Je connais Jacques Demers depuis 40 ans. Il est le meilleur ami que le hockey m'ait donné. Je l'ai vu s'amuser et rire de bon coeur si souvent qu'il est difficile d'imaginer que sa vie ait été un combat aussi constant que cruel. Ce bon vivant est vraiment parti de nulle part pour atteindre des sommets qu'il n'aurait jamais cru possibles, j'en suis sûr.

Jacques est une boule d'énergie qui a la capacité de transmettre sa bonne humeur. Je ne crois pas l'avoir vu pleurer une seule fois durant toutes nos années de franche camaraderie, ce qui est contraire à ce qu'on verra dans le documentaire Coach : la vie de Jacques Demers que RDS présentera ce soir, à 19 heures.

Jacques a pleuré en racontant l'enfer qu'a été son enfance. Il a pleuré en parlant amoureusement de sa mère. Il a pleuré sans retenue parce que les questions qui lui ont été posées ont fait remonter à la surface les événements douloureux qui allaient éventuellement être responsables de ses problèmes majeurs de déficit d'attention et d'analphabétisme.

Il y a 60 ans, on ne parlait pas de déficit d'attention. On ignorait tout de ce problème. Ça ne se soignait pas vraiment. On essayait simplement de calmer un enfant agité, souvent sans trop de résultat. Demers affirme qu'il ne savait pas ce qui se passait dans sa tête. Il était confus, profondément tourmenté. Il était terrifié quand son père battait sa mère. Traumatisé, il passait des nuits sans dormir en imaginant le pire pour lui et pour les siens. Comment aurait-il pu se concentrer sur les bancs d'école dans de telles circonstances?

« J'aurais voulu écouter mes enseignants, mais je n'entendais rien de ce qu'ils me disaient », avoue-t-il, honnêtement.

Demers, qui a mené de front différentes carrières, est un autodidacte. Il a voulu être un entraîneur au hockey et il l'est devenu. Il a souhaité être reconnu pour ses aptitudes derrière un banc et on lui a remis deux trophées Jack-Adams en plus d'en avoir fait le finaliste pour un troisième. Il a rêvé d'une coupe Stanley et il l'a gagnée dans sa propre cour dans l'historique Forum de Montréal. Bien sûr, devenir sénateur n'avait jamais fait partie de ses ambitions, mais quand le premier ministre du Canada lui a offert un siège à Ottawa, il a ressenti une fierté indescriptible. De chauffeur de camion chez Coca-Cola à sénateur, l'accomplissement est remarquable.

Depuis des années, il prononce des conférences devant toutes les classes de la société sans la moindre note pour appuyer ses propos. C'est le coeur et ses expériences de vie qui parlent dans ces moments-là.

Selon sa soeur Francine, il n'a pas besoin de bouts de papier parce que tout est dans sa tête et dans sa mémoire. « Jacques est un ordinateur ambulant », dit-elle.

Une épreuve épouvantable

Il a passé toute son enfance à craindre son père, un être alcoolique d'une grande méchanceté qui prenait un certain plaisir à l'humilier. Tout le monde y a passé dans la famille, mais c'est Jacques qui a le plus souffert de cette situation familiale tourmentée.

Sa mère, qui essayait de le couver dans la tourmente, est décédée très jeune. Trop jeune, à 42 ans. « Quand elle est partie, jamais je ne me suis senti aussi seul dans la vie. J'ai perdu la seule personne qui me protégeait. C'était la fin du monde pour moi », raconte-t-il dans cette émission d'une très grande qualité.

Jacques a vu le produit fini de 25 ans d'émotions avant de subir un foudroyant AVC. On raconte qu'il a été très touché en revoyant les images de son passé et en prenant connaissance des commentaires attendrissants de sa belle Debbie, de ses soeurs Claudette et Francine et de son frère Michel. Comme on l'a trouvé inconscient plusieurs heures après cette attaque sournoise, il s'en est fallu de peu pour que ce film devienne son testament sportif. La médecine fait parfois de petits miracles. Elle semble en avoir réussi un dans son cas. L'avenir nous en dira davantage sur les séquelles qu'il conservera à la suite de cette terrible mésaventure.

Le simple fait qu'il ne puisse pas s'exprimer en ce moment est une épreuve épouvantable pour cet homme qui, disons-le, a gagné sa vie grâce à sa voix, soit dans le public, derrière un banc ou à la télé.

Après le visionnement de ce court métrage d'une heure qui refait le parcours de sa vie, une conclusion saute aux yeux. Jacques est un bagarreur naturel. Toute sa vie, il s'est battu pour faire sa place, pour effacer les préjugés à son endroit, pour affronter les railleries quand il a accédé au sénat, etc. C'est dans sa nature de se battre. Là où il est, il se battra encore, on n'en doute pas. S'il avait baissé les bras chaque fois que des problèmes l'ont assailli, il n'aurait peut-être pas survécu à l'accident cérébral qui le paralyse partiellement pour l'instant.

Demers est un ardent croyant. Il est convaincu d'en devoir une à la bonne sainte Anne depuis qu'il est allé lui demander de l'aide au sanctuaire de Sainte-Anne de Beaupré, il y a plusieurs années. Il a souvent répété à Debbie qu'il était persuadé d'être un enfant de Dieu. Pour qu'il devienne l'une des personnalités sportives les plus en vue au Québec, après que son père ait plusieurs fois insisté sur le fait qu'il était un vaurien totalement incapable d'accomplir quoi que ce soit dans la vie, il croit fermement que quelqu'un là-haut le protège.

Demers est un être d'une grande générosité et d'une grande sensibilité. Il fait parfois des détours pour venir en aide à des gens qu'il ne connaît même pas. Il parle à tout le monde, jeunes et vieux. Si vous l'aimez, vous l'aimerez encore davantage après avoir vu Coach : la vie de Jacques Demers, un bijou du réalisateur Sylvain Rancourt et du recherchiste Alexandre Patterson. Ensemble, ils ont fait le travail de recherche et bâti le scénario.

Un scénario qui mériterait d'être porté au grand écran tellement le parcours de Demers est incroyable. Vous ne verrez plus jamais le coach de la même façon après avoir regardé cette émission.

Sortez vos mouchoirs.