MONTRÉAL – Lorsque les trois premiers tirs que tu arrêtes dans la LNH sont ceux de Vincent Damphousse, Teemu Selanne et Owen Nolan, c’est naturel de s’imaginer que c’est le début d’une belle et longue aventure. Pour Simon Lajeunesse, ça n’aura plutôt duré qu’un seul match ou, pour être précis, 23 minutes 30 secondes.
 
Pourtant, le gardien québécois, qui était alors âgé de 21 ans, avait tenu le fort admirablement face aux menaçants Sharks, à San Jose, le 7 mars 2002. Lajeunesse avait stoppé les neuf lancers dirigés vers lui dans une défaite de 5 à 2 des Sénateurs d’Ottawa.
 
Il s’agissait donc de son « moment de gloire » et personne ne pourra lui enlever son taux d’efficacité parfait. Parmi tous les gardiens qui ont été limités à une sortie dans la LNH, ils sont peu nombreux à pouvoir raconter une prestation aussi positive. À vrai dire, cette unique audition a mal viré plus souvent qu’autrement. 
 
« Ouais, j’ai une efficacité de ,1000, a-t-il convenu en riant. Ça s’était très bien passé. En gros, Patrick Lalime avait connu un mauvais match et j’avais été envoyé en relève. »
 
L’ancien gardien avait connu une ascension fulgurante en 2001-2002.
 
« Dans mon cas, c’est tellement arrivé vite que je n’ai pas trop eu le temps d’être stressé. J’avais commencé l’année dans la East Coast (ECHL) et, un mois plus tard, j’avais gradué dans la LAH. Peu de temps après, je montais dans la LNH parce qu’il y avait des blessés. On m’avait rappelé pour quelques matchs et j’ai été chanceux parce que c’était le voyage que tout le monde veut faire sur la côte ouest américaine », s’est-il rappelé en entrevue avec le RDS.ca.
 
Quand Lalime a cédé cinq fois en deuxième période contre les Sharks, Jacques Martin a choisi d’envoyer la recrue dans la mêlée.
 
« Jacques m’a fait signe du style ‘Envoye dans le net, le jeune’. Je suis embarqué et je ressentais une certaine nervosité, mais, au même moment, on m’a montré à l’écran géant pour indiquer que c’était ma première présence dans la LNH et tous les partisans m’ont hué. Ça m’a donné un boost de confiance et ça m’a enlevé de la pression », a raconté le choix de deuxième ronde en 1999.
 
Voici ce qu’il avait raconté à Martin Comtois, du journal Le Droit, au terme de la rencontre. 
 
« Juste avant la mise en jeu, je me suis promis de garder mon calme et de ne pas regarder les noms derrière les chandails des Sharks. Je ne voulais pas me laisser impressionner. »
 
Lajeunesse n'a pu résister à la tentation. Après la partie, il savait très bien qui avaient été les trois premiers joueurs à tirer sur lui. « Vincent Damphousse, Teemu Selanne et Owen Nolan, a-t-il énuméré avec un sourire. Tu ne peux pas demander mieux comme début dans la Ligue nationale. Ce sont trois des meilleurs joueurs. Je ne vais jamais oublier ce match. »

Ray Emery et les blessures ont bousculé les plans
 
À l’époque, il était convaincu qu’il aurait l’occasion de reproduire de telles performances. Toutefois, la suite de sa carrière a été chamboulée par deux facteurs distincts.
 
« Au hockey, on dit que tu dois être chanceux pour te rendre dans la LNH et malchanceux pour ne pas te rendre. J’avais eu une excellente première année professionnelle dans la Ligue américaine. On avait gagné un trophée pour la moyenne de buts alloués avec Martin Prusek. Pendant l’été suivant, Marshall Johnston, qui m’avait repêché et qui m’aimait beaucoup, est parti. John Muckler est arrivé et il a repêché Ray Emery. On le connaît tous, le défunt Ray Emery, et John trippait sur lui », a expliqué Lajeunesse.
 
Emery a fait le saut dans la Ligue américaine en 2002-2003 alors que Lajeunesse s’attendait à être l’homme de confiance du club-école. Il avait quelques arguments pour y croire.
 
« Aussi étonnant que ça puisse paraître, j’avais été le dernier coupé par les Sénateurs. J’avais participé au tournoi de golf de l’équipe. J’avais l’impression que j’étais un peu l’avenir pour eux. Là, je suis arrivé au premier match de la Ligue américaine et Emery a obtenu le départ. Il a goalé quelque chose comme huit games en ligne et il en a perdu sept, je pense. J’ai allumé que je n’étais pas la priorité. Quoique Ray Emery était un excellent gardien, c’est certain », a détaillé l’ancien des Wildcats de Moncton et des Foreurs de Val-d’Or.
 
Quand il a voulu y voir plus clair, il a été frappé par la réalité sans pitié du hockey.  
 
« Il a fallu que j’aille voir le coach pour comprendre ce qui se passait. Il m’a dit ‘Tu n’es pas le numéro un et tu ne joueras pas souvent. Dans la tête des dirigeants, c’est Emery’. À ce moment-là, c’est difficile de garder le moral quand on te lance ça à 20 ans. Ce n’est pas toujours évident », a-t-il admis.
 
Le choc a frappé.
 
« C’était terrible, ma pire année de cauchemar. Tu ne joues pas, tu te fais échanger, tu te blesses... Mais ça fait partie du sport, ça forme la jeunesse sans vouloir faire un jeu de mots », a lancé l’homme de 39 ans qui en rit aujourd’hui.   
 
Cette transaction aux Panthers de la Floride est survenue près d’un an jour pour jour après son match avec les Sens. C’est là-bas que le deuxième facteur s’est acharné sur lui. 
 
« Quand j’ai réussi à m’adapter et que ça allait bien (à sa deuxième année avec ce club), je me suis déchiré les deux aines dans le même mois... », a témoigné Lajeunesse.
 
Il n’a pas eu le choix de se soumettre à une pause de six mois. Au moment de renouer avec l’action, il est arrivé dans le contexte du lock-out de 2004-2005. « Pas question de signer un gars qui a été blessé pendant six mois », a constaté Lajeunesse.
 
Sans surprise, il a été envoyé dans l’ECHL pour retrouver son aplomb sans avoir de contrat de la Ligue américaine ou de la LNH. Rien pour aider, il s’est déchiré l’aine une troisième fois. Il devait maintenant décider si le statut d’expat l’attirait parce que les offres venaient surtout de l’Europe.
 
« J’ai choisi de lâcher mes pads et de retourner à l’école. Ce n’était pas facile, mais il fallait que je fasse le move », a déclaré Lajeunesse qui sait bien que ce sont des athlètes d’exception qui parviennent à compléter des carrières professionnelles de 20 saisons.
 
Le défi de réorienter sa vie à la mi-vingtaine, quand on n’a connu que le hockey, a été plus exigeant que d’arrêter une échappée de Selanne pour lui. 
 
« Je ne savais pas du tout dans quoi me diriger. Je n’avais étudié dans aucun domaine spécifique. Mais, quand j’ai trouvé ma voie (en tant que pompier), tout s’est mis à bien aller », a précisé Lajeunesse qui avait quitté la maison familiale à 15 ans pour le hockey, un sacrifice qui n’a pas été facile pour ses parents.
 
Aujourd’hui ses deux filles (7 ans et 10 ans) s’amusent parfois à regarder les images de sa partie dans la LNH grâce à une cassette VHS donnée par les Sénateurs. Une fierté méritée s’est installée au fil du temps.

Quand Craig Anderson enviait Lajeunesse
 
Sinon, il se rabat sur de précieux souvenirs. D’ailleurs, il a conservé quelques savoureuses anecdotes pour un si bref passage dans la LNH. Après tout, il a pu côtoyer les Daniel Alfredsson, Marian Hossa, Martin Havlat, Wade Redden, Mike Fisher, Zdeno Chara et compagnie.
 
« Ils avaient tous un talent incroyable, c’était impressionnant de les voir s’entraîner. C’était un travail pour eux, pas comme du hockey quand on s’amuse au coin de la rue. Quand tu es le troisième gardien ou le petit jeune de 19-20 ans, disons que la puck arrive vite ! », a-t-il lancé.  
 
« Une petite anecdote qui me fait encore rire, c’est quand j’avais aperçu un morceau de papier sur le plancher près des casiers en sortant de la douche. Je le ramasse pour bien faire et c’était un chèque de quelque chose comme 380 000$ qui traînait par terre. C’était écrit Martin Havlat dessus. Je m’en vais le voir pour lui donner et il m’a juste répondu ‘Merci, ça fait deux semaines que je le cherchais’. Il le met dans ses poches et continue à marcher. Pour te dire à quel point c’est un autre univers », a poursuivi Lajeunesse.
 
Tout comme lui, Havlat a été repêché en 1999 avec la sélection de première ronde des Sens. Une ronde après Lajeunesse, les Flames ont choisi le gardien Craig Anderson qui, par une ironie fascinante, sera devenu le visage des Sénateurs devant le filet pendant plusieurs années.
 
« On se parlait souvent dans la Ligue américaine. La première saison, c’était lui qui mangeait son pain noir. Il jouait pour Norfolk et il me disait ‘T’es chanceux Simon, tu joues tout le temps’. Je lui disais de ne pas lâcher et que ça viendrait pour lui aussi. L’année d’après, le contraire est arrivé », a décrit Lajeunesse.
 
Et que dire de cette mésaventure dans l’ECHL qui lui a confirmé que la fin était arrivée.
 
« En 2004-2005, je pense que je me suis fait échanger quatre ou cinq fois. Je me blessais et les équipes ECHL n’avaient pas les moyens de payer mon salaire pendant que j’étais dans les gradins. Comble du malheur, je me fais échanger de Fresno, en Californie, à Gwinnett, en Georgie. À mi-chemin, j’arrête dans un petit motel pour dormir. Je me réveille le lendemain et je m’étais fait voler tout mon stock de hockey, mes valises et mon ordinateur. J’en avais pour plus de 20 000$ dans mon char, mes ordinateurs et tout. »
 
« Quand l’été arrive, tu n’as pas trop le goût de jouer de nouveau après tout ça. J’avais fait le tour », a conclu Lajeunesse qui a développé l’une de ses plus belles amitiés au hockey avec Mathieu Chouinard même s’il a été son rival dans l’organisation des Sens.
 
Bref, c’est possible de conserver de précieux souvenirs même après une courte carrière d’une partie dans la LNH.