MONTRÉAL – « De toute façon, je vais faire partie de l’Impact toute ma vie. »  

Lorsqu’il a laissé ce touchant au revoir dans les pages du quotidien La Presse au moment d’accrocher ses crampons, en janvier 2009, Gabriel Gervais ne se doutait probablement pas qu’il reviendrait un jour au club par la plus grande des portes. Mais il avait certainement commencé à accumuler les qualifications pour le faire.

D’abord, cet amour profond et naturel pour le soccer. Il est né à plus de 6000 kilomètres de Montréal, dans les rues du district San Isidro dans la capitale du Pérou, le pays natal de sa mère Ruth. La famille y a déménagé alors qu’il était âgé de 5 ans à l’époque où son père Guy, un pilote de brousse, survolait l’Amazonie pour le compte de l’explorateur Jacques Cousteau.

Premier souvenir marquant : la Coupe du monde de 1982 en Espagne. « Moi, c’est là que ma fièvre a commencé pour le soccer », raconte Gervais dans une longue entrevue avec RDS, quelques heures avant de quitter pour son premier déplacement dans son rôle de président du CF Montréal.

« Es-tu assez vieux pour te rappeler des livrets Panini? », demande-t-il. « Mon frère, mon cousin et moi, on en avait tous un pour la Coupe du monde de ’82. On s’échangeait des joueurs, on apprenait leurs noms. C’était la première de Maradona, l’Italie avait vaincu l’Allemagne de l’Ouest. À l’école, on ne jouait qu’à ça. On jouait avec n’importe quoi. Tu sais, les couvercles de vieilles bouteilles de Coke ? On jouait avec ça. N’importe quoi qu’on pouvait kicker, c’est ça qu’on faisait. »

Quelques années plus tard, première peine d’amour. « Le Pérou était tout près de se qualifier. On jouait contre l’Argentine à Buenos Aires. Si on gagnait, on se qualifiait. L’Argentine, c’était Maradona, c’était la grosse équipe, les éventuels champions. On avait annulé 2-2. Ça m’avait brisé le cœur, j’avais tellement pleuré! C’est drôle parce que le coach du Pérou aujourd’hui, c’est l’Argentin qui avait compté le but égalisateur dans ce match. J’ai encore de la misère à l’aimer! »

À 10 ans, le jeune Gabriel vit un choc d’une toute autre ampleur lorsque ses parents décident de revenir au Québec. La séparation avec la familia maternelle est douloureuse. L’adaptation à un milieu de vie où le soccer est loin d’être incrusté aussi profondément dans le tissu social n’est pas aussi dramatique, mais est néanmoins une réalité.

« À l’école Préville, à Saint-Lambert, on jouait au ballon-chasseur, au hockey cosom, au basket et peut-être au soccer. Ce n’était pas que ça, mais il y avait une équipe et j’y trouvais mon compte. » Gervais atteint éventuellement le niveau AAA de l’AS Brossard. À l’adolescence, il fait sa place dans les équipes provinciales. À 16 ans, il reçoit une offre pour aller jouer dans un centre de formation en France. Il la refuse.

Les études d’abord

Déjà, à cette époque, le regard de Gabriel Gervais porte bien au-delà de sa vie sur les terrains. « J’avais posé des questions sur l’éducation là-bas, mais ce n’était pas très clair alors j’ai décidé de rester. » Il est inscrit au Collège Champlain en sciences de la nature, a la bosse des maths et ne veut pas s’éloigner des bancs d’école. L’avenue des universités américaines, peu empruntée par les jeunes joueurs québécois à l’époque, le titille.

Il passe d’abord une saison à McGill, puis décroche une place à l’Université de Syracuse, où il partage le terrain avec un certain Patrice Bernier. En parallèle de ses exploits athlétiques – le jeune attaquant marquera 23 buts en trois saisons et quittera avec le brassard de capitaine – il complète son baccalauréat en génie mécanique et entreprend une maîtrise en gestion.

Gervais amorce sa carrière professionnelle avec les Rhinos de Rochester. L’hiver, il se joint aux ThunderHawks de Toronto dans la NPSL, une ligue de soccer intérieur. Il y côtoie plusieurs joueurs de l’Impact, transférés dans la Ville Reine après la fin de l’aventure du onze montréalais au Centre Molson. Nick De Santis est l’un d’eux. « Je ne me souviens pas exactement si j’avais parlé de lui au club, mais je me rappelle qu’on lui disait souvent : ‘Hey, il faut que tu viennes jouer avec nous à Montréal’. »

L’Impact accueille Gervais en 2002. Il s’y fait rapidement reconnaître pour son excellence sur le terrain, mais aussi pour sa discipline et ses grandes ambitions à l’extérieur de celui-ci. Sandro Grande, qui a été son coéquipier en 2004 et 2005 en plus de défendre avec lui les couleurs du Canada sur la scène internationale, en témoigne encore avec admiration.

« À l’époque, il travaillait déjà pour la compagnie Saputo, rappelle celui qui est aujourd’hui directeur technique aux Étoiles de l’Est, un club de Laval. C’était incroyable, à la fin des entraînements, de le voir s’habiller en veston cravate pour aller travailler pendant que nous autres, on se demandait où on allait aller prendre un café pendant l’après-midi. »

« Il ne parlait pas beaucoup de ses ambitions, c’était un garçon assez humble qui ne se mettait pas beaucoup de l’avant, ajoute Grande. Mais moi, personnellement, je ne le voyais pas rester dans le foot au niveau du terrain. »

« Je voulais rester impliqué dans le soccer après ma carrière de joueur, mais je savais dans ma tête que ce n’était pas nécessairement derrière un banc, précise Gervais. Ce n’est pas que je ne suis pas assez passionné. Mais dans ma tête de cartésien, la vie d’un entraîneur n’est pas longue. Je cherchais une certaine stabilité. Je travaillais chez Saputo pour commencer à bâtir la structure qui pourrait m’aider après ma carrière. C’est pour ça que j’ai fait un MBA pendant ma dernière année à Syracuse. Pour préparer ma sortie. »

« Vendre nos gens »

Vers la fin de sa carrière de joueur, Gervais démontre déjà certaines des qualités qui lui serviront dans son nouveau rôle de chef d’entreprise. Un événement en particulier a marqué Nick De Santis, qui a été l’entraîneur de Gervais pendant cinq ans après avoir partagé le terrain avec lui.

« J’étais un coach clair, mais direct avec mes joueurs. À un moment donné, j’avais été direct avec Gabe. Il m’avait appelé après et m’avait demandé si on pouvait sortir pour un café. Une fois en tête-à-tête, il m’avait expliqué calmement et dans le détail tout ce qui l’avait dérangé dans la situation. J’avais compris que j’avais agi sous le coup de l’émotion et même si ça ne lui avait pas plu, il avait pris le temps de s’asseoir pour m’exposer la situation calmement, d’homme à homme. Il était joueur et moi l’entraîneur, mais il avait réussi à me faire voir les choses d’une autre manière. J’ai grandi dans ce moment-là. »

En 2009, Gervais prend peur après avoir soigné un caillot de sang dans une de ses jambes et décide, à 32 ans, de prendre sa retraite du soccer professionnel. Quelques mois plus tard, il entre chez Deloitte, une firme de services professionnels qui vise à aider les entreprises à optimiser leurs opérations. Il y est depuis 13 ans lorsque Joey Saputo lui sert les arguments qui le convainquent de revenir à son club de cœur. Au moment de quitter, il est l’associé responsable de gérer une quarantaine d’employés au bureau de Montréal.

« À la base, c’est de la gestion de personnel, de l’analyse de stratégies, de la justification d’affaires financières et opérationnelles, de la gestion client... Bref, on livre des projets, explique Gervais en conjuguant toujours ses anciennes tâches au présent. Il fallait aussi vendre des mandats, donc faire des pitches pour offrir nos services alors qu’on était en compétition avec les meilleures firmes au monde. Tu peux t’imaginer l’importance des relations interpersonnelles dans tout ça. »

Le rapport avec la présidence d’un club de foot?

« Chez Deloitte, qu’est-ce qu’on vendait? On vendait nos gens. Ici, c’est la même chose. Oui, on a des produits dérivés comme des maillots et tout ça, mais notre produit, ce sont nos gars qui jouent sur le terrain. Avant, mes clients s’attendaient à des résultats à cause de notre nom et des standards élevés qui avaient été établis. C’est ça que je veux amener au CF Montréal. [...] Ultimement, il faut tirer le maximum de nos gens. Comment on fait ça? En les mettant sur la bonne chaise. Pour le volet technique, c’est plus Olivier qui gère ça. Pour le volet administratif, il faut aussi mettre les bonnes personnes à la bonne place. C’est là-dessus que je me suis concentré dans mes premières semaines. »

Dans ce même papier de La Presse dans lequel il levait son chapeau au nouveau retraité, le chroniqueur Ronald King écrivait : « Si Gabriel Gervais avait été un hockeyeur, il serait le roi de Montréal ». Grossièrement, il est un peu là son défi dans ses nouvelles fonctions de président. L’Impact, que son prédécesseur a rebaptisé le CF Montréal, a perdu du galon dans ce marché qu’il a pourtant déjà fait vibrer. De son nouveau bureau, Gervais voit un stade à remplir et entend le battement de cœurs qui ne demandent qu’à flancher.

Sa mission est maintenant de provoquer la rencontre – peut-être devrait-on plutôt parler de retrouvailles – entre les deux.