PHILADELPHIE - Lorsque Jeff Gorton, son ancien patron et directeur général des Rangers de New York, l’a appelé l’hiver dernier pour lui dire que deux équipes s’intéressaient à lui et qu’il venait de leur donner la permission de le contacter, Alain Vigneault n’a pas crié : enfin!

Bien sûr! Un retour dans la LNH le titillait. Coach un jour, coach toujours comme le veut le dicton.

Mais pour la première fois depuis qu’il avait fait le saut dans la LNH à titre d’adjoint de Rick Bowness derrière le banc des Sénateurs d’Ottawa en 1992, Vigneault profitait de la vie.

« J’ai été congédié par les Rangers au printemps 2018. Quand j’ai réalisé que tous les postes étaient comblés pour le début de la saison suivante, je me suis donné jusqu’en décembre pour voir ce qui se passerait autour de la Ligue. Il y a eu quelques changements de coachs en début de saison, mais mon téléphone n’a pas sonné. J’ai donc décroché », a lancé Vigneault au cours d’un long entretien plus tôt cette semaine à Philadelphie.

Et Vigneault n’a pas juste décroché le combiné et mis le cellulaire en mode silencieux. Pas même en mode vibration. Que non! Il a décroché du hockey. Complètement... ou presque. Pas question de suivre les matchs des Rangers pour voir comment ils se remettaient de son départ. Pas de matchs du Canadien, des Canucks. Pas de matchs du tout. Pas question non plus de maintenir ses contacts aux quatre coins de la Ligue pour s’assurer que tous les clubs et surtout leurs dirigeants soient bien au courant de ses intentions de revenir plus vite que trop tard dans la LNH.

Rien!

« Je n’avais jamais fait ça depuis le début de ma carrière. J’ai pensé à moi, à mes filles – elles sont établies à Montréal et leur papa a indiqué être maintenant prêt à devenir grand-père – à mes proches, mes amis. Je me suis trouvé une place en Floride. J’ai joué au golf, j’ai renoué avec le tennis, je me suis entraîné. Je me suis remis en forme physiquement après toutes ces années passées derrière les bancs de la LNH. Des années au cours desquelles tu ne penses qu’au hockey et que tu mets trop de choses de côté. J’ai repris le temps perdu », défile Vigneault.

Tout un contraste avec ses pauses professionnelles précédentes :

Après son congédiement à Ottawa en 1996, Vigneault est vite revenu derrière un banc : à Beauport avec les Harfangs de la LHJMQ. Un retour aux sources qui lui a ouvert les portes du Centre Bell – appelé alors Centre Molson – alors que Réjean Houle et le Canadien lui ont offert sa première chance à titre d’entraîneur-chef en relève à Mario Tremblay en 1997.

Congédié trois ans plus tard, il retourne une fois encore dans la LHJMQ. Son passage à la barre du Rocket de Montréal, qui déménage ensuite sur l’Île-du-Prince-Édouard, ne le propulse pas directement à la LNH. Mais une escale à Winnipeg à la tête du Moose du Manitoba qui était alors le club-école des Canucks lui permet de revenir dans la LNH, à Vancouver, en 2006, où il dirigera les Canucks pendant sept ans.

Revenu à son domicile de Hull en Outaouais, Vigneault n’a pas eu à broyer du noir bien longtemps avec ce deuxième congédiement à titre d’entraîneur-chef. Après quelques semaines de réflexions, les Canucks et les Rangers ont rapidement décidé de s’échanger leurs anciens coachs alors que Vigneault a succédé à John Tortorella à New York alors que « Torts » a mis le cap sur Vancouver.

L’hiver dernier, Vigneault a simplement décidé de passer sa traversée du désert les pieds dans le sable. Aux sens propres et figurés.

Un héritage à compléter

En plus d’avoir le temps de profiter de la vie, Vigneault avait aussi les moyens de s’offrir du temps de qualité. Il n’y a pas que les joueurs qui profitent de l’explosion des salaires depuis quelques années. Les coachs en profitent aussi. Pas autant, bien sûr. Mais comme plusieurs de ses homologues qui n’ont pas la moindre sécurité d’emploi, Vigneault profitait d’une sécurité financière qui lui permettait d’avoir plus peur de la fin du monde que de la fin du mois.

Une sécurité dont il aurait facilement pu jouir jusqu’à la fin de ses jours sans jamais avoir à retourner derrière le banc d’une équipe de la LNH et d’avoir à s’astreindre aux exigences de ce job ingrat qui donne bien plus de cheveux blancs que de satisfactions aux 31 coaches qui l’occupent.

Pourquoi revenir alors?

Pour le plaisir de gagner. Pour la quête de mettre ses mains sur la coupe Stanley et d’enfin pourvoir la soulever.

« Je suis allé en finale de la coupe Stanley à deux reprises. J’ai vu les Bruins de Boston et les Kings de Los Angeles célébrer. Je voudrais célébrer une conquête moi aussi. C’est l’attrait de la coupe Stanley, l’attrait de la victoire qui m’a poussé à revenir une fois de plus et à accepter le défi que Chuck – Chuck Fletcher le directeur général des Flyers – m’a offert. J’ai eu de beaux parcours à Vancouver et New York. J’ai connu ma part de succès. Mais mon héritage n’est pas complet. Il manque la coupe Stanley. C’est fort l’attrait de la coupe Stanley. Bien plus fort que plusieurs peuvent l’imaginer. »

Les Flyers n’ont pas été les seuls à contacter Vigneault. Par ricochet, plusieurs équipes se sont informées sur ses intentions. Une autre formation l’a officiellement contacté. Le principal intéressé refuse de dévoiler le nom de cette autre équipe. Il se contente d’insister sur le fait qu’il revient dans la Ligue pour gagner et non pour relever une organisation en reconstruction.

« Je veux gagner d’abord et avant tout et ce sont les Flyers qui m’offraient la meilleure chance de gagner. C’est pour cette raison que j’ai accepté de relever le défi », répète Vigneault.

Bon! Un salaire de 5 millions $ (US) pour une période de cinq ans aide aussi à prendre la décision de revenir dans l’eau chaude. Surtout dans une ville où les partisans sont très exigeants et exigent bien plus que les quatre exclusions des séries en sept ans et les trois exclusions en première ronde que viennent de leur faire vivre leurs favoris.

Vingt et unième entraîneur-chef de l’histoire des Flyers, Vigneault débarque à Philadelphie avec une expérience de 1216 matchs dirigés en 16 saisons dans la LNH.

En 15 saisons complètes, les équipes dirigées par l’entraîneur-chef âgé de 58 ans ont atteint le plateau des 100 points à huit reprises. On pourrait en ajouter une neuvième puisque les Canucks ont récolté 59 points lors de la saison écourtée de 2012-2013. Une récolte qui aurait donné 100 points dans le cadre d’une saison de 82 matchs.

Ses équipes ont gagné sept titres de division et la coupe des Présidents à trois reprises. Elles ont accédé aux séries 11 fois en 15 ans, franchi la première ronde huit fois et atteint la grande finale en 2011 et 2014. Il a soulevé le trophée Jack-Adams en 2007 en plus d’être finaliste au titre d’entraîneur-chef de l’année à trois autres occasions.

Un bon noyau et un très bon jeune gardien

Vigneault aime la composition de son équipe. Il aime le talent offensif et la production que devraient lui offrir les Claude Giroux, Jakub Voracek, Sean Couturier, James van Riemsdyk, Kevin Hayes et autres attaquants de son nouveau club.

Il aime sa défensive menée par le jeune Ivan Provorov que Fletcher a mieux entouré avec les acquisitions de Matt Niskanen et Justin Braun.

Ils aiment le fait qu’autant à l’attaque qu’à la ligne bleue, les Flyers comptent sur un bassin de jeunes espoirs prometteurs qui sauront épauler les solides vétérans déjà en place.

Il aime surtout le fait que les Flyers semblent avoir enfin comblé la brèche béante devant leur filet. Une brèche qui les a coulés très souvent, trop souvent même, au fil des dernières années.

« Les rapports que j’ai obtenus autour de la Ligue sur Carter Hart sont unanimes. Même s’il est encore jeune, même s’il n’a qu’une demi-saison d’expérience, il est identifié comme le meilleur jeune gardien de la Ligue. Comme le prochain qui dominera le circuit », assure le nouveau coach qui aura besoin des arrêts de son jeune gardien pour mousser les chances de son équipe de se rendre aux séries et de peut-être se rendre loin, très loin, voire à la coupe Stanley au cours des prochaines années.
   
Car bien qu’il soit prêt à donner la chance à ses joueurs d’aller marquer des buts, Vigneault doit leur faire comprendre qu’ils doivent aussi réduire de beaucoup le nombre de buts qu’ils accordent.

Un nombre démesuré comme en témoignent les 280 buts accordés l’an dernier (moyenne de 3,41 par match) par les Flyers. Seuls les Sénateurs d’Ottawa (301) et les Blackhawks de Chicago (291) ont fait pire. Sans compter que les dix clubs qui ont accordé le plus de buts ont tous raté les séries.

« Tu ne peux pas accéder aux séries si tu es dans le dernier tiers de la Ligue pour les buts accordés. On va laisser nos gars aller à l’attaque. On va jouer vite avec la rondelle et plus vite encore pour aller la récupérer. On va aider notre gardien à nous mener vers la victoire. C’est comme ça qu’on va refaire des Flyers un club gagnant. Regarde ce que Barry (Trotz) a fait avec les Islanders l’an dernier. Il a établi un système efficace. Il a fait des Islanders le club qui a donné le moins de buts dans la LNH – avec 191 buts, les Islanders ont été les seuls à terminer l’année sous la barre des 200 buts accordés – et cela leur a permis d’aller en séries et de gagner une ronde», assurait Vigneault qui dresse des similitudes entre ses Flyers et les Canucks dont il a hérité à son arrivée à Vancouver en 2006.

« Les jumeaux Sedin commençaient à produire et ils étaient entourés de bon vétéran. J’avais un bon groupe de défenseurs et Roberto Luongo est arrivé devant notre filet. J’ai un bon mélange de jeunesse et d’expérience ici aussi. On a du développement à faire, mais on part sur des bases solides. »

Reverra-t-on le spectre des Broad Street Bullies qui a guidé les Flyers à leurs deux seules coupes Stanley au début des années 1970?

« Ça fait longtemps que le style des Broad Street Bullies a été aboli dans la LNH. On va être robustes. On sera difficile à affronter. Mais le hockey a changé. Il n’y a plus de place pour ce genre de hockey. »

Des adjoints menaçants?

Après la confirmation de son embauche par les Flyers, Vigneault en a surpris plusieurs en offrant les postes d’adjoints principaux à deux entraîneurs-chefs qui comme lui étaient sur la touche.

Michel Therrien, qui avait déjà succédé à Vigneault derrière le banc du Canadien en 2000, était sans emploi depuis son congédiement par Marc Bergevin en février 2017 au terme d’une deuxième expérience à Montréal. Mike Yeo attendait lui aussi un appel qui lui permettrait d’obtenir une troisième chance à titre d’entraîneur-chef après ses «règnes» au Minnesota avec le Wild et à Saint Louis, avec des Blues qui se sont rendus à la coupe Stanley sous les ordres de Craig Berube qui l’a remplacé le 19 novembre dernier.

Les embauches de Therrien et Yeo étaient à peine confirmées que de nombreux observateurs assuraient que Vigneault venait de compliquer son travail et nommant des adjoints qui pourraient rapidement le remplacer en cas de faux départ des Flyers dès cette saison, ou lors d’un éventuel passage à vide en cours de campagne.

« Je n’ai jamais pensé à ça », assure le principal intéressé.

« Regarde ma feuille de route : j’ai toujours été entouré par des coachs qui avaient déjà été entraîneur-chef dans la LNH ou qui auraient facilement pu l’être. Dave King et Clément (Jodoin) à Montréal. Rick Bowness à Vancouver. Scott Arniel et Lindy Ruff avec les Rangers. C’est un plus de pouvoir compter sur l’expérience d’anciens coachs. Ça aide énormément d’avoir d’autres idées quand les choses ne vont pas comme tu le voudrais avec un ou des joueurs, ou avec l’équipe en général. Et en plus, il n’y a pas mieux qu’un entraîneur-chef pour être conscient de l’importance du travail des adjoints. Les deux Mike savent ce que j’attends d’eux. Ils savent aussi à quel point leurs rôles sont importants. Comme Lappy – Ian Laperrière – et le reste de mon équipe. Tu ne peux pas arriver dans un job aussi exigent en ayant peur des gars qui t’entourent. Tu as besoin d’eux pour réussir et je n’ai jamais hésité une seconde avant d’offrir ces jobs à des gars qui auront, comme moi, d’autres chances comme entraîneur-chef. Que ce soit ici à Philly ou ailleurs dans la Ligue», a expliqué Vigneault qui n’a pas profité de relations personnelles pour obtenir sa nouvelle chance dans la LNH.

« Je ne connaissais pas Chuck. Avant qu’il ne m’appelle et qu’on se rencontre en Floride pour parler de la job, je ne lui avais jamais parlé autrement que pour se saluer. Cela a toujours été comme ça. Je ne connaissais pas Rick Bowness avant de travailler avec lui à Ottawa. Je ne connaissais pas Réjean Houle autrement que par réputation parce qu’il avait joué pour le Canadien avant qu’il ne me donne le job de coach à Montréal. Je ne connaissais pas Dave Noonis à Vancouver, pas plus que Glen Sather ou Jeff Gorton à New York. J’ai appris à tous les connaître en travaillant avec eux et au-delà les congédiements je suis demeuré très proche de tout ce monde après les avoir connus. Je suis loyal et je reste près des gens que j’ai côtoyés. Je fais confiance à ceux qui m’entourent. »

Non seulement Vigneault ne craint pas de mutinerie de la part de l’un ou l’autre de ses adjoints, il tient à leur donner le plus de responsabilités possibles.

« J’ai développé une façon de faire au fil de mes années comme coach. Je tiens des réunions d’opérations au cours desquelles je demande à tous les membres de l’organisation d’y aller de leurs analyses des joueurs en place et de leurs stratégies visant à atteindre la coupe Stanley. On met tout ça ensemble, on tire le meilleur des plans de tout le monde et on établit le plan de l’organisation. J’ai mis tout le monde à contribution et cela a été très positif. Ça développe l’implication et l’enthousiasme de tous les membres de l’organisation. On sait où on s’en va. On sait comment on veut nous y rendre. On doit maintenant s’y rendre. »