Depuis 1909, et de façon unanime, on insiste et souligne à Montréal l’importance du français pour le Club de hockey Canadien. Que ce soit la sélection ou l’origine des joueurs, le coach, les dirigeants, etc. Les citoyens du Québec, partisans ou non de l’équipe, les journalistes et les investisseurs, tout le monde s’entend pour dire que le français demeurera toujours au centre de la culture de hockey au Québec, et que l’histoire des Canadiens fut, est et sera toujours à l’origine de notre attachement au hockey. C’est une question de culture, de société, de patriotisme, d’histoire, mais aussi d’affaires. Les partisans francophones sont très nombreux, les entreprises qui soutiennent le club et les médias qui couvrent les activités depuis 107 ans le sont également.

À quelques heures vers l’ouest, on s’est rarement posé la même question. Quelle est l’importance du français pour les Sénateurs d’Ottawa comme équipe de hockey? La Capitale nationale est effectivement une ville tout à fait bilingue. Elle se situe géographiquement à quelques minutes de la frontière du Québec, mais le versant ouest de la ville est également très anglophone. Le profil des partisans des Sens est semblable à celui des Canadiens. Beaucoup d’anglophones et aussi beaucoup de Franco-Ontariens et Québécois. Donc, on peut prétendre que l’équipe de hockey peut choisir des candidats d’une langue ou l’autre sans risque d’irriter les partisans.

L'embauche récente de Guy Boucher, un entraîneur francophone, par les Sénateurs, qu'elle soit stratégique ou non, représente une très bonne décision d'affaires.

Guy Boucher a été choisi pour diriger les Sénateurs d’Ottawa avant tout pour ses aptitudes d'entraîneur, ses connaissances de hockey, et son leadership. Il n'y a pas de doute que l'objectif premier de la direction était tout d'abord de trouver le meilleur homme possible pour faire de leur équipe, une équipe gagnante. Le nouveau directeur général Pierre Dorion et son groupe d’adjoints, de même que le propriétaire Eugène Melnyck, ont fait une analyse sérieuse des besoins de l'équipe et des entraîneurs disponibles sur le marché ce printemps et ont conclu que Boucher était l'homme de la situation.

Cet exercice et ce choix ont d'autant plus de sens qu'elles ouvrent aux Sénateurs de nouvelles perspectives intéressantes de développement de leur marque auprès d'une clientèle francophone.

Le rôle public de l'entraîneur d'une équipe de sport professionnel a beaucoup évolué dans les dernières années. Tout comme pour les joueurs de l'équipe, la multiplication des plateformes de communications traditionnelles ou nouvelles a modifié le rôle de l'entraîneur à cet égard. Parfois au-delà de sa volonté, il est soumis par la ligue à une obligation quasi quotidienne de rencontrer les médias. Ça fait partie de ses responsabilités de le faire. À tel point, qu'on le voit et l’entend plus régulièrement à la télé et à la radio que les joueurs du club. Il devient inévitablement une partie importante de l'image de marque de l'équipe. Ses propos affectent la perception des consommateurs du produit sportif et commercial qu'offre l'équipe.

La présence des entraîneurs dans les médias devient parfois tellement importante qu'ils peuvent légitimement devenir eux-mêmes des stars médiatiques. L'histoire de tous les sports professionnels est riche d’entraîneurs qui ont illuminé leurs sports et leur équipe par leur présence. Au baseball, pensons à Yogi Berra, Tommy Lasorda ou Sparky Anderson; dans la NFL, les noms de Tom Landry, Don Shula, Chuck Knoll, et bien sûr Vince Lombardi sont légendaires et souvent associés à l'image de marque de leurs équipes; dans la NBA, Red Auerbach, Pat Riley, Phil Jackson, et Gregg Popovich sont devenus des légendes de leur sport; finalement au hockey de la ligue nationale, plusieurs noms viennent en tête comme célébrités, de Dick Irvin à Scotty Bowman, et plus récemment, Mike Babcock et Joel Quenneville. Il ne fait pas de doute que l'image de l'entraîneur et l'image de l'équipe sont intimement associées.

L'embauche par les Sénateurs de Guy Boucher, un entraîneur qui peut aussi bien communiquer en français qu'en anglais aux partisans et aux médias, représente une opportunité d'étendre la présence de la marque des Sénateurs. Cela pourrait leur permettre de faire enfin une percée chez une clientèle historiquement attachée aux Canadiens de Montréal. En effet, c'est la première fois, depuis le départ de Jacques Martin, que l'équipe pourra s'adresser quotidiennement aux consommateurs francophones de la grande région Gatineau-Ottawa. Et ce n'est pas banal. L'Ontario compte plus 600 000 citoyens qui s'identifient comme étant de langue française, la plupart vivant dans l'est de la province et donc à courte distance d’Ottawa. Et du côté de la région de Gatineau, près de 300 000 personnes parlant majoritairement le français y habitent.

Cette ouverture est d'autant plus grande que Guy Boucher possède une personnalité charismatique. Habile communicateur, détenteur d'une maîtrise en psychologie sportive, Boucher saura aider à rendre l'équipe des Sénateurs plus séduisante auprès des consommateurs de hockey de langue française. Il est reconnu pour communiquer sa pensée avec éloquence dans les deux langues. Sa notoriété, sa prestance et son allure jeune lui donnent d'entrée de jeu une ouverture auprès des médias et du public québécois, situation impossible auparavant pour Cameron, MacLean ou Clouston. Sa seule présence garantit d'ailleurs l'attention des médias francophones du Québec.

Il faut bien le dire, l'équipe des Sénateurs évolue dans un espace géographique restreint entre les Canadiens et les Maple Leafs. C’est très difficile pour eux de se mettre en marché, de cultiver des partisans, de briller dans l’univers hockey lorsque les deux plus grandes villes de hockey sont tout juste à leurs côtés. À l'est, le public appuyait à très grande majorité les Canadiens de Montréal. On peut argumenter, pour la première fois, qu'une ouverture existe pour les Sénateurs de pénétrer le marché francophone, peut-être mieux disposé après une mauvaise saison des Canadiens en 2015-2016. En tout cas, le public sera probablement plus réceptif à l'idée de découvrir ces Sénateurs nouvelle saveur. Verra-t-on monter la côte de popularité des Sénateurs auprès d'un public francophone historiquement réfractaire tel qu'on l’a vécu en 2007, année où les Sénateurs parvinrent à la finale de la Coupe Stanley? C'est aujourd'hui une possibilité grâce à l'embauche de Boucher et cela pourrait prendre encore plus d'importance si les Sénateurs vont de l'avant avec leur plan pour le développement d'un nouvel aréna situé plus près du centre-ville d’Ottawa.

Toutefois, Guy Boucher se devra de livrer des victoires et des présences en séries, sinon rapidement ses habilités de communicateurs pourraient être reléguées en arrière-plan. Nous le savons, et cette règle vaut pour tous les marchés, cela ne prend qu'une série de défaites pour rendre le plus populaire des entraîneurs le principal bouc émissaire des partisans, peu importe la langue qu'il parle.