MONTRÉAL – À ce jour, Darren Dietz ignore toujours s’il a été la victime d’un vulgaire problème technique ou la cible d’une embarrassante blague initiatique.

Dietz était au Kazakhstan depuis environ deux mois quand il a été invité à un populaire talk-show de fin de soirée. L’animateur parlait le kazakh. Dietz ne comprenait que l’anglais, bien évidemment, et le coéquipier qui l’accompagnait était unilingue russe. On a donc installé aux trois hommes une oreillette qui leur permettrait d’obtenir en direct la traduction de l’entrevue et de participer à la conversation le plus naturellement du monde.

« L’animateur part donc le bal et tout indique qu’il me pose une question, raconte Dietz au bout du fil. Il s’attend clairement à une réponse de ma part, mais je n’ai pas compris un traître mot de ce qu’il a dit. Je me tourne à ma droite pour obtenir un peu d’aide de mon coéquipier, mais son visage est aussi figé que le mien. Je le fusille du regard, je l’implore de m’aider, tu comprends? Genre, c’est quoi ton problème mon gars? Sors-moi de là! Et soudainement, la foule éclate de rire. On finit par comprendre qu’on avait inversé les oreillettes et que c’est lui qui recevait la traduction anglaise! Disons que ce bout-là a été coupé au montage... »

Peut-être cette anecdote vous a-t-elle fait sourire. Peut-être vous a-t-elle rempli de compassion. Ou peut-être vous êtes-vous simplement demandé ce qu’un ancien choix de cinquième ronde du Canadien, un défenseur qui a joué 13 matchs dans la Ligue nationale et dont la carrière en Amérique du Nord s’est éteinte à l’âge de 23 ans, pouvait bien faire sur un plateau de télévision du Kazakhstan.  

Votre incompréhension est légitime et il n’est pas impossible que l’explication se bute à un tenace scepticisme. Elle est pourtant fort simple et à 100% véridique : Darren Dietz est aujourd’hui une superstar de la KHL.

Observez, si vous êtes du genre à devoir le voir pour le croire, ces chiffres. À sa deuxième saison avec le Barys d’Astana, Dietz a jusqu’ici récolté 26 points en 25 matchs. Il est le meilleur buteur parmi les défenseurs du circuit (11) et le troisième joueur le plus utilisé (23:43 minutes/match). Son différentiel de plus-15 le place dans le top-10 à l’échelle de la Ligue.

Pas si mal, vraiment, pour un gars qui n’avait jamais inscrit plus de 17 points dans une saison chez les professionnels et qui a été abandonné par trois organisations en l’espace d’un an avant de réorienter sa carrière vers l’Europe.

« Je ne suis pas si surpris parce que tous les joueurs qui se font repêcher dans la LNH ont déjà produit offensivement dans les rangs mineurs. J’ai moi-même déjà été ce genre de défenseur, rappelle celui qui a terminé sa carrière junior avec une saison de 58 points pour les Blades de Saskatoon. Mais quand un défenseur fait le saut chez les pros, on lui enseigne toujours les principes défensifs en priorité. J’ai passé tellement de temps à penser à mon jeu défensif, à mon positionnement et aux principes de jeu, que j’en suis venu à renier mes instincts. C’est l’un de mes regrets quand je pense à ma carrière en Amérique du Nord. J’étais devenu un robot. »  

Я говорю на русском

Six ans après avoir été repêché, Dietz était un joueur perdu. Le Canadien ne l’avait pas retenu et les Capitals de Washington l’avaient laissé partir à peine six mois après lui avoir fait signer un contrat. Il avait terminé la saison en prêt avec les Stars du Texas, dans la Ligue américaine.

Il n’a pas trop compris ce qu’on pouvait lui trouver quand son agent l’a appelé durant l’été pour lui faire part d’une opportunité qui pourrait émaner de la KHL, mais il ne s’est pas posé plus de questions. Sans attendre d’autres offres, il a signé le contrat d’un an que lui offrait le Barys et a fait ses valises.

« Professionnellement, c’était une question de vie ou de mort pour moi. C’est comme ça que je l’approchais. Ça passait ou ça cassait et comme je n’avais plus rien à perdre, je m’étais dit que j’allais jouer à ma manière. Je suis arrivé au camp d’entraînement avec cette attitude. Je voulais montrer au coach ce que je savais faire, en espérant que ça lui plairait. Ça a plutôt bien marché... »

Dietz a amorcé sa carrière outremer avec douze points en onze matchs avant de se blesser à un genou. Une fois rassuré sur la qualité du système médical kazakh, son pire cauchemar s’est transformé en bénédiction. Plutôt que de broyer du noir à la maison, le natif de Medicine Hat en Alberta en a profité pour élargir sa zone de confort. Avec la contribution d’un professeur privé, il a pris la décision d’apprendre le russe.

À peine un an après cette initiative, on peut le voir effectuer des entrevues dans la langue de Tchekhov sur un compte Instagram alimenté par un partisan.

« Ça s’en vient, dit-il en échappant un fou rire empreint d’humilité. C’est une langue très difficile à apprendre et je fais encore un paquet d’erreurs. Je dirais que j’ai le niveau d’un enfant de 6 ou 7 ans, mais je peux me faire comprendre et les fans apprécient que je fasse l’effort. »     

« Quand j’avais été repêché par Montréal, j’avais l’intention d’apprendre le français, mais je n’étais pas prêt à y investir le temps nécessaire et ça ne s’était pas très bien passé, ajoute-t-il de son propre chef. La plus grosse différence, c’est qu’au Québec, dès que ça devient plus compliqué, il y a toujours la possibilité de revenir à l’anglais et c’est ce qu’on finit toujours par faire. Ici, ce n’est pas une option, alors il faut se débrouiller! »

Dietz garde de bons souvenirs de son bref passage à Montréal en 2016, alors qu’il avait été l’un des 15 défenseurs utilisés par l’entraîneur Michel Therrien au sein d’une brigade éprouvée qui avait aussi été « marquée » par le passage éphémère des Victor Bartley, Morgan Ellis, Joel Hanley et autres Ryan Johnston.

« Ce n’est probablement pas une saison dont les partisans veulent se rappeler, réalise Dietz, qui avait marqué son premier et seul but dans la LNH contre les Hurricanes de la Caroline. Mais pour moi, ça demeure l’un des moments marquants de ma vie. Jamais je ne pourrai oublier ça. »

Dietz écoule présentement la première année d’un nouveau contrat de deux ans qu’il a signé l’été dernier, un contrat dont il entend respecter chaque virgule. La LNH? Il prend de longues pauses et hésite comme s’il n’y avait sincèrement pas encore pensé quand on lui demande s’il aimerait y revenir.

Darren Dietz Superstar. Ça sonne bien, non?