MONTRÉAL – Patrick Guay ne se souvient pas de la date du match, ni des paroles exactes, mais la boutade que lui a récemment lancée William Dufour au cercle de mise en jeu, après un coup de bâton amical à l’arrière de la jambe, allait essentiellement comme suit : « Arrête de scorer mon maudit! »

 

Dufour, un choix de 5e ronde des Islanders de New York qui défend les couleurs des Sea Dogs de Saint John cette saison, est actuellement le meilleur buteur du circuit Courteau avec 42 réussites. Guay, un attaquant des Islanders de Charlottetown, le talonne avec 41.

 

« Je sais que Dufour, c’est un très bon scoreur, et j’aimerais ça aller le chercher, confiait cette semaine l’attaquant de 19 ans au sujet de celui avec qui il dit bien s’entendre. Ce sera intéressant à suivre.  »

 

Au rythme où Guay dégaine et trompe les gardiens adverses de son redoutable lancer depuis le début de la campagne, c’est chose possible, révèlent des données compilées par nos amis de Sportlogiq avant les matchs des Islanders à l’horaire cette semaine.

 

Après trois premières semaines tranquilles au cours desquelles il n’a inscrit que deux buts en sept rencontres, Guay s'est mis à lancer, lancer et lancer encore avec autorité. L’effet a été instantané.

 

Les 20, 23 et 24 octobre, l’attaquant de 5 pi 9 po et 178 lb a enchaîné trois performances consécutives de deux buts. Depuis la première de celles-ci, Guay se classe dans le top-10 de pratiquement tous les indicateurs offensifs clés utilisés par Sportlogiq pour l’évaluation d’un franc-tireur. Il pointe même au premier rang dans trois catégories : les buts attendus (0,74) – une formule qui calcule combien de buts un joueur devrait marquer en moyenne par match selon la qualité des tirs qu’il obtient –, les chances en cycles offensifs (2,4) et les passes reçues dans l’enclave (3,9).

 

Son volume de tirs tentés en moyenne par match est quant à lui passé de 4 à 7,6. La qualité de ceux-ci a elle aussi drastiquement augmenté, alors que 65,5 % de ses lancers ont été décochés de l’enclave.  

 

Moyennes par match de Patrick Guay (source : Sportlogiq)
  7 premiers matchs 41 matchs suivants
Buts attendus 0,27 (64e) 0,74 (1er)
Tirs tentés 4,0 (91e) 7,6 (11e)
Tirs cadrés 2,3 (90e) 4,8 (7e)
Chances de marquer (tirs tentés de l'enclave) 2,4 (52e) 5,0 (2e)
Tirs de l'enclave 1,4 (48e) 3,2 (2e)
Pourcentage de tirs tentés venant de l'enclave 60,7% (47e) 65,5% (9e)
Tirs sur réception 0,6 (62e) 1,3 (10e)
Chances en cycle offensif 1,7 (13e) 2,4 (1er)
Passes reçues dans l'enclave 2,0 (32e) 3,9 (1er)

 

« Ça m’a fait du bien. Pendant un bon bout au début de l’année, je travaillais vraiment fort, mais je ne récoltais pas autant de points que je le méritais peut-être. Ce week-end là, ç’a débloqué, je pense que ça m’a mis en confiance. Peut-être qu’à partir de là, je me suis dit, "Tabarnouche, il faut que je me serve de mon tir, elle rentre quand je la laisse partir". »

 

Le lancer, Guay l’a toujours eu dans son arsenal. C’est l’une des raisons pour lesquelles le Phoenix de Sherbrooke a fait de lui le 5e choix au total du repêchage 2018 après Hendrix Lapierre, William Villeneuve, Mavrik Bourque et Lukas Cormier, et tout juste avant Dufour. C’est aussi l’une des qualités qui ont convaincu le directeur général et entraîneur-chef des Islanders, Jim Hulton, de céder deux choix de premier tour et Justin Gill au Phoenix pour faire son acquisition en janvier 2021.

 

« On a vraiment aimé son jeu l’an dernier. La plus grosse différence, c’est qu’il est plus confiant à lancer la rondelle. Il était avant tout un gars qui pensait d’abord à passer la rondelle, mais il a un vrai lancer de franc-tireur. La seule chose qu’on a faite, c’est de l’encourager à adopter une mentalité de tireur et les résultats sont là. »

 

« L’an dernier, il m’a passé le message assez clairement, confirme Guay. Il voyait que j’avais un bon tir dans les pratiques et il voulait que je lance. Cet été, je me suis vraiment fixé comme objectif d’être un shooter, l’un des tops tireurs de la ligue cette année. J’ai fait sûr de vraiment mettre les chances de mon bord. »

 

Pour ce faire, Guay a notamment mitraillé de rondelles le filet d’un parc de Magog lors de plusieurs soirées. Aidé de son bon ami William Villeneuve, un talentueux défenseur des Sea Dogs, et équipé d’une petite surface synthétique, Guay avait tout le nécessaire. Même pas besoin de gardien.

 

« On faisait des exercices de tirs rapides. On se faisait des saucers (passes soulevées), il fallait les attraper et laisser partir la rondelle. Des p’tits drills comme ça. [...] Rien de fou, juste pour la laisser partir. »

 

En plein ce qu’il fait régulièrement, et avec brio, sur le jeu de puissance des Islanders cette saison.

 

Trois gars à Bouctouche

 

Avec 16 buts inscrits en avantage numérique jusqu’à maintenant, Guay affiche le meilleur rendement du circuit Courteau, à égalité avec l’attaquant des Cataractes de Shawinigan Olivier Nadeau.

 

Bon nombre des 16 filets du gaucher ont été le résultat d’un lancer sur réception décoché du cercle de mise en jeu droit, où ses coéquipiers Xavier Simoneau – avant la blessure qui le tient présentement à l’écart – et Lukas Cormier se sont fait une spécialité de l’alimenter. Le genre de mise en scène que les trois complices ont pu perfectionner, et bien d’autres, à la fin janvier sur une patinoire du Nouveau-Brunswick leur appartenant à eux seuls.

Alors que les joueurs des Islanders étaient privés d’une patinoire pour s’entraîner durant deux semaines à leur retour sur l’Île-du-Prince-Édouard en prévision de la reprise des activités dans la LHJMQ au début février, Cormier a eu une idée.

 

« Son père avait les clés de l’aréna à Bouctouche, un vieil aréna qui s’appelle le Forum, raconte Guay, qui a séjourné en compagnie de Simoneau et Cormier chez les parents de ce dernier. Il faisait froid en maudit dans cet aréna-là, même si on avait tout notre stock, mais c’est un quatre jours pendant lequel on a trippé. On avait de la glace chaque jour et on s’entraînait ensemble. Tous les trois, on va s’en souvenir toute notre vie. »

 

Guay admet ne pas en avoir vu les bénéfices immédiatement, mais après un bref ralentissement, l’attaque à cinq des Islanders a depuis retrouvé de sa vigueur aux yeux du marqueur naturel, certainement l’un des artisans de celle-ci, comme l’illustrent les données de Sportlogiq. Au terme des 41 matchs qui ont suivi sa montée en puissance, Guay occupait le 1er rang de la ligue pour les buts attendus (1,54) et les tirs de l’enclave (6,5), de même que le 2e échelon pour les chances de marquer (9,8) en moyenne par tranche de 20 minutes jouées en avantage numérique.

 

Moyennes par 20 minutes de jeu en avantage numérique (source : Sportlogiq)
  7 premiers matchs (parmi 164 joueurs avec min. 10 minutes) 41 matchs suivants (parmi 169joueurs avec min. 60 minutes)
Tirs tentés 9,1 (48e) 14,0 (11e)
Chances de marquer 5,1 (55e) 9,8 (2e)
Tirs de l'enclave 3,0 (57e) 6,5 (1er)
Buts attendus 0,36 (89e) 1,54 (1er)
Passes reçues dans l'enclave 3,0 (77e) 10,2 (3e)

 

Comme Desruisseaux?

 

Ignoré lors des deux derniers repêchages de la LNH, Guay met des chiffres au tableau (76 points en 50 matchs) qui ne risquent pas de passer inaperçus. Déjà, l’an dernier, il était tombé dans l’œil des Coyotes de l’Arizona, qui l’avaient convié à leur camp d’entraînement. Une méningite virale contractée six jours avant de mettre le cap sur le désert l’a toutefois dépouillé de ce précieux prix de consolation.

 

« J’ai été dans un lit d’hôpital pendant trois jours avec des intraveineuses et tout. C’était vraiment tough parce que c’est quelque chose pour lequel tu travailles toute ta vie. De ne pas être repêché deux ans de suite, c’est une déception. Finalement, j’avais ma chance d’aller à un camp LNH, mais je n’ai pas pu y aller à cause d’une maladie que j’ai attrapée je ne sais où. »

 

« Je me suis vraiment servi de cette motivation-là en arrivant à Charlottetown pour prouver que premièrement, j’avais ma place [au camp des Coyotes] et ensuite que je mérite encore de me faire inviter ou d’être repêché cette année. »

 

Pour l’instant, Guay dit ne pas avoir eu beaucoup de contacts avec des clubs du circuit Bettman. Une récente rencontre avec le directeur du développement des Golden Knights de Vegas lui inspire confiance et il y a bien les Capitals de Washington qui lui ont fait parvenir deux questionnaires à remplir. Mais sans plus.

 

« Des personnes commencent à poser les bonnes questions, c’est ce qui est bien, laisse de son côté entendre Hulton. Son jeu et sa valeur commencent à être reconnus. Ce qui est bien, c’est qu’on en a pas beaucoup parlé. On vit ça au jour le jour. Il fait vraiment un bon travail à se concentrer uniquement sur aujourd’hui, sans être inquiété par les distractions extérieures. Il comprend que le repêchage, la signature d’un contrat et toutes ces choses, ça arrive après la saison, pourvu que tu fasses ta job durant la saison. »

 

Guay s’inspire bien sûr de Simoneau, qui n’a pas besoin de présentation, mais aussi de son coéquipier de l’an dernier Cédric Desruisseaux, champion pointeur et buteur de la saison 2020-2021 qui a obtenu à 20 ans un premier contrat professionnel du Canadien de Montréal.

 

« Il roulait à un but par match et il ne se gênait pas lui non plus pour shooter la puck quand il avait la chance. De voir vu un gars comme lui qui a signé avec le Canadien, c’est toujours motivant. Je me dis que ça pourrait être moi un jour si je continue à bien faire les choses. »