MONTRÉAL - Parce que je m’attendais bien plus à tomber sur une boîte vocale que sur la voix de l’ancien dur à cuire qui n’a jamais reculé devant rien ni personne pour défendre ses coéquipiers des Canucks, des Islanders, des Flyers et du Canadien au cours de sa carrière de 12 ans dans la LNH, j’ai été complètement pris au dépourvu lorsque Gino Odjick a répondu un « Allo! » bien franc à l’autre bout du fil.

Au lieu d’y aller de quelques banales politesses, histoire de mettre la table à une conversation que je tentais d’avoir depuis des mois, je n’ai rien trouvé de mieux que de lui lancer : « Tu es toujours vivant! »

Vraiment pas fort comme entrée de jeu. J’en conviens.

Parce qu’il a encaissé des taloches pas mal plus percutantes au cours de sa carrière, Odjick ne s’est pas formalisé outre mesure de ce manque de tact. En fait, il ne s’en est pas formalisé du tout.

« Je suis toujours vivant et très heureux de l’être », que l’ami Gino a répliqué en riant.

Remarquez qu’Odjick a de quoi rire :

Foudroyé par une amylose cardiaque AL, une maladie rare, pernicieuse et foudroyante, Gino Odjick a été condamné par les médecins de Vancouver dès qu’ils lui ont fait part du diagnostic initial en 2014.

« Ils m’ont dit qu’il me restait quelques semaines, tout au plus quelques mois à vivre. Ils m’ont dit de préparer mon départ, de retourner à la maison – à Maniwaki, dans l’Outaouais – pour être près des miens parce qu’il n’y avait rien à faire », se rappelle Gino Odjick.

Voilà que l’homme fort, qui avait toujours su éviter le pire malgré ses face-à-face tout aussi nombreux que périlleux l’opposant aux autres policiers qui imposaient leur loi dans la LNH d’une autre époque, était menacé de mort par le plus petit adversaire qui soit. Par une protéine qui s’était développée en raison d’un manque de communication entre le plasma qui n’a pas su produire les anticorps réclamés par son système immunitaire. Ayant ainsi un libre accès au corps de sa victime, la protéine s’est multipliée pour ensuite s’attaquer en meute au corps d’Odjick qui a rapidement été amputé de 80 % de ses capacités.

Et parce qu’il n’y avait pas de traitement reconnu pour renverser la situation, les médecins y sont allés du pronostic qui n’était ni plus ni moins qu’un avertissement que la fin était proche.

L’annonce de la maladie qui était sur le point d’emporter ce joueur, qui a toujours profité d’un appui indéfectible de la part des partisans des équipes pour lesquelles il a évolué, a donné lieu à de grands mouvements de sympathies. Le 29 juin 2014, des centaines de fans des Canucks se sont massés devant l’hôpital général de Vancouver où il était soigné. Escorté par des amis et membres de sa famille, Odjick était apparu affaibli, en fauteuil roulant, pour venir faire ses adieux à ses fans. Des vagues de sympathies tout aussi senties parties de Long Island, Philadelphie, Montréal et des autres coins de la LNH avaient également déferlé jusqu’à Vancouver.

Mais ces appuis ne pouvaient ralentir la maladie. Encore moins en venir à bout. Pas plus que les Grands Esprits qu’Odjick a toujours vénérés en tant que fier Algonquin natif de la réserve Kitigan Zibi, à un jet de pierre de la municipalité de Maniwaki, à environ 125 kilomètres au nord de Gatineau.

Souffle court, tête remplie de projets

Confronté à cette mort annoncée, Odjick a donc mis le cap sur la « maison ». Mais avant de se rendre à Maniwaki, il s’est retrouvé à l’hôpital général d’Ottawa où des médecins lui ont proposé des traitements expérimentaux.

« Je n’étais pas prêt à mourir. Mes enfants étaient trop jeunes. Je devais m’occuper d’eux. Il fallait que je reste près d’eux plus longtemps. Et comme je n’ai jamais senti que j’allais mourir, j’ai accepté les traitements en question et me voilà en rémission depuis deux ans déjà. Les médecins me disent que la maladie pourrait revenir un jour. J’espère juste que ce sera dans 20 ans », raconte Odjick qui a repris une vie normale. Ou presque.

Car bien qu’il soit en rémission, qu’il connaisse du succès à titre d’homme d’affaires, il est loin d’afficher la forme d’antan.

« Je m’entraînais de quatre cinq fois par semaine et je jouais encore régulièrement au hockey lorsque la maladie m’a frappé il y a cinq ans. C’était imprévisible. Ça n’a rien à voir avec l’hérédité. C’est simplement tombé du ciel. Du jour au lendemain, je ne pouvais plus rien faire d’autre que me battre pour prolonger ma vie. J’ai gagné cette bataille comme d’autres que j’ai livrée dans ma vie, mais le dernier combat a laissé des traces. J’ai pris beaucoup de poids. Beaucoup trop! Je pèse 280 livres et il serait hors de question de jouer au hockey. Aie! Je ne crois pas que je serais capable d’attacher mes patins », que Gino confesse.

Il tente de rire de son état. Mais ses ricanements n’arrivent pas à camoufler le souffle court qui témoigne de son état de santé encore précaire.

Bien qu’il soit hors de question de retourner sur la patinoire, Odjick reste malgré tout près du hockey à titre d’entraîneur du club des anciens Canucks.

« C’est ma manière de rester actif. C’est toujours le fun de sortir avec les anciens Canucks et de voir que je suis encore reconnu et apprécié aujourd’hui malgré la maladie et les années qui passent. »

Odjick se tient aussi bien au courant des bons et moins bons moments que connaît son ancien club, le Canadien de Montréal, par le biais de son fil twitter sur lequel il est pas mal actif lors des rencontres du Tricolore.

C’est d’ailleurs par l’entremise de ce média social que j’ai réalisé la saison dernière qu’Odjick avait pris du mieux. Qu’il était encore en vie! Et c’est depuis ce moment que je me proposais de lui faire signe afin de prendre de ses nouvelles. De savoir comment il allait. De comprendre comment il avait traversé cette terrible épreuve et d’avoir une idée de ce que sa vie était devenue. Un souhait que j’ai finalement osé réaliser plus tôt cette semaine.

Médiateur au service des Amérindiens

S’il ne peut plus faire de sport comme avant, s’il ne peut répondre à l’appel de la nature qui se fait pressant en cette période de chasse, Gino Odjick s’assure de rester bien alerte par le biais des affaires qu’il a développé avec son épouse Caroline Forester et la famille Aquilini qui est propriétaire des Canucks de Vancouver.

Impliqué dans le développement immobilier, le groupe Aquilini profite de la complicité de Gino Odjick pour acquérir des terrains qui représentent de véritables trésors dans la région de Vancouver.

« Je fais le lien entre le groupe Aquilini et les différentes nations autochtones installées autour de Vancouver. Les Amérindiens ont du terrain qu’ils louent au groupe Aquilini pour une période de 99 ans. Les maisons sont construites sur ces terrains et les profits des ventes sont séparés à 50-50 entre les Amérindiens et le promoteur. C’est une bonne façon de satisfaire tout le monde. C’est ma femme qui s’occupe des papiers et des contrats et moi je m’assure de faire le lien avec mes semblables pour qu’ils soient respectés », explique Odjick.

Père de sept enfants, Gino Odjick profite de la présence de l’un de ses fils, Patrick, qui est installé avec lui à Vancouver.

Les autres sont tous au Québec.

« Un de mes fils (Joey) est policier à Laval et ma fille Chynna est dans la région de Montréal elle aussi pour ses études. Les autres sont tous avec le reste de ma famille à Maniwaki », raconte Odjick qui espère être en mesure de renouer prochainement avec tout son monde.

Visiter la famille et Donald Audette

« Si tout continue à bien aller, je compte aller faire un tour pour revoir mes enfants et le reste de la famille à la fin du mois prochain », se permet d’avancer Odjick qui profitera aussi de l’occasion pour croiser son grand ami Donald Audette.

Aujourd’hui membre de l’équipe de recruteurs du Canadien de Montréal, Audette a grandi en compagnie d’Odjick qu’il qualifie même de frère. Un frère à qui il a rendu visite il y a cinq ans lorsque la maladie s’est imposée sans avoir été invitée.

« J’étais convaincu que c’était la dernière fois que je le voyais vivant. Il était vraiment affaibli. J’étais avec Michel Therrien – l’ancien coach du Canadien, aujourd’hui adjoint d’Alain Vigneault avec les Flyers à Philadelphie – et nous avions été complètement assommés de le voir dans cet état. Ça n’avait pas de sens qu’un gars solide comme Gino pouvait être soudainement aussi faible », racontait Audette croisé lors du repêchage l’été dernier.

Et comme ce repêchage se tenait à Vancouver et qu’Odjick, contre tous les pronostics des médecins, avait finalement eu le dessus sur la maladie qui devait mettre fin à ses jours, Audette et Therrien ont pu renouer avec leur grand copain en juin dernier.

« On n’a pu passer beaucoup de temps ensemble, mais on s’est retrouvé dans un restaurant pour prendre un bon repas les trois ensemble. J’étais content de les voir pour revivre les bons moments qu’on a connus quand nous étions plus jeunes, mais le plus beau de l’histoire, c’est que c’est Donald qui a ramassé la facture », lance Odjick avec une satisfaction évidente.

Peut-être que ce sera à son tour de payer lors du prochain repas. Car il semble acquis que le dernier repas d’Odjick a été remis à plus tard.

« À beaucoup plus tard », s’empresse-t-il d’ajouter en guise de conclusion.

Comme quoi l’ancien homme fort a peut-être pris du poids et perdu un peu de sa forme en raison du combat difficile qu’il a livré à la maladie au cours des cinq dernières années, mais qu’il n’a rien perdu de son sens de la répartie.