Forte de ses 1,3 milliard d’habitants, la République populaire de Chine a chamboulé chaque sport olympique dans lequel elle s’est donné le mandat de dominer le monde. Après le patinage de vitesse et le patinage artistique, le Dragon chinois s’attaque au hockey sur glace. Dans le troisième texte de cette série de cinq articles, Alexandre Pouliot-Roberge nous tisse un portrait du hockey junior en Chine.

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Les championnats mondiaux de hockey junior sont surtout connus pour leur division d’élite où les Russes et les Canadiens se disputent la médaille d’or. Il y a toutefois plusieurs divisions de relégation. En janvier, la Chine a tenté de se maintenir dans le Goupe B de la deuxième division des moins de 20 ans. Ce fut toutefois un échec.

À Novi Sad, en Serbie, les Chinois ont été déclassés lors de tous leurs matchs. Leur meilleur score est une défaite de 5 à 0 aux mains de la Belgique. L’équipe a accordé une dizaine de buts à trois occasions et elle n’en a compté que trois dans tout le tournoi. Le moral de l’équipe demeure toutefois excellent. Quelque chose d’inhabituel chez les Chinois lors de tels désastres. Hongru Xie parle avec passion de son passage en Serbie.

« Je suis fier de défendre les couleurs de mon pays lors de cette compétition. Lorsque mes amis ont appris que je venais ici, ils m’ont tous félicité. Le hockey, c’est ma passion. Je joue depuis l’âge de neuf ans et ma présence ici est importante pour mon développement. J’aimerais pouvoir jouer aux Jeux de Beijing. »

Sur la glace, Hongru tente de se retrouver dans le chaos du jeu décousu de l’équipe. L’ailier semble prendre le tournoi plus au sérieux que certains de ses compatriotes. À 18 ans, il rêve déjà d’aller jouer à l’étranger pour devenir aussi bon que son joueur préféré.

« Mon idole est Sidney Crosby. Je l’ai connu en regardant les matchs des Penguins de Pittsburgh et j’ai commencé à jouer au hockey pour devenir comme lui. Si je dois aller jouer en Amérique ou en Russie pour atteindre cet objectif, je serai heureux d’aller à l’étranger. »

Hongru récoltera une passe en cinq matchs lors de cette compétition. C’est un exploit dans les circonstances. Ces résultats ne sont toutefois pas représentatifs de l’équipe chinoise. Comme l’explique Oleg Gorbenko, l’entraineur-chef de l’équipe, la CIHA n’a pas pris cette compétition très au sérieux.

« Ce n’était pas notre équipe nationale. La compétition avait lieu lors des Jeux d’hiver de Chine et nous avons décidé d’y envoyer d’autres joueurs. Avec notre première équipe, nous n’aurions pas été relégués. »

Natif d’Omsk, en Sibérie, Oleg Gorbenko est très respecté en Chine et en Russie. Il travaille avec l’Association chinoise de hockey sur glace (CIHA) depuis cinq ans. Son explication n’est pas une sérénade. Il a lui aussi brillé par son absence lors de ce tournoi. L’équipe de Novi Sad a été dirigée par Yuquiang Pan, un entraineur de Harbin. La crème des joueurs juniors chinois est restée chez eux… en Amérique!

La diaspora de Chicago

La sélection d’Adong Song par les Islanders de New York a pris tout le monde par surprise. À l’époque, certains internautes ont réagi comme Elvis Gratton apprenant l’existence d’Elvis Wong. Song, surnommé Misha par ses proches, est toutefois un bon joueur de hockey. Son entraineur, Paul Tortorella, a apprécié le diriger à Andover Academy au Massachusetts.

« Je l’ai fait jouer lors des supériorités numériques. À la pointe, il faisait de belles passes. Il a une bonne vision du jeu et il se positionne bien sur la glace. Il veut jouer dans la USHL pour ne pas négliger ses études durant la saison. »

Misha Song est né à Beijing. Vers l’âge de cinq ans, il a fait ses premiers coups de patin en Chine avec un petit groupe de curieux. À sa neuvième année, il s’est envolé à Chicago pour mieux marier le hockey et l’école. Il y retrouvera son ami d’enfance Tora Liu avec qui il a joué à Andover Academy. Liu ne regrette aucunement cet exil.

« À l’époque, à Beijing, il y avait un seul aréna. Nous ne jouions pas de matchs. C’était seulement des entrainements. Vers l’âge de neuf ans, mes parents ont compris qu’il n’y avait pas d’avenir pour le hockey en Chine. Nous sommes allés à Chicago, car notre ami, Rudi Ying, était déjà là-bas. Il nous en avait parlé en bien. »

Paul Tortorella a aussi de bons mots pour Tora Liu. Il a vu en lui un joueur polyvalent qu’il peut utiliser à l’avant comme en défensive. Le jeune Chinois a dû travailler fort pour en arriver à ce stade. À son arrivée à Chicago, il a eu beaucoup de difficultés à s’adapter au hockey de positionnement.

« En Amérique, le hockey est un jeu d’équipe. Tout est axé sur le succès collectif. J’ai eu besoin d’une demi-saison pour prendre le rythme et apprendre à jouer sans la rondelle. »

Tora n’est pas le seul de ce groupe a avoir connu ce problème. Ou Li est aussi né à Beijing. Il a aussi débuté à jouer avec le groupe de Misha Song. Le joueur d’avant de 17 ans avoue avoir souvent été critiqué par ses entraineurs à cause de son jeu de positionnement.

« En Chine, nous faisions beaucoup de drills, mais nous ne jouions presque aucun match. Il n’y avait pas assez de joueurs. À mon arrivée à Chicago, j’étais très bon lorsque j’avais la rondelle. J’étais toutefois perdu lorsque je ne l’avais pas. Aujourd’hui, je dois encore travailler sur cet aspect. »

Ou Li a passé la dernière saison à Noble & Greenough au Massachusetts. Il est lui aussi un membre de l’équipe nationale junior chinoise. Il a joué au Championnat mondial des moins de 18 ans à Novi Sad à l’hiver 2015. Au sein de la formation, un quatrième membre de la diaspora de Chicago y a fait parler de lui. Le défenseur Simon Chen a été suspendu après une bagarre générale.

« Nous avons subi une cuisante défaite de 6 à 1 aux mains de la Serbie. Après le match, nous avons fait la file pour la poignée de main, mais certains Serbes n’étaient pas enclins à l’esprit sportif. L’un d’entre eux m’a poussé et je lui ai répondu avec un coup de poing. Ça s’est terminé en foire. »

Peter Zhong se souvient de cet épisode. Le jeune homme de 17 ans est lui aussi membre du groupe de Beijing autour de Misha Song. Cette foire n’est définitivement pas son moment préféré du tournoi!

« Je n’avais pas envie d’être mêlé à ça. Je voulais seulement retourner au vestiaire. J’étais fatigué et déçu de notre défaite. J’ai dû rebrousser chemin pour aller supporter mes coéquipiers. »

Peter s’est établi à Chicago avec sa mère dès l’âge de 9 ans. Le jeune ailier gauche parle déjà un peu l’anglais et il travaille fort pour s’adapter aux entrainements collectifs. Contrairement à ses compatriotes, Peter est demeuré à Chicago jusqu’au printemps dernier. Malgré son jeune âge, il a commencé à jouer pour l’équipe nationale des moins de 18 ans en 2014.

« Lors de ma première participation aux Championnats mondiaux, je n’ai presque pas joué. Misha Song, Rudi Ying et moi étions inconnus de l’entraineur chinois. Il a préféré donner du temps de glace à ses joueurs. À Novi Sad, en 2015, nous avons joué beaucoup, car l’équipe était dirigée par un Américain. Cela causait des conflits avec les aides-entraineurs chinois. »

Simon a un parcours un peu différent des autres. Il arrive en Amérique du Nord à l’âge de 13 ans. Il maitrise donc plus aisément le mandarin que certains ses compatriotes en sol américain. Il avoue que la barrière linguistique use un peu l’esprit d’équipe au sein d’équipe nationale.

« Nous sommes habitués de parler en anglais sur la glace. Nous jouons donc sur la même ligne. Les entraineurs du nord-est ne nous aiment pas beaucoup et ils croient qu’on vole du temps de glace à leurs joueurs. Il y a donc une certaine barrière avec les joueurs formés en Chine, mais nous ne sommes toutefois pas en conflit. »

Peter et Simon Chen ont assisté, cet été, à un camp d’entrainement à Harvard. Si le premier vise les collèges américains, Simon a décidé d’aller dans la Ligue junior de la Colombie-Britannique (BCHL). Ce sont des succès notables, mais ils avouent envier l’invitation qu’a reçue leur ami d’enfance Rudi Ying. Le jeune homme de 17 ans a été mis sous contrat par le Kunlun Red Stars de la KHL.

L’effet Andong Song

La KHL vient de s’installer en Chine et le club n’est toujours pas connu du public. La mise sous contrat de Rudi ne fait que commencer à apparaitre dans les médias. Misha Song demeure aujourd’hui la grande vedette du hockey chinois. L’espoir des Islanders a d’ailleurs visité plusieurs villes de la République populaire de Chine avec Charles Wang durant le mois de juillet. Ou Li explique comment ce simple choix de sixième ronde a eu un effet monstre en Chine.

« Misha est aujourd’hui le porte-étendard du hockey chinois. Aujourd’hui, beaucoup d’enfants s’inscrivent au hockey uniquement grâce à lui. Les Chinois ont aujourd’hui l’espoir de pouvoir jouer au hockey et d’être un jour repêchés. »

Simon Chen aborde dans le même sens. Il avoue aussi que ce fut un grand soulagement pour leur petit groupe d’expatrié.

« Cette sélection, ce fut la lumière au bout du tunnel. Nous jouons ici, en Amérique, et nous savons comment c’est difficile de convaincre les équipes de la LNH. Nous avons compris que nous ne travaillions pas si fort en vain. »

Même Rudi Ying, officiellement le premier Chinois dans les ligues majeures, est resté marqué par l’exploit de Misha.

« Pendant longtemps, nous étions seulement des Chinois heureux de pratiquer un loisir. Depuis ce jour, nous avons le sentiment de pouvoir atteindre les plus hauts sommets dans ce sport. »

Même si la possibilité de voir Andong Song jouer dans la LNH est toujours aujourd’hui hypothétique, le défenseur du système des Islanders est déjà, indéniablement, un héros national. Et si par malheur le circuit Bettman ne lui donne pas sa chance, sa carrière n’arrêtera certainement pas aux portes de la LNH. Les Kunlun Red Stars de Beijing salivent déjà à l'idée de le voir rejoindre Rudi Ying dans la KHL.

*Vendredi: Quand la Chine s'éveillera... la KHL tremblera.
Dans le quatrième texte de cette série de cinq, notre chroniqueur abordera la présence d'un premier club chinois dans la KHL.