BOISBRIAND, Qc – C’est écrit blanc sur noir, à l’arrière de son masque. Le message d’Émile Samson à tous ceux qui, comme lui, ont essuyé refus, après refus, après refus.

« Ne laisse jamais quelqu’un te dire que tu ne peux pas faire quelque chose. Même pas moi. Si tu as un rêve, tu dois le protéger. Parfois, les gens sont mauvais dans une chose et ils vont te dire : "Toi aussi, laisse tomber". Si tu veux quelque chose, tu peux l’avoir. Point final. »

Ces mots, ce ne sont pas ceux du gardien de l’Armada de Blainville-Boisbriand. Ce sont plutôt ceux prononcés par l’acteur Will Smith dans une scène du film La poursuite du bonheur. Dans celle-ci, le personnage Chris Gardner, un vendeur jeté à la rue et peinant à joindre les deux bouts, joue au basketball avec son jeune fils de 5 ans quand ce dernier exprime son plus profond désir.

« Je vais jouer dans les pros! »

La réplique du paternel, bien que teinte d’amour, est cruelle.

« Tu vas exceller dans beaucoup de choses, mais pas dans ça. Je ne veux pas que tu te mettes à lancer ce ballon comme ça jour et nuit.  »

Démoli, le petit abandonne et range son ballon dans un sac de plastique plutôt que de tenter un autre lancer au panier. Son père l’observe alors en silence avant qu’une prise de conscience ne mette la table à l’inspirant discours qui orne aujourd’hui le casque du portier de l’Armada.

Samson s’identifie à cet enfant qui ose rêver. À 5 pi 8 po et 145 livres, la culture du hockey lui rappelle depuis trop longtemps déjà qu’il vaudrait mieux qu’il ne se fasse pas trop d’attentes. Qu’il n’a pas ce qu’il faut pour exercer sa profession au plus haut niveau.

C’est pourtant sur lui que l’Armada comptera ce soir pour remporter face aux Islanders de Charlottetown le match no 7 qui la sépare d’une deuxième présence de suite en finale de la coupe du Président.

On est loin de l’expérience qui ne devait au départ durer que le temps d'une pratique. Peut-être deux.

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C’était il y a un peu plus d’un an. À la recherche d’un gardien pour assurer ses arrières en cas de blessures, l’Armada place quelques coups de fil avant de donner suite à une suggestion de son recruteur en chef, Dany Gauthier.

Dans les rangs collégiaux, à Sainte-Foy, se cachait un oublié.

« On a appelé une couple de goalers avant de le lui demander, se souvient Maxime Vaillancourt, l’entraîneur des gardiens de l’Armada, du premier contact de l’organisation avec Samson. C’est le seul qui n’a même pas hésité. »

« Je vais être là, même si c’est juste pour un warm-up, avait-il aussitôt répondu. C’est à quelle heure? »

Samson a franchi les portes du Centre d’Excellence Sports Rousseau une demi-heure avant tout le monde. Ça n’avait beau être qu’une séance d’entraînement, pour lui, c’était une audition. Son audition. Celle qu’aucun club de la LHJMQ ou des rangs Midget AAA n’avait jusque-là daigné lui offrir.

Avoir su...

« Dès le premier warm-up que j’ai vu, je me suis dit : "Tabarnouche qu’il est petit! Mais cri*** qu’il se bat!", s’émerveille encore Vaillancourt. Il se donnait. Il n’y a pas une puck sur laquelle il ne s’est pas donné, même celles qui sont rentrées. J’ai tout de suite su qu’il fallait l’inviter au prochain camp des recrues. Laisse faire sa grandeur, laisse faire tout. »

Le temps de ranger son équipement et de cogner à la porte du bureau des entraîneurs, Samson était déjà sur le chemin du retour pour Québec. Merci beaucoup pour l’opportunité. À la prochaine peut-être.

« Il n’a jamais rien demandé, souligne Vaillancourt. Il n’a jamais appelé par la suite pour demander s’il venait au camp des recrues. Joël [Bouchard, l’entraîneur-chef], des jeunes de même, il aime ça. Des jeunes qui l’ont eu un peu dur dans le hockey mineur et qui jouent au hockey pour les bonnes raisons. Je pense que c’est ça l’Armada. »

Au fil des mois qui ont suivi, le club des Basses-Laurentides a gardé un œil sur Samson. À sa première saison dans l’uniforme des Dynamiques du Cégep de Sainte-Foy, Samson a signé 15 victoires, un sommet dans le circuit collégial division 1. Son invitation au Challenge des recrues tenu à Sherbrooke, il l’avait enfin méritée.

« C’est sûr que quand j’étais jeune, j’y croyais peut-être un peu moins, mais c’était toujours un rêve que j’avais en tête, confie Samson. C’est après une bonne saison collégiale que j’ai commencé de plus en plus à y croire. Et quand j’ai reçu l’appel de Joël, j’y croyais de plus en plus. »

Après avoir eu le meilleur sur deux gardiens mesurant au moins 6 pi chacun au camp des recrues, Samson était maintenant prêt à lutter pour le poste d’auxiliaire à Francis Leclerc, propulsé au rang de no 1 par le départ de Samuel Montembeault pour les professionnels.

« Je me rappelle très bien d’avoir dit à Joël : "Si tu l’embarques, tu vas être obligé de le garder. Et si tu le gardes, ça va finir que c’est lui qui va goaler" », raconte Christian LaRue, l’entraîneur des Dynamiques qui a recruté Samson il y a près de deux ans.

« On l’avait identifié comme un prospect, explique-t-il. Il arrivait du juvénile, où il venait de gagner deux championnats consécutifs en secondaire 4 et 5. [...] On pensait qu’il allait être en mesure de reproduire ce type de performances à ce calibre dans un avenir relativement proche. Après un an, il a gradué avec l’Armada... »

Allait-il être en mesure de répéter l’exploit à l’échelon supérieur?

« C’est un gros, gros step, relève LaRue, qui a déjà dirigé quatre clubs de la LHJMQ. Jouer un an dans le collégial l’a quand même bien préparé parce qu’il y a des gars de 18-19 ans dans notre ligue. La vitesse des tirs, dans certains cas, peut être comparable, mais pour la vitesse d’exécution, ça n’a rien à avoir avec le junior majeur. »

« Les tirs, ça se ressemble pas mal, convient Samson. Le gabarit des gars, c’est pas mal la même chose, et la puissance est à peu près la même. C’est plus l’intelligence des gars sur la patinoire [qui fait la différence]. Les gars ont plus d’expérience et sont plus rapides, ils ne se font pas des passes pour rien. Ils font les jeux intelligents. »

Samson a néanmoins tenu son bout à ses débuts. Au terme de la première moitié du calendrier régulier, la recrue de l’Armada affichait un respectable dossier de 6-3, une moyenne de buts alloués de 2,82 et un taux d’efficacité de ,892 en neuf départs. L’acclimatation suivait son cours normal... Jusqu’à ce qu’elle soit perturbée par une transaction.

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Le 18 décembre, Mikhail Denisov, un vétéran de trois saisons avec 94 matchs d’expérience dans la LHJMQ, débarquait à Boisbriand en provenance de Shawinigan. S’amorçait alors un ménage à trois devant le filet qui n’annonçait rien de bon pour Samson.

« Quand il était dans les estrades à Noël, il restait le même, vante Vaillancourt. Il aidait les préposés à l’équipement et il aidait à paqueter le bus. Il se présentait aux pratiques, et même s’il ne jouait pas, il ne jouait pas de game. »

Samson a fait cela pendant trois semaines. Jusqu’à ce que Leclerc, insatisfait de son temps d’utilisation depuis l’arrivée de Denisov, ne force l’Armada à le soumettre au ballottage. Le 12 janvier, Samson obtenait un premier départ en un peu plus d’un mois.

Il n’a pas subi la moindre défaite en temps réglementaire depuis. Séries incluses (21-0-6).

« Après les Fêtes, j’ai joué un p’tit peu plus en confiance, analyse celui qui a profité d’une blessure à Denisov à un mois et demi du début des séries pour s’emparer des fonctions principales. C’est vraiment là que je me suis rendu compte que je pouvais avoir mon mot à dire durant les matchs. »

Et en séries aussi. Samson montre la deuxième meilleure moyenne de buts alloués (2,08) du circuit, derrière le portier du Titan d’Acadie-Bathurst Evan Fitzpatrick (1,99), un espoir des Blues de St Louis de 6 pi 3 po et 208 lb.

« Tout part de l’attitude, cerne Vaillancourt. Il y a des jeunes qui sont plus petits et qui jouent plus petits. Lui, il ne pense pas comme ça. Sa lecture du jeu et son niveau de compétition sont pas mal hauts. De la manière dont il se positionne, il est tout le temps centré sur la rondelle. Que tu mesures 6 pi 4 po ou 5 pi 6 po, si tu n’es pas centré sur la rondelle, que tu n’arrives pas avant elle et que tu ne lis pas le jeu, tu vas être petit dans ton filet. »

Un géant. Voilà à quoi seront confrontés les Islanders ce soir.