RDS.ca vous présente des Montréalais qui sont méconnus du grand public, mais qui occupent des postes importants dans le monde du hockey ou qui se démarquent par leur parcours singulier. Le portrait d'aujourd'hui : Jack Han.

MONTRÉAL – Patins aux pieds, les chances de Jack Han de faire carrière dans le monde du hockey ont chuté drastiquement à l’âge de 7 ans.

« La première fois que j’ai joué, j’ai pissé dans mon pantalon parce que je n’étais pas capable d’enlever mon équipement assez rapidement pour aller aux toilettes. C’est mon souvenir de ma première game », partage dans un élan d’autodérision fort louable celui qui s’est finalement rabattu sur les ligues de garage après avoir plafonné au niveau Junior A.

Pendant un bref moment, Han a cru que la réalisation de son rêve passerait par un job dans les médias. En 2013, détenteur d'un baccalauréat en marketing à l’Université McGill, il a été embauché comme rédacteur pour les plateformes numériques du Canadien. L’opportunité était d’or. Elle s’est révélée n’être qu’une grosse pépite de pyrite.

« Vers le mois de janvier, février, j’avais commencé à écrire des articles dans lesquels j’utilisais des statistiques avancées. J’essayais d’enrichir le contenu, mais mon boss de l’époque n’avait pas aimé ça. Il me disait que je n’étais pas un coach, il se demandait pourquoi nos lecteurs me prendraient au sérieux. C’est un peu cette conversation qui a mené à tout le reste. »

Ce que Han a d’abord pris comme une insulte s’est vite transformé en une véritable illumination. Le jeune Montréalais croyait dur comme fer en la validité des informations qu’il relayait à ses lecteurs et il était convaincu que quelqu’un, quelque part, accorderait à ses opinions une valeur proportionnelle aux efforts qu’il mettait pour les étoffer. S’il fallait qu’il devienne un coach pour qu’on le prenne au sérieux, c’est exactement ce qu’il allait faire. Et c’est par cette avenue qu’il accéderait éventuellement à la Ligue nationale.

Qu’est-ce qui lui permettait de croire que cette lubie avait la moindre chance de se concrétiser?

« Un mélange de confiance... et d’être un petit peu con aussi! », propose-t-il comme hypothèse.

Confiant? Assurément. Con? Pas tant que ça, finalement. 

À l’automne qui a suivi son départ du Canadien, Han a été attitré à l’analyse vidéo et l’intégration des statistiques avancées au sein du groupe d’adjoints de Peter Smith, le vénérable entraîneur-chef des Martlets de l’Université McGill. Parallèlement, il s’est mis à la réalisation de courtes capsules vidéos qu’il publiait sur ses plateformes de médias sociaux accompagnées du mot-clic #1MinuteTactics. Ses analyses ont connu un tel succès populaire qu’elles lui ont valu de faire l’objet d’un reportage du réputé journaliste de TSN Bob McKenzie.   

Son nom commençait à circuler. Son travail sortait de l’ombre.

Le rêve chez les Leafs

Han avait déjà annoncé à Peter Smith qu’il ne serait pas de retour pour une quatrième saison à McGill. La prochaine étape de son plan était de se trouver un boulot dans le hockey professionnel.

« Si ça fait plusieurs années que tu as un historique de production qui se démarque, évidemment quelqu’un va venir te chercher. Grâce à l’internet, si tu as des bonnes idées ou des habiletés techniques, si tu es capable de construire quelque chose, on va te remarquer », croyait-il.

Une poignée d’équipes de la LNH l’ont convoqué en entrevue. L’offre de rêve est venue de l’un des directeurs généraux les plus progressistes et innovateurs du circuit : Kyle Dubas, des Maple Leafs de Toronto.

Jack HanOfficiellement, Han a d’abord été nommé analyste dans le département du développement des joueurs. En utilisant la vidéo et les statistiques avancées, il contribuait à l’évaluation et la formation des jeunes espoirs de l’organisation.

« On va souvent prendre ces joueurs pour acquis dans le sens qu’on va les repêcher, on va leur rendre visite deux ou trois fois par année en personne, après on les voit l’été au camp de développement et c’est tout. On les laisse se développer de façon très passive. Nous, notre approche était plus proactive. Je regardais presque chaque match et je livrais un compte rendu à chaque mois. On avait un portrait clair de qui était à veille d’atteindre son plein potentiel et sur qui on devait investir plus de temps ou de ressources pour combler certaines lacunes. »

Son mandat s’est ensuite transporté du côté du recrutement professionnel et amateur. Une possibilité de transaction se présentait? Han décortiquait finement les qualités et les défauts des joueurs visés. Les Leafs se préparaient à repêcher en fin de première ronde? Même principe. À sa troisième année, il a été affecté au personnel d’entraîneurs des Marlies, le club-école de la Ligue américaine alors dirigé par Sheldon Keefe.

Han est un autodidacte. Son éducation, il l’a fait dans les livres. À 9 ans, il vidait les tablettes de la bibliothèque de Verdun de ses vieux ouvrages sur le hockey. Il lisait des trucs comme The Hockey Handbook, une bible écrite en 1951 par Lloyd Percival. « C’est le livre à partir duquel Anatoli Tarasov a bâti le système soviétique. Ça parlait beaucoup du développement des habiletés, de l’utilisation de la science dans l’évaluation des joueurs, des méthodes d’entrainement. À cet âge-là, c’est le genre de choses que j’absorbais. »

Chez les Leafs, il a toujours senti que son parcours atypique était vu comme une force. Mais il sait que dans des milieux plus conservateurs, il peut encore passer pour un extra-terrestre.

« Quand t’as pas nécessairement de réseau ou que t’es pas né dans le hockey, que t’as pas grandi là-dedans, il faut que tu te démarques en faisant des affaires des fois un peu bizarres, franchement, ou au moins différentes. C’est pas toujours bien reçu, mais qu’est-ce que tu veux? Si tu fais comme les autres, tu vas être comme les autres, mais vu que t’es pas comme les autres, tu ne seras pas comme les autres, si ça fait du sens! »

Des idées plein la tête

Les Leafs ont remercié Han un an avant la fin de son contrat. Sa vision des choses divergeait de celle du nouvel entraîneur des Marlies, dit-il. Le Québécois de 31 ans est donc de retour au bercail, mais il ne se tourne pas les pouces pour autant.

« C’est comme une sabbatique payée où je suis vraiment en phase de création et de recherche », apprécie-t-il.

En mai, Han (@JhanHky sur Twitter) a commencé à produire une infolettre qui tombe aujourd’hui dans le courrier de plus de 1700 abonnés provenant du Canada anglais, des États-Unis et de l’Europe. Il sait qu’il est lu par des directeurs généraux, des entraîneurs, des analystes, une communauté grandissante de gens « qui aiment penser le hockey au deuxième degré. »

Comme ses capsules vidéos de l’époque, il utilise sa nouvelle tribune pour partager ses observations et faire la promotion des idées qui sont en gestation entre ses deux oreilles. Il vante par exemple les vertus d’un système qui utiliseraient deux attaquants et trois défenseurs. Il croyait que le Canadien devait garder Max Domi, en qui il voyait ironiquement un partenaire de jeu idéal pour un certain Tyler Toffoli. Il critique la sélection de Kaiden Guhle en première ronde du repêchage.

« Je pense en écrivant, donc en mettant des choses sur l’écran, sur papier, ça m’oblige à vraiment bien cerner mes idées et à bien les développer pour voir qu’il y a une logique dans les choses. »

Jack HanHan a aussi publié deux livres numériques depuis le printemps le dernier. Le premier, Hockey Tactics 2020, explore des concepts qui lui sont chers à travers des situations réelles, concrètes. Le premier chapitre est consacré au ravin qui sépare à ses yeux le département du développement des joueurs du Lightning de Tampa Bay et celui du Canadien. Un autre se penche sur le récent déclin de P.K. Subban.

Son deuxième opus, Chel Guide, traite des façons dont le monde du hockey pourrait évoluer grâce à la contribution du jeu vidéo.

« Les années 2010 à 2020, ça a été la décennie des statistiques avancées. Moi je pense que les années 2020-2030, ça va être la décennie du jeu vidéo comme outil d’apprentissage, prédit-il. Ça se fait déjà beaucoup ailleurs, le hockey est en retard par rapport à ça. Mais je pense que dans les dix prochaines années, ça va vraiment embarquer. »

Où sera Jack Han dans dix ans? Pour le moment, ce fils d’immigrants chinois ne rêve pas nécessairement à un retour dans la Ligue nationale. Son fantasme professionnel serait plutôt de prendre des jeunes joueurs sous son aile – il a déjà une petite écurie d’élèves à qui il offre des séances d’entraînement privées – et d’utiliser ses connaissances théoriques afin d’accélérer leur développement.   

« Un projet vraiment cool pour moi, c’est de pouvoir amener un jeune à son plein potentiel. Peut-être que ça sera le junior majeur, peut-être que ça sera l’universitaire, peut-être même que certains deviendront des pros », rêve-t-il.