Dossier : Coupe Stanley 1993

Il y aura de la nostalgie dans la place quand plusieurs membres des champions de la coupe Stanley de 1993 défileront sur la glace du Centre Bell, jeudi, à l’occasion du match inaugural de la saison contre les Kings de Los Angeles.

Un évènement un peu singulier, faut-il le dire. Dans un sens, il s’agira d’un moment de célébration, mais en même temps, le rappel sera un brin agaçant, car on reviendra indirectement sur le fait que Montréal n’a pas eu de défilé dans ses rues depuis un quart de siècle.

On les reverra avec plaisir ces guerriers dont l’atout majeur dans ces séries a été la camaraderie qui les a soudés les uns aux autres. Ils ont formé une bande de joyeux lurons en gagnant la coupe après avoir bouclé la saison au sixième rang du classement général. Bon troisièmes dans la division Adams derrière Boston et Québec.

Inutile de retourner dans les archives pour se souvenir ce qui s’est passé. Patrick Roy a multiplié les petits miracles, notamment en fermant la porte à l’occasion de 10 victoires en prolongation. On se souvient assez facilement des buts gagnants opportuns de John LeClair, des trois buts du défenseur Éric Desjardins dans le second match de la finale contre les Kings, du mesurage réussi du bâton de Marty McSorley, exigé par Jacques Demers à la suite d’une suggestion de Guy Carbonneau, et quoi d’autre encore?

Toutefois, les deux plus grands artisans de ce championnat imprévu n’ont pas chaussé les patins. Serge Savard a bâti cette formation championne de toutes pièces et Jacques Demers les a fait jouer comme des frères. Si le directeur général, à la suite d’une élimination en quatre matchs contre Boston le printemps précédent, n’avait pas rapidement identifié les éléments manquants pour aller chercher cette 24e coupe Stanley et si l’entraîneur n’avait pas convaincu les joueurs qu’ils pouvaient accomplir de grandes choses, Patrick Roy n’aurait jamais eu l’occasion de s’illustrer comme il l’a fait. On serait encore une fois passé à côté de la coupe.

Première décision majeure de Savard : il s’est séparé de Pat Burns, un entraîneur autoritaire et dur, dont l’ensemble du vestiaire était fatigué d’entendre le message. Il l’a remplacé par Demers, un coach humain reconnu pour être près de ses joueurs.

Second coup de barre essentiel : les acquisitions de Vincent Damphousse et de Brian Bellows un mois avant le début de la saison qui ont rapidement conféré de la crédibilité à l’attaque du Canadien.

Finalement, pour arriver à créer une atmosphère différente dans le vestiaire, Savard a identifié ceux qui n’y avaient plus leur place : Shayne Corson, Russ Courtall, Brent Gilchrist, Mike McPhee, Sylvain Turgeon, Sylvain Lefebvre et Chris Nilan ont tous été remplacés.

Toutefois, les champions de 1993 ne se font pas prier pour le dire, c’est Demers qui a fait la différence. Il les a traités humainement. Il a obtenu l’objectif visé en instaurant un climat familial dans sa troupe. Il ne voulait pas que ce soit juste une affaire de hockey. Il prenait fréquemment des nouvelles des femmes et des enfants. Durant les séries, il a impliqué les épouses en leur rappelant le rôle essentiel qu’elles jouaient pendant que les maris se fendaient en quatre pour gagner. Il faisait aussi comprendre à chacun des joueurs, de la vedette au dernier des plombiers à quel point ils étaient importants. Demers croyait fermement en ce qu’il prêchait. Quand il leur a mentionné avant le premier match de la saison qu’ils allaient choquer le monde du hockey, juste par sa façon de le dire, ils l’ont cru.

Demers était à l’écoute de ses vétérans. Il lui est arrivé de modifier ses façons de faire à la suite de leurs suggestions. Pas étonnant que les joueurs se soient sentis aussi importants. À la suite de l’élimination des Nordiques en six matchs, Patrick Roy avait déclaré que le joueur le plus utile de la série avait été l’entraîneur.

L’un des gestes qui en a dit long sur la personnalité de Demers a été sa décision d’insérer dans la formation le défenseur réserviste Donald Dufresne lors du cinquième et dernier match. Un joueur n’ayant pas disputé un minimum de 40 parties en saison régulière ne pouvait avoir son nom inscrit sur la coupe. La seule façon pour lui de le faire était de participer à un match de la finale. Dufresne, qui n’en avait joué que 32, a vu l’entraîneur lui faire une place pour le match ultime.

Lebeau tourne le dos à son idole

Tous les trucs étaient bons pour inciter les joueurs à rester bien concentrés sur l’objectif à atteindre. Demers avait eu l’idée d’une chanson fétiche qui jouerait dans le vestiaire avant que les joueurs prennent le chemin de la patinoire : Noting’s gonna stop us now (Personne ne va nous arrêter) de Jefferson Starship.

Autre trouvaille de sa part, il avait remis à tous les joueurs une carte qu’ils devaient porter sur eux en tout temps, sous peine d’une amende, et qui disait : « On est en mission. On prend un engagement envers l’équipe ». Sur chaque carte il avait inscrit le numéro du joueur. Certains d’entre eux, dont Stephan Lebeau, la possèdent encore.

Puisqu’il est question de Lebeau, il a vraiment exprimé à sa façon tout le sérieux de son implication en tournant le dos à son idole de toujours, Wayne Gretzky, en finale. À la maison, les murs de son bureau étaient tapissés de photos de la vedette des Kings. Il possédait deux de ses bâtons. Ses deux chats portaient même les noms de Wayne et de Janet. Or, Lebeau ne pouvait pas se permettre de manifester de l’admiration pour un rival aussi dangereux dans une série sans lendemain. Il a donc annoncé à sa femme son intention de rebaptiser leurs chats. Elle n’a jamais cru qu’il était sérieux. Pourtant, c’est ce qu’il a fait. Leurs chats ont été baptisés Savy (le surnom de son coéquipier Denis Savard) et Mona, son épouse.

Des absents

Ils ne pourront pas tous être là pour recevoir la reconnaissance de l’organisation et les applaudissements des spectateurs, dont plusieurs étaient probablement dans les gradins quand Gary Bettman a remis la coupe à Guy Carbonneau. Parmi les absents, il y aura évidemment le regretté Todd Ewen, un sympathique bagarreur et un artiste qui s’adonnait à des dessins pour enfants dans ses temps libres. Ewen s’est enlevé la vie à 49 ans après avoir combattu la dépression pendant quelques années.

Eric Desjardins, dont les trois buts par un défenseur marqués dans une victoire de 3-2 dans le second match de la finale constituent un record qui ne sera peut-être jamais répété, est actuellement à l’extérieur de la ville. Même chose pour Roy qui dirigera ses Remparts, jeudi.

Pour un autre absent, Denis Savard, il s’agira d’une journée importante, mais pour une raison qui n’a rien à voir avec le hockey. Il y a cinq ans, à l’occasion d’un test de prévention pour le cancer du colon, on avait découvert des polypes précancéreux. À titre préventif, il doit subir le même genre d’examen tous les trois ans. Or, le hasard veut que le prochain bilan médical ait lieu jeudi à Chicago.

« S’il y a une date dans ma vie que je tiens à respecter, c’est bien celle-là, explique-t-il. En annulant ce rendez-vous, on retarderait cet examen de trois mois. Je ne veux pas ça. La vie est trop courte pour que je remette ce rendez-vous à plus tard. »

En 1993, ils étaient beaux à regarder quand ils donnaient l’impression de jouer leur propre vie sur la patinoire. Demain, ils ressentiront probablement beaucoup de fierté quand vous leur ferez savoir que vous n’avez rien oublié de tout cela.