Certaines personnes carburent aux défis. Un besoin irrésistible de se dépasser pour repousser leurs limites. Dans la grande majorité des cas, cela se fait loin du feu des projecteurs pour le seul plaisir des principaux intéressés.

 

La course à pied est un des sports qui permet le plus cette recherche du « presque impossible ». Le corps humain est une formidable machine capable d’une endurance hors-norme s’il est bien préparé. J’en ai fait état récemment dans certaines chroniques traitant des ultramarathons et de ces athlètes capables de courir 50 kilomètres, 100 kilomètres, 160 kilomètres ou encore plus!

 

Il arrive également que ceux ou celles ayant dédié une partie de leur vie aux courses d’endurance décident d’utiliser cette stupéfiante forme physique pour faire du bien autour d’eux, pour éveiller les gens à une cause. Soudainement, ils donnent une signification particulière à chacun de leurs pas. Ils ne courent plus uniquement pour eux.

 

C’est le cas de l’ultramarathonien et médecin de Sherbrooke Sébastien Roulier. Il est déjà bien connu pour ses défis de très longues distances à la course, dont l’événement Avançons tous en cœur, en mai dernier, où il a couru 305 kilomètres en 50 heures et qui a permis de récolter 180 000 $ pour la banque alimentaire Moisson Estrie. Cette fois, l’intensiviste-pédiatre au CIUSSS-Estrie-CHUS de Sherbrooke, chef du service des soins intensifs pédiatriques du département de pédiatrie et professeur adjoint à la Faculté de Médecine et des Sciences de la Santé de l’Université de Sherbrooke a décidé de se lancer un autre défi de taille. 

 

Le docteur Roulier poussera son ami, Samuel Camirand, atteint d’une maladie neurodégénérative, sur une distance de 100 kilomètres afin d’inscrire leurs noms dans le livre des records Guinness. Samuel et lui devaient participer au Marathon de Boston en avril ainsi qu’au 100 kilomètres du Mount Royal Summit Quest (MRSQ) en juin. Mais les deux courses, comme bien d’autres, furent annulées. La plupart des courses organisées offrent une possibilité de prendre part virtuellement aux épreuves, mais c’est une option qui lui plaisait moins.

 

« Les courses virtuelles sont pour moi autant une illusion que les arcs-en-ciel. Rien de concret. Aucune valeur ajoutée à mon expérience de coureur. C'est pourquoi j'ai exploré la course différemment cet été avec plusieurs sorties de fastpacking (rando-courses) au Québec. J'avais tout de même en tête de réaliser une course en duo avec Samuel bien installé dans une chaise Kartus », relate le pédiatre de 46 ans. 

 

La compagnie québécoise Kartus conçoit, fabrique et commercialise un fauteuil roulant adapté pour la course à pied et les activités en plein air. Leur objectif est de briser l’isolement des personnes à mobilité réduite, de promouvoir l’accessibilité du sport et de partager le bonheur de la course. C’est dans ce fauteuil que sera confortablement installé Samuel pendant de très longues heures.

 

Ce dernier est atteint d’une maladie neurodégénérative, l’ataxie de Friedreich. Avec Sébastien comme coureur, le duo a déjà détenu le record Guinness sur la distance du demi-marathon en 2018. Ils se sont qualifiés pour le Marathon de Boston lors du Marathon de Montréal en septembre 2019 avec un chrono de 3 h 13.

 

Il ne s’agit pas d’un petit défi. Pousser ainsi quelqu’un sur une centaine de kilomètres est extrêmement difficile. Le médecin coureur est cependant un ultramarathonien de calibre international qui a exploré la course sous plusieurs facettes au cours des 20 dernières années: sur routes ou en sentiers, souvent dans les montagnes, en poussant des adultes ou ses enfants, sur des distances pouvant aller du marathon à des parcours de près de 300 km.

 

Sébastien Roulier

 

Il a jusqu’à présent complété 58 marathons et plus de 40 ultamarathons de plus de 80 kilomètres auxquels on doit ajouter les nombreux défis hors normes qu’il a réalisés. Pousser des adultes à mobilité réduite ou avec handicap dans les courses ne sera pas nouveau pour lui. Il a déjà détenu les records Guinness pour le marathon et demi-marathon les plus rapides en duo en 2018-2019. Il a aussi connu beaucoup de succès dans les ultramarathons. Il a d’ailleurs représenté le Canada lors de Championnats Mondiaux de 2013 à 2016 et en 2019. Il est aussi le premier Québécois à avoir complété le Spartathlon de 250 kilomètres qui relie Athènes à Sparte, en Grèce.

 

« J’ai exploré la course de bien des façons. La course en duo c’est une belle façon de partager ma passion. Samuel sera d’une grande aide dans ce défi. C’est une inspiration pour moi. Malgré sa maladie, il se lance dans de multiples aventures : voyages, crowd surfing, courses à obstacles. C’est un battant qui trouve le positif dans toutes les épreuves qu’il vit. Et je ne veux pas remettre cette course à plus tard. C’est maintenant qu’elle doit avoir lieu. On ne sait jamais comment la maladie pourrait évoluer », raconte-t-il.

 

Fait intéressant, la course empruntera le trajet du 100 kilomètres du MRSQ avec un départ sur la rue Sherbrooke à Montréal à la hauteur du Stade olympique pour se terminer au sommet du Mont Royal au belvédère Kondiaronk après avoir parcouru les berges du fleuve jusqu’au village de Pointe-Claire. 

 

Sébastien Roulier

 

Tel que mentionné plus tôt, le duo espère pouvoir inscrire leurs noms dans le livre des Records Guinness. La catégorie 100 km en duo n’existe pas encore. Ainsi, ils accumuleront toutes les preuves pour faire approuver le record. La course aura lieu le 12 ou 13 septembre avec un départ aux aurores, à 6 h du matin. La journée sera choisie selon la météo puisque Samuel sera assis dans le fauteuil Kartus durant près de 12 heures!

 

Un autre duo prendra le départ avec Samuel et Sébastien et les accompagnera sur quelques kilomètres. Les gens sont invités à les encourager ou à les accompagner, à la course ou à vélo, tout en respectant les mesures de distanciation sociale. 

 

« Tout comme la vie, la course est sans pourquoi. Il ne faut que la vivre, se libérer des barrières qui nous limitent et surtout trouver le courage d’avancer malgré tout. Et avec le contexte pandémique actuel, il est important de continuer à avancer, à vivre », conclut avec philosophie Sébastien Roulier.

 

Il y a ceux qui courent pour se faire du bien et repousser leurs limites, puis il y a ceux, plus rares, qui courent pour faire bouger les choses et porter un message. Le docteur Roulier en est un exemple probant, lui qui s’est engagé dans sa communauté en s’associant à diverses causes pour promouvoir les saines habitudes de vie, promouvoir la santé, inciter les gens à bouger et à relever des défis.