MONTRÉAL – La pandémie provoque également du beau. Elle nous aura donné le temps de partir, virtuellement, à la découverte d’une panoplie d’entraîneurs québécois intéressants qui sont établis en Europe. Mais, le plus magnifique, c’est que ce chemin nous ramène au Québec quand on se fait dire que le candidat le plus fascinant habite ici.
 
Si le hockey québécois n’avait pas traversé une époque quelque peu barbare, Georges Larivière serait reconnu comme l’un des plus grands cerveaux de ce sport dans cette province. Bien sûr, ça, ce n’est pas lui qui le dit et on y reviendra. 

Georges LarivièrePourtant, à 78 ans, il demeure méconnu en sol québécois. Ironiquement, ça n’a pas empêché l’Italie, la Russie, la Tchécoslovaquie (avant la scission) et plusieurs pays africains de s’abreuver de son expertise. 

Après un baccalauréat en éducation physique à l’Université de Montréal, une maîtrise (à l’Université d’Oregon) et un doctorat (à l’Université Florida State) axés sur le hockey, il élaborait – avec un groupe d’universitaires – des concepts qui ont été trop souvent ignorés, ici, dans les années 1970, 1980 et même 1990. 

« J’ai adoré Georges. Il arrivait avec une philosophie de professeur, il était vraiment avant-gardiste dans sa façon d’enseigner. Dans le temps que je jouais junior, c’était plus des entraîneurs qui étaient encore dans l’intimidation, qui manquaient un peu d’évolution disons », a exposé Stéphane Quintal qui a été dirigé par Larivière en 1985-1986 avec les Bisons de Granby. 

« C’est normal qu’il n’y avait pas de place pour Georges, il valait plus que le hockey québécois de cette époque. Ça parle en mal du hockey québécois et canadien, mais en bien de Georges. Il était trop en avance sur son époque », a statué Luciano Basile, un entraîneur montréalais qui affiche une belle feuille de route en Europe. 

Le comble, c’est qu’aujourd’hui, on revient finalement à plusieurs de ses idées comme les exercices spécialisés selon les forces et les faiblesses de chaque joueur dans un entraînement de hockey. 

C’est tout aussi vrai pour les capteurs portés par les athlètes pour emmagasiner une tonne de données sur la condition physique des joueurs afin de maximiser leur rendement. Alors que la technologie ne permettait rien de cela, il avait conçu un système ingénieux à l’entraînement (cliquez sur la photo pour l'agrandir) pour doter des joueurs d’un sac, d’un tuyau, d’un embout, d’une valve et d’une pince pour mesurer de tels paramètres. Le tout se terminait avec une prise de sang pour quantifier l’acide lactique. 

Une expérience menée par Georges Larivière.« À l’Université Laval, on a organisé le premier colloque sur le hockey sur ce que nous dit la recherche. C’était vers 1972-1973. Ce fut un peu difficile parce qu’on disait que j’étais un ‘pelleteux’ de nuages, un rêveur ou bien un théoricien. Mais c’était le temps de faire avancer le hockey, un sport très traditionnel. On a dû un peu bousculer le milieu », a raconté M. Larivière qui n’a rien perdu de sa vivacité intellectuelle. 

« Au hockey, le coup a été donné réellement en 1972 quand il y a eu la visite de l’équipe soviétique. J’avais des contacts pour le hockey en Russie et encore plus en Tchécoslovaquie. C’était clair qu’il y avait une autre manière de faire », a-t-il noté. 

En compagnie de quelques spécialistes comme Charles Thiffault, Gaston Marcotte et Christian Pelchat, Larivière a déposé une méthode d’apprentissage à l’instance qui gérait le hockey mineur à cette époque. Le but était simple : changer l’approche du développement des joueurs. 

« Le hockey, comme la majorité des sports au Canada, était enseigné par des bénévoles. C’est très bien, ce sont des personnes souvent compétentes et dévouées, mais le jeune va changer d’entraîneur tous les deux ans et aucun dossier ne reste sur chaque athlète », a exposé Larivière à titre d’exemple. 

« Parfois, ça devenait un peu agressif à notre égard. Les gens ne réalisaient pas qu’une autre vision existait », a témoigné celui qui n’était pas à court d’idées. 

Son plan a donc été de s’impliquer encore plus directement dans le hockey. Il a œuvré au sein des ancêtres de Hockey Québec et Hockey Canada. Il ne s’est pas arrêté là, il a été entraîneur adjoint pour le Championnat mondial junior avec la formation canadienne en 1982 et 1984. 

L’osmose s’est particulièrement établie en 1982 avec Dave King et le Canada a d’ailleurs mérité l’or pour la première fois à cette compétition. 

« Avec Dave King, on a osé prendre des joueurs qui ne jouaient pas junior au Canada. Ce fut un gros crime pour les équipes du pays, elles n’ont pas aimé ça. Ces joueurs avaient été formés dans des universités américaines », a décrit M. Larivière dont la philosophie se rapprochait de celle de King. 

De 1980 à 1984, il a également orchestré un « laboratoire » ambitieux avec son partenaire Claude Chapleau. Via les journaux, ils ont lancé une invitation pour former quatre équipes de 20 joueurs de 12 ans afin de se joindre à un programme qui mettrait en application leurs principes. Les candidats retenus devaient se consacrer à ce programme et renoncer à leur autre équipe. 

L’apprentissage était au rendez-vous autant pour les jeunes que pour eux. Ainsi, en plein match, les entraîneurs pouvaient décréter un temps d’arrêt de 10 minutes permettant de corriger une lacune dans les sorties de zone contre cette équipe. 

Ils ont même testé l’ajout d’un petit haut-parleur dans le casque des joueurs. « Au début, je disais ‘Passe, Lance’, mais ça créait une confusion quand le joueur avait prévu le contraire. J’ai tout changé le langage pour dire ‘T’as un joueur de libre’ ou ‘Alerte rouge’ quand une collision arrivait », a raconté M. Larivière. 

De plus, Chapleau et Larivière travaillaient sur l’entraînement psychologique, mais ils ne pouvaient pas utiliser ces termes de crainte d’effrayer les parents qui n’y connaissaient rien il y a près 40 ans. 

Un véritable mouton noir dans la LHJMQ 

Georges Larivière, fier d'avoir « éveillé les consciences »

Sauf que rien ne pouvait être plus concret que devenir entraîneur-chef dans la LHJMQ. Dire qu’il s’est senti comme un extra-terrestre avec les Bisons de Granby en 1985 ne serait pas si loin de la vérité. « Je n’avais pas le profil ou la même terminologie que les autres entraîneurs. Je ne disais pas ‘Cri..., il faut que tu dumpes le puck ou il faut leur en crisser une... »

Pour illustrer le tout encore mieux, il raconte cette anecdote savoureuse. Après une période pénible de ses joueurs, il a tenté de se glisser dans la peau d’un entraîneur typique de l’époque pour aller « savonner » sa troupe. 

« En marchant vers le vestiaire, j’essayais de me crinquer un peu comme un comédien pour être prêt à sacrer, à kicker des poubelles, à fracasser un bâton. Le soigneur m’a vu et il m’a demandé si j’étais correct. Ça se voyait que je n’étais pas crédible pour agir de la sorte. »

Georges LarivièreCette expérience n’aura duré qu’une cinquantaine de matchs. Malgré tout, de manière assez fabuleuse, il aura eu le temps d’influencer positivement l’esprit de quelques jeunes comme Quintal qui s’est empressé de rappeler quand on lui a soumis le sujet de l’entrevue. 

« C’est un homme qui m’a beaucoup marqué dans mon parcours. Lui et son assistant Jean-François Mouton, ce sont deux personnes qui m’ont grandement aidé », a vanté Quintal. Petite parenthèse personnelle ici, Mouton a été l’enseignant d’éducation physique au primaire de l’auteur de ces lignes et il a eu impact colossal sur sa passion sportive. 

« Georges était calme, il prenait son temps pour expliquer, il ne se fâchait pas, il était vraiment à notre écoute. Après, j’ai eu Mario Bazinet, tu peux t’imaginer la différence entre les deux. Ce fut un gros choc », a ajouté Quintal. 

On doit aussi souligner le voyage des Bisons en France pour participer à un tournoi dans le cadre de l’inauguration du Palais des Sports à Paris. Afin de renflouer l’équipe française, nul autre que Guy Lafleur s’était joint à elle.  

Quelques années plus tard, il n’a pas hésité à quitter vers l’Europe alors que l’Italie lui a confié le poste de directeur technique du hockey. Astucieux, il y a attiré plusieurs entraîneurs québécois aux origines italiennes (Pat Cortina, Diego Scandella et Basile qu’on vous présentera dans un 2e article) qui sont devenus des ressources précieuses du hockey en sol européen. 

Pas question d'être amer, il faut avancerLes Bisons de Granby à Paris en décembre 1985

À partir de là, mission impossible pour résumer tout son parcours et l’impact de celui-ci. On ne peut que gratter le tout en surface. Dès 1967, il a publié l’un de ses premiers livres sur le hockey de 4 à 10 ans. Il a rendu de fiers services à Tennis Canada. Envoyé en Afrique pour une conférence de pays francophones, il n’a pas tardé à s’y faire inviter plusieurs autre fois pour partager ses vastes connaissances sportives. 

À travers tout ça, il a parfois été sur la liste noire en raison de ses idées novatrices et il s’est mis à dos quelques personnes qui craignaient ses idées. Heureusement, il a tout de même été l’un des invités au Sommet du hockey québécois en 2011 où il a marqué un point quand il devait expliquer la représentation québécoise qui diminue dans la LNH. 

« J’ai soulevé quelques raisons et j’ai dit ensuite ‘Je vais vous parler avec mon cœur’. Vous ne développez pas les joueurs, vous développez l’équipe. Parce que si l’entraîneur ne gagne pas, il n’a plus de job. Même chose avec le gérant. Dans les entraînements, tout le monde fait le même exercice au lieu de l’axer de manière différente sur les qualités et les faiblesses de chaque joueur. Les entraîneurs ne laissent pas de dossier de suivi et de progression pour son successeur », a déploré M. Larivière qui rêverait d’un système semblable aux bulletins scolaires sur lequel les entraîneurs pourraient s’appuyer.  

Cette réponse a mené à l’élaboration du Programme de développement personnalisé (PDP) pour la LHJMQ, une idée qui n’a malheureusement pas été bien accueillie par tous à ce moment.  

Arrivé au dernier droit de sa carrière – il donne encore des formations aux directeurs techniques des clubs de soccer du Québec - Larivière pourrait être amer pour différentes raisons, mais ce serait mal le connaître. 

« Je n’ai jamais vu quelqu’un qui n’a pas avancé avec un coup de pied aux fesses », image-t-il, avec humour, pour expliquer qu’il a toujours été motivé par les obstacles. 

Cet amant du dicton anglophone Think outside the box se réjouit d’ailleurs des immenses progrès observés au hockey, de l’arrivée d’une nouvelle vagues d’entraîneurs plus réfléchis et de la création de l’Institut national du sport. 

« Ce sont des idées qui ont pris du temps à évoluer, mais le hockey a beaucoup grandi et le travail n’est pas encore terminé. Il faut placer le jeune joueur, garçon ou fille, au cœur de nos préoccupations pour assurer son développement du jeune en débordant du cadre uniquement technique ou tactique. Il faut aussi développer aussi le mental et le social grâce au sport », a cerné l’universitaire qui souhaite inspirer une relève. 

Père de deux enfants, grand-père trois fois et arrière-grand-père depuis six mois, Larivière termine avec cette remarque pleine de sens. 

« Les jeunes sont en difficulté quand ils n’ont pas une passion, peu importe la nature de celle-ci. Quand cette passion est bien encadrée, le jeune sera prêt à faire des sacrifices pour la pousser plus loin », a conclu M. Larivière qui en est la preuve vivante. 

« On est encore trop conformistes »
« Chacun à son niveau peut contribuer »