. 

Ses meilleurs amis étaient Jean-Guy Talbot et Claude Provost, décédé subitement à 50 ans et Henri Richard. Talbot était SON partenaire de bridge pour les longs voyages en train et les duels avaient lieu contre Doug Harvey et Tom Johnson. « Mais nous, chez le Canadien, on n’a jamais joué avec de grosses sommes d’argent. Des clubs comme Chicago, ça gageait fort. Si tu perds 700 ou 800$ contre un coéquipier, tu ne dois pas trop bien te sentir », a témoigné Bonin. 

Six décennies plus tard, plusieurs joueurs de la LNH se tournent encore vers les cartes pour se changer les idées durant le voyagement. Mais on peut dire sans avoir peur de se tromper que tout le reste a bien changé. 

Bonin n’a pas assisté à une partie au Centre Bell depuis environ deux ou trois ans. À son âge, ça devient plus éprouvant et le jeu ne vient pas le chercher autant qu’avant. 

Marcel Bonin« Je les vois faire parfois. Il y a bien des choses qu’on ne pouvait pas faire, nous, dans notre temps. Tu te le faisais dire vite par l’entraîneur. Mais bon, le hockey a bien changé aujourd’hui. Ils sont nombreux à être bien contents quand ils ont compté un but ou deux même quand leur équipe perd », a déploré l’auteur de 272 points en 454 parties régulières dans la LNH.  

Sa famille le garde heureux

Le contexte ne peut nullement se comparer à ses années professionnelles surtout quand on pense qu’il était sur la patinoire quand l’émeute a éclaté au Forum le 17 mars 1955 notamment pour contester la sanction envers Maurice Richard. 

« J’étais sur la glace, mais pour Detroit. On s’est aperçus facilement que ça bouillait dans le Forum. Je crois qu’on menait 4-1 (c’est exact) quand une petite bombe a été garrochée. On est allés dans l’autobus et on n’a rien aperçu de la suite. C’est certain, ça nous a aidés. On avait fini par gagner la coupe en sept contre le Canadien à Detroit si je me souviens bien. Dans le fond, on était contents que Maurice ait été suspendu », a admis Bonin en ne pouvant s’empêcher de rire brièvement.

Puissant comme il l’était, Bonin n’était pas du style à reculer quand ça chauffait. 

« Marcel était un bon joueur d’équipe, on l’appelait notre batailleur, il aimait une petite bagarre de temps en temps. Je ne détestais pas ça moi-même, mais Marcel était reconnu pour ça. L’ours avait été une bonne acquisition », a vanté André Pronovost au RDS.ca. 

Bonin ne voit aucune autre explication derrière sa force à son entraînement quand il était jeune. 

« Je ne crois pas que ça vienne de mon père. J’étais fort naturellement, j’en faisais des démonstrations », a répondu l'homme dont la femme est décédée en 2013.  

C’est bien sûr celle contre l’ours qui aura retenu l’attention.

« Les gens en parlaient souvent, on le taquinait pas mal pour ça. Allez, viens te battre avec ton ours ! », a rigolé Phil Goyette. 

L’effet n’est peut-être pas le même sur lui, mais on s’imagine que ça doit lui ramener le sourire de penser à ce vieux souvenir quand il traverse une journée moins réjouissante. On lui souhaite d’avoir le temps de raconter ce geste de bravoure à ses arrière-petits-enfants. 

« Je suis arrière-grand-père trois fois et je devrais l’être une quatrième la semaine prochaine. On était assez vieux pour ça », a bien ri Bonin qui utilise souvent sa tablette pour parler avec sa famille dont sa petite-fille qui habite en Australie. 

« Je fais aussi des portraits, je les imprime à partir de ma tablette sans fil. Je suis capable de me servir de ma tablette en masse. Avant que la mémoire parte, je dois en profiter », a conclu Bonin qui mérite qu’on ne l’oublie pas.