MONTRÉAL – Pendant plusieurs mois, David Henley a jonglé avec l’idée. Il aurait pu exiger un échange, joindre les rangs d’une équipe prétendante, et tenter sa chance. Une dernière fois.

 

C’était tentant.

 

« J’ai laissé aller les choses jusqu’à la période des échanges pour voir comment je me sentirais à ce moment. Mais rendu là, ça ne me tentait pas de paqueter mes affaires, d’aller dans une pension quand je suis ici avec ma famille. Je suis capitaine et je suis fier de l’être ici. »

 

Comme ses frères Cédrick et Samuel avant lui, c’est avec le « C » brodé à son chandail des Foreurs que le fier Valdorien bouclera sa carrière junior.

 

« J’aime ça gagner, mais de là à quitter tout ça pour une chance de gagner... J’ai pris la bonne décision. »

 

Aussi difficiles soient les circonstances.

 

« On ne se le cachera pas, fait remarquer Samuel, le benjamin de la fratrie, c’est une année extrêmement plus difficile que ce qu’on a vécu à nos dernières saisons. »

 

Samuel HenleyIl y a quatre ans, ce dernier ramenait la coupe du Président à Val-d’Or. Un an plus tôt, l’aîné, Cédrick, mettait un terme à sa carrière junior avec une élimination au deuxième tour.

 

David, lui, n’a pas goûté à la victoire depuis le 16 février. Défaits à leurs 13 derniers matchs du calendrier régulier, les Foreurs ont été les derniers à accéder aux séries et accusent un retard de 0-2 dans leur duel de premier tour face à l’Armada de Blainville-Boisbriand.

 

« On le sait qu’on n’ira probablement pas à la Coupe Memorial, ce n’est pas notre objectif », notait-il en toute lucidité avant le début des hostilités.

 

Ce n’est pas de cette façon dont le défenseur de 21 ans rêvait de mettre un point final à un imposant chapitre de la vie chez les Henley. Mais de là à se défiler? Non.

 

Jusqu’à la fin, il veillera sur ses coéquipiers. Jusqu’à la fin, il se portera à leur défense. Jusqu’à la fin, il en bloquera des tirs. Jusqu’à la fin, il montrera l’exemple...

 

Jusqu’à la fin, il sera un Henley.

 

« Papa est malade »

 

Repêché en première ronde par les Foreurs en 2013, le cadet des frères Henley a disputé 35 rencontres avec le club abitibien avant d’être troqué l’hiver suivant aux Islanders de Charlottetown.

 

Pour une chance au titre, les Foreurs étaient prêts à sacrifier le p’tit dernier.

 

Pendant deux saisons sur l’Île-du-Prince-Édouard, David s’est épanoui. Il a obtenu son permis de conduire, complété ses études secondaires, appris l’anglais, pris confiance... Il est devenu un homme.

 

« C’était parfait à Charlottetown, souligne sa mère, Manon Lévesque. [...] Tout allait bien, il aimait ses chums. Jusqu’à ce qu’il réalise qu’il voulait revenir. Papa est malade. »

 

Roc Henley livrait bataille à un cancer du côlon depuis quelques années déjà. De plus en plus, la maladie gagnait du terrain. Son plus jeune, bien malgré lui, était forcé de revoir ses priorités.

 

« Ça s’est mis à tourner dans sa tête : "S’il arrive quelque chose à papa, je suis loin". C’est alors qu’il m’a demandé : "Maman, qu’est-ce que tu dirais si je revenais?". »

 

Mme Lévesque ne croit pas être mère poule, mais elle n’allait quand même pas dire non.

 

Le 20 décembre 2015, après de cordiales négociations avec les Islanders, les Foreurs ramenaient David à la maison.

 

« Les trois [garçons] sont protecteurs, mais on dirait que David l’est encore plus, estime sa mère. En revenant de Charlottetown, il s’est donné comme rôle d’aider sa mère avec son père. »

 

Et elle en a bien besoin.

 

« Ma mère, signale Cédrick, ça fait 6 ans qu’elle a mis sa vie de côté. »

 

Elle n’a pas le choix. Régulièrement, elle enchaîne les allers-retours entre Val-d’Or et Montréal, où son conjoint réside afin d’y subir ses traitements de chimiothérapie.

 

Aidante naturelle, accompagnatrice, confidente, travailleuse autonome, maman...

 

« C’est demandant, je suis à Val-d’Or et Montréal en même temps. J’ai beaucoup de chapeaux. »

 

David Henley, aux côtés de ses frères Samuel (à gauche) et Cédrick (droite).Elle peut heureusement compter sur ses trois fils, notamment David à la maison, pour lui offrir un coup de pouce et un semblant de vie normale.

 

« Il m’apporte vraiment beaucoup avec son énergie. Ce n’est pas un p’tit gars qui ne jase pas, il jase énormément. Tout ce qui se passe dans la chambre [des Foreurs], moi je sais tout, mais c’est défendu que ça sorte de la maison! [...] Le fait d’aider mon fils dans certaines situations, ça nous change les idées. »

 

Mais la réalité reste implacable.

 

« Présentement, on ne parle pas de guérison, mais de maintien, se désole David. On sait que mon père ne sera pas là bien, bien longtemps, alors on veut être proche de lui et l’accompagner le plus possible. »

 

Plus facile à dire qu’à faire quand en plus, on doit assumer des responsabilités de capitaine d’une formation junior.

 

« Il me dit tout le temps qu’il a peur de ne pas être là quand Roc va partir, confie sa mère, déchirée. Je lui réponds toujours : "David, ça fait sept ans que tu dis tous les jours à ton père que tu l’aimes. Tu ne peux pas avoir plus dit à quelqu’un que tu l’aimes et le prouver comme ça, même si tu n’es pas là jusqu’à la toute fin". »

 

Malgré les tourments, David n’abandonnera jamais sa deuxième famille qui, elle aussi, a besoin de lui. C’est contre sa nature.

 

À la hauteur

 

David Henley n’a longtemps désiré qu’une chose : être à la hauteur de ses frères.

 

« Quand il était petit, tout ce qu’il voulait, c’était faire aussi bien que ses frères, retrace sa mère. [...] C’était un p’tit gars en admiration devant ses frères. Tout le temps. »

 

« Il se mettait tellement de pression, poursuit-elle. Tellement que lorsque ses frères étaient de plus en plus grands et dans leur peak de croissance, David, même s’il avait 5 et 4 ans de moins qu’eux, il fallait qu’il grandisse aussi. Il avait tellement peur d’être le p’tit cul de la famille. C’était à tous les niveaux. »

 

Le p’tit cul mesure aujourd’hui 6 pi 5 po, comme ses frères. Il a disputé cinq saisons dans la LHJMQ, comme ses frères. Et c’est dans sa ville, dans l‘uniforme vert et or, que son règne de capitaine prendra fin, comme ses frères.

 

« Pour mon égo personnel, je ne voulais pas être le seul à ne pas l’avoir été. »

 

Il n’allait toutefois pas le devenir par charité.

 

« Je ne leur ai pas donné le "C" jusque parce qu’ils étaient des Henley. C’était mérité. Avec eux, je n’avais pas à me poser de questions. C’était une fierté, je ne leur faisais pas une faveur », jure Mario Durocher, qui a dirigé les trois frères au fil de son association de six ans avec les Foreurs.

 

David Henley« Sur la glace, ils faisaient la job, ajoute l’expérimenté entraîneur maintenant à l’emploi du Drakkar de Baie-Comeau. Les trois, c’était des gars physiques, des gars qui n’avaient pas peur de jeter les gants et d’aller défendre leurs coéquipiers. De vrais leaders. »

 

Sur la patinoire, comme dans le vestiaire.

 

« David, Samuel et Cédrick, ce sont des gars qui n’ont pas peur de se lever, de péter une crise ou un bâton. Le respect, ils l’imposaient. »

 

Et malheur au coéquipier qui osait critiquer leur ville.

 

« Ce n’était pas trop long qu’il y avait des discussions animées dans le bus », raconte Durocher, amusé.

 

« Il est arrivé quelques petits accrochages à cause de ça, reconnaît Samuel. Si on entendait de mauvaises choses sur la ville, ça ne se passait pas trop bien. »

 

« C’était de vrais anges gardiens à Val-d’Or pour un club de hockey », résume Durocher, la gorge nouée par l’émotion.

 

Pendant près d’une décennie, les frères Henley auront veillé sur l’équipe de leur enfance. Encore deux matchs, peut-être plus, et David aura complété son mandat. Il ne ramènera peut-être pas de trophée à Val-d’Or, mais jusqu’à la fin, il sera à la hauteur.  

 

Jusqu’à la fin, il sera un Henley.