MONTRÉAL - Quatre des victimes de l'ex-entraîneur de ski Bertrand Charest ont affronté les caméras lundi afin de presser les gouvernements fédéral et provinciaux de créer un programme de protection pour les athlètes - pour que d'autres jeunes ne subissent pas le même sort qu'elles.

Lors d'une conférence de presse chargée d'émotions lundi à Montréal, Geneviève Simard, Amélie-Frédérique Gagnon, Gail Kelly et Anna Prchal ont choisi de briser le silence.

« Mettre des visages sur cette histoire »

Leurs témoignages rappellent des années de souffrance.

« Mon enfance a été volée », a dit avec difficulté Geneviève Simard.

« Le ski était ma passion. J'aspirais à de grandes choses, j'avais des rêves et le ski était ma vie », a relaté l'ex-athlète olympique qui a porté plainte à la police contre Charest en 2015. Mais « les abus sexuels que j'ai subis ont complètement détruit ma confiance en soi », a-t-elle dû ajouter.

Mme Simard et les trois autres femmes ont raconté de terribles moments de leur vie, afin d'inciter les gouvernements fédéral et provinciaux à agir.

« Personne ne devrait avoir à vivre ce qu'on a vécu », a-t-elle souligné.

« Je suis ici, tremblant nerveusement, pour que nos voix puissent peut-être protéger une vie, et peut-être encourager une victime d'abus à chercher de l'aide », a dit Anna Prchal.

Les ex-skieuses ont été agressées sexuellement par Bertrand Charest alors qu'elles étaient adolescentes, dans les années 1990. L'une d'entre elles a subi un avortement à l'âge de 15 ans.

Elles souhaitent que le programme de protection proposé soit mis en place d'ici 2020 et qu'il vise tous les sports, à tous les niveaux.

Car la situation est inacceptable, a ajouté Gail Kelly, maintenant mère de trois enfants.

« Dans aucune circonstance, je ne laisserais mes enfants être sur une équipe provinciale ou nationale avec l'encadrement actuel. »

Les quatre femmes ont pu parler publiquement de leur expérience pour la première fois lundi car elles avaient fait lever vendredi l'ordonnance de non-publication qui empêchait des médias de les identifier. Cette ordonnance avait été prononcée dans les procédures criminelles intentées contre Bertrand Charest.

L'ex-entraîneur, maintenant âgé de 53 ans, a été condamné à 12 ans de pénitencier pour les agressions commises sur ces quatre femmes et sur cinq autres. L'homme a porté en appel son verdict de culpabilité et sa peine.

De nouvelles mesures

La proposition dévoilée lundi est un programme à trois volets qui inclurait d'abord et avant tout une formation obligatoire pour les entraîneurs, les athlètes, les bénévoles et toute personne qui gravite dans l'entourage des athlètes. Un Code universel de protection détaillant les obligations et les devoirs de tous serait créé. Un officier indépendant veillerait aussi à la protection des athlètes et serait la personne vers qui ils pourraient se tourner. Un élément-clé des mesures de protection serait « la règle de deux »: aucun mineur ne pourrait se trouver seul avec son entraîneur pour des périodes de temps prolongées. Cette proposition est mise de l'avant par l'organisme B2dix, l'Association canadienne des entraîneurs et du Centre de règlement des différends sportifs du Canada.

« Moi si j'avais eu plus d'éducation, il y aurait eu des red flags que j'aurais eus », a commenté Mme Simard, qui se dit très encouragée par le plan de protection, sur lequel elle a travaillé.

Un élément-clé du plan est aussi d'ajouter une condition au financement gouvernemental: seules les organisations sportives ayant mis en place un tel programme de protection accrédité y auraient droit.

« L'argent, c'est l'élément vital », a déclaré JD Miller, président et cofondateur de B2dix une organisation oeuvrant dans le monde du sport amateur. Il croit qu'il s'agira d'un puissant élément motivateur.

« Combien d'autres histoires d'abus sommes-nous prêts à lire avant de prendre des mesures? », a-t-il demandé lors du point de presse.

Les fédérations sportives

Charest a été responsable du programme de développement de l'équipe féminine de ski de Canada Alpin pendant quelques années.

Selon M. Miller, qui rapporte, dit-il, sa perspective personnelle à ce sujet, certains responsables ont tout fait pour réduire les victimes au silence, et garder leur fédération hors des eaux troubles, une situation qui n'est pas unique au ski, dit-il. « Canada Alpin n'a pas soutenu ses athlètes », a-t-il ajouté.

Selon Mme Simard, la Fédération nationale a fermé les yeux sur ce qui se passait. Pas d'aide, ni soutien, dit-elle.

« On nous a dit: pensez à vos carrières, à vos commandites. »

Ils nous ont laissé tomber, tranche-t-elle.

Amélie-Frédérique Gagnon, l'une des premières victimes de Charest, qui a commencé la compétition à 11 ans, a déclaré en entrevue que certaines personnes au niveau provincial étaient au courant des agressions qu'elle a subies.

« Ces personnes-là ont fermé les yeux et ont plutôt protégé le prédateur. »

Aujourd'hui, d'y penser la rend « enragée », a dit la femme qui a souffert d'anorexie et eu des pensées suicidaires. « On était des enfants. »

Lundi, dans un communiqué mis en ligne sur son site, Canada Alpin a salué le courage de toutes les victimes qui ont témoigné lors du procès de Charest, et aussi le fait que quatre d'entre elles ont décidé d'abandonner leur anonymat pour en faire plus encore.

« Nous voulons nous assurer que personne ne souffre comme ces femmes ont souffert », est-il écrit.

L'organisation se dit prête à collaborer avec tous ceux qui veulent améliorer la sécurité des jeunes, tout en énumérant les changements qu'elle dit avoir apportés sur ses façons de faire et ses politiques.

La Fédération québécoise de ski alpin a aussi salué les quatre athlètes pour leur détermination. Elle dit voir d'un bon oeil l'idée soulevée de rendre conditionnel le financement public des fédérations sportives à la création d'un programme de protection pour les athlètes.

De son côté, l'organisme Sport'Aide a aussi rappelé que depuis le 1er mai dernier, la communauté sportive québécoise peut se tourner vers un service d'écoute et d'accompagnement, accessible 24/7 pour se confier ou obtenir de l'information.