BUFFALO – Commencez par essayer de situer Strathclair sur la carte. Faites ensuite défiler les photos qui vous sont proposées.

Une vieille église, un bureau de poste où on envoie encore probablement des télégrammes, un cimetière aux pierres tombales éparses. Et des champs, de très vastes champs. Le genre de place d’où on sort avant même de réaliser qu’on y était entré.

C’est ici qu’a grandi Conor Geekie, l’un des plus beaux espoirs en vue du prochain repêchage de la Ligue nationale.

Il n’est pas rare de voir des joueurs sortir d’un peu nulle part pour se frayer un chemin jusqu’aux grandes ligues. Il y a trois ans, on vous racontait l’histoire de Dylan Cozens, un futur choix de première ronde des Sabres de Buffalo qui espérait devenir le quatrième joueur originaire du Yukon à jouer dans la LNH (il y a déjà été plus actif que ses trois prédécesseurs réunis). Cette année, Rutger McGroarty deviendra seulement le deuxième joueur natif du Nebraska, un État surtout reconnu pour son obsession pour le football universitaire, repêché dans le circuit Bettman.    

Geekie, lui, ne peut pas vraiment dire qu’il vient d’un endroit où le hockey est une anomalie. Le village de son enfance se trouve à l’ouest du Manitoba, à peu près à mi-chemin entre Winnipeg et Regina, dans la province voisine.

Mais Strathclair n’est pas non plus le « GTA », l’acronyme anglophone utilisé pour désigner la grande région de Toronto. Le plus récent recensement fédéral, qui date de 2016, chiffre sa population à 709 habitants. « Mais ça, c’est pour la municipalité au complet », corrige rapidement Geekie. Pour le village plus spécifiquement, « c’est plus comme 137, je pense. »

Comment un jeune athlète parvient-il à s’émanciper, au point d’en arriver à se hisser parmi l’élite mondiale dans son groupe d’âge, dans une communauté qui n’est même pas assez populeuse pour remplir une section du Centre Bell?

« En ce qui concerne le hockey, je ne dirais pas que les défis étaient trop nombreux, réfléchit Geekie, dont l’un des deux frères aînés est un espoir du Kraken de Seattle. J’avais la chance d’avoir les clés de la patinoire. Mon père était membre du conseil d’administration et il s’occupait aussi de l’entretien chaque fois qu’il le pouvait. Comprenez-moi bien, ce n’était pas la plus belle glace. Il y a probablement du bétail dessus au moment où on se parle! Mais je pense que d’une certaine façon, ça m’a aidé à devenir meilleur. J’ai développé ma créativité en jouant avec Morgan et Noah ou en séparant les bâtons avec mes amis. On habitait à deux ou trois coins de rue de là. Je me considère chanceux d’avoir eu ça. »

Geekie se rappelle avec nostalgie de ses débuts dans une équipe composée de « sept filles et trois garçons » et d’avoir rapidement voulu mettre Strathclair « sur la mappe ». De son entourage tissé serré, il dit avoir appris les vertus du travail et de l’humilité. Son parcours peu commun, ajoute-t-il, l’a forcé à rapidement comprendre comment les choses se passent dans le vrai monde.

« Quand tu viens d’une petite place, tu dois t’habituer à tomber sur des meilleurs joueurs que toi à mesure que tu grimpes les échelons. Quand j’ai commencé à jouer du hockey d’été, il y avait toujours des meilleurs joueurs que moi. Ça m’a fait grandir. »

Disponible pour le Canadien?

À l’âge de 18 ans, alors qu’il vient de conclure sa deuxième saison dans la Ligue junior de l’Ouest (WHL) avec 70 points en 63 matchs, Geekie peut encore trouver des rivaux plus talentueux que lui lorsqu’il s’attarde aux joueurs qui sont admissibles pour la première fois au repêchage de la LNH. Mais combien y en a-t-il exactement? La réponse à cette question diffère grandement d’une personne à une autre.

Selon l’organe officiel mandaté par la LNH pour évaluer ses meilleurs espoirs, le joueur de centre de 6 pieds 4 pouces et 190 livres est le cinquième plus beau projet parmi les patineurs ayant évolué en Amérique du Nord dans la dernière année. Cet avis se reflète dans les publications de quelques experts qui le voient comme un joueur qui ne devrait plus être disponible passé le top-10 le mois prochain à Montréal.

« S’il y a un gars dans ce groupe qui a le potentiel de devenir un attaquant de puissance, c’est lui, estime Dan Marr, le directeur de la Centrale de recrutement de la LNH. Il a le gabarit, il est compétitif, il n’a pas peur de jouer devant le filet, il est bon à 1-contre-1 en fond de territoire. C’est un battant. Tout ce dont il a besoin présentement, c’est ajouter du muscle. »

D’autres n’adhèrent pas du tout à cette théorie et n’hésitent pas à prédire la sélection de Geekie vers la fin de la première ronde. Le plus gros point d’interrogation pour ceux-là : son coup de patin, que Marr décrit comme un « chantier en construction ». Notre confrère Craig Button, par exemple, a mis son nom au 29e rang de sa liste finale.

C’est donc dire qu’il existe un monde où la vedette du Ice de Winnipeg serait disponible lorsque le Canadien fera sa deuxième sélection.

« Tout le monde a droit à son opinion, répond Geekie à ce sujet. Il faut vivre avec ça et j’essaie de ne pas laisser ça me déranger. Je joue au hockey pour le plaisir. Quand des gens placent votre nom sur des listes, c’est plaisant de le voir dans le top-5, le top-10. Mais au final, ce n’est pas pour ça que je joue au hockey. »