MONTRÉAL – « Le but, c’est de regrouper le monde et d’avoir un objectif commun. Là, c’est plus, vous allez faire ce qu’on dit et, si vous n’êtes pas contents, on va en prendre d’autres. Ça ne peut pas marcher comme ça. Surtout pas dans un sport comme le handball, qui est, je ne dirais pas sur le point de mourir, mais dans une situation précaire. »

Ces mots, ce sont ceux d’Alexis Bertrand, celui qui a été le porte-étendard de ce sport au Canada lors des 20 dernières années. Bertrand, qui a réussi l’exploit de jouer en première division française, a hésité avant d’accorder une entrevue sur le sujet. Il ne veut pas lancer la pierre à personne directement, mais il souhaite que la situation s’améliore pour le bien du sport. 

C’est aussi la raison qui a provoqué le cri du cœur lancé par Nathalie Brochu, une référence en handball au Québec grâce à sa longue carrière de joueuse l’ayant menée au Danemark et d’entraîneuse. 

Nathalie Brochu« C’est un sport super le fun, mais, en ce moment, ça ne marche juste pas au niveau canadien ! Tous les joueurs ainsi que tous les coachs du niveau senior masculin et féminin ont manifesté leur écoeurantite via une lettre. Oui, on est une fédération de statut amateur, mais ça ne veut pas dire que ça doit être mal organisé. Tous les joueurs ont dit ‘Si ça ne change pas, on ne revient pas’. C’est gros  ce qui se passe », a exposé Brochu qui a choisi de ne pas se représenter pour le poste d’entraîneuse de l’équipe féminine pour ces motifs. 

Manifestement, l’insatisfaction a atteint son comble envers Handball Canada, une fédération qui sonne déconnectée de ses entraîneurs et de ses athlètes depuis beaucoup trop longtemps.

« Le problème, et ç’a toujours été comme ça, c’est qu’il existe un sentiment de négativité envers la fédération canadienne. Jamais personne n’a été fier de faire partie de la fédé canadienne. Tu es fier de représenter ton pays et de te battre pour le Canada, mais il y a toujours eu un décalage entre la fédération et les athlètes ainsi que les coachs », a dévoilé Bertrand. 

La frustration se décline en plusieurs irritants, mais voici les causes majeures du contexte inquiétant qui règne présentement :  

-« Ce qu’on dénonce, c’est de l’amateurisme fois un million », a lancé Brochu, une intervenante passionnée qui est reconnue dans le milieu du handball pour avoir donné son cœur et son âme à ce sport. 

-Étant donné que la fédération canadienne n’exerce pas de leadership et que sa structure est déficiente, les entraîneurs doivent bénévolement – on doit insister sur ce mot - multiplier les tâches.  

« Je commande les t-shirts, les ballons, la résine, je réserve les gymnases, les billets d’avion, je mets ça sur ma carte de crédit. Magasiner les billets d’avion, ça semble banal, mais c’est un méchant stress de mettre 36 000$ sur ta carte de crédit. Je dois également préparer moi-même un plan de commandite. C’est tout ça qui n’a pas d’allure ! », a déploré Brochu avec une liste qui était toute aussi exhaustive pour Bertrand. 

-Évidemment, l’argent s’avère aussi un problème de taille. La fédération canadienne peine à récolter des fonds pour aider ses athlètes. C’est donc dire que les athlètes sur les équipes nationales doivent sortir annuellement plusieurs milliers de dollars de leur poche pour participer à des compétitions d’envergure. 

-On peut ajouter que Handball Canada est contrôlé présentement par des dirigeants de l'Ouest canadien. La distance avec le Québec ne facilite pas la communication. 

Au moment de dénoncer cette situation déplorable, les entraîneurs et les joueurs ont choisi de le faire avec respect. Ils ont évité de lancer une campagne de salissage envers Handball Canada et ils ont tempéré leur vocabulaire pour éviter de froisser les dirigeants. Le but était, bien sûr, de favoriser une rencontre avec eux pour exposer leurs suggestions. 

C’est à ce moment que le vase a débordé parce que Handball Canada a plutôt balayé du revers de la main leur offre. La démarche est, pour ainsi dire, restée lettre morte. 

« On voulait ouvrir le dialogue et ça n’a pas marché. Si ça reste comme ça, on va perdre Nathalie, une des meilleures coachs au Canada. Elle avait une superbe relation avec ses filles. La perdre parce que tu ne peux pas l’épauler, c’est dommage... », a tenu à souligner Bertrand qui a dirigé l’équipe masculine jusqu’en 2018 avant de choisir de se consacrer à sa carrière et sa famille (il est père de quatre enfants).    

« J’ai carrément eu un deuil quand ils ont nommé une autre personne (aux commandes de l’équipe féminine). Je me suis dit : "C’est bien vrai, il n’y aura pas de discussion" », a confié  Brochu.  

Pour elle, les excuses évoquées par rapport à l’absence de financement et la crise de la COVID-19 ne se justifient pas. 

« Ils nous répondent qu’ils n’ont pas d’argent, qu’ils ne sont pas financés. C’est vrai qu’on ne peut pas tout avoir, mais la fédération peut faire des choses pour aider les entraîneurs et les athlètes. On parle quand même de trucs de base », a noté Brochu qui craignait un épuisement professionnel en continuant ce mandat en plus de son emploi de professeure en adaptation scolaire. 

« C’est un manque de respect total de ne même pas s’asseoir avec nous! Nos démarches ont été ignorées complètement. La pandémie devient la belle excuse de ne pas gérer la situation, mais on n’a rien reçu de leur part de décembre à mars », a-t-elle ajouté. 

Alexis Bertrand, à gauche, en tant qu'entraîneurIls ont prouvé que ça peut fonctionner

Le passé a pourtant démontré que Brochu et Bertrand ne parlent pas à travers leur chapeau. Bertrand est d’ailleurs parvenu à hisser la troupe masculine jusqu’au cinquième rang aux Jeux Panaméricains de 2018 au Groenland. 

Du côté féminin, Brochu a rebâti l’équipe de belle manière, parvenant à la mener jusqu’à une qualification inattendue aux Jeux Panaméricains en 2019. C'était une première en 12 ans. 

« Quand j’ai pris l’équipe, on a reconstruit à partir de zéro, le processus a été long et difficile. J’ai réinstauré les mêmes standards de mon époque de joueuse. [...] Pour y arriver, on a même battu le gros programme du Chili avec leurs entraîneurs qui dirigent à temps plein, c’est une méchante fierté ! C’est l’un des plus beaux moments de ma vie. Je t’en parle et j’ai encore des frissons », a avoué Brochu qui avait reçu de l’aide bénévole de plusieurs ami(e)s comme Nadia Lefebvre et Jean-François Grimala. 

Ce parcours a permis aux joueuses de l’équipe féminine d’obtenir une bourse de 6000$ pendant une année grâce à l’aide de la fédération québécoise. 

L'équipe féminine nationale en 2019 qui s'est qualifiée pour les Jeux panaméricains.Mais, dans les deux cas, il aura fallu que Brochu et Bertrand se démènent sans le support digne d’un programme national. Cette recette est tout simplement insoutenable à long terme. 

« J’ai toujours dirigé pour les athlètes. Parfois, on avait l’air un peu croches avec nos petits moyens, on était moins équipés que les autres, mais, sur le terrain, on avait l’air de quelque chose de solide », s’est consolé Bertrand.  

« Il y a une génération qui a été sacrifiée un peu »

Par la force des choses, le manque d’appui de Handball Canada a provoqué des effets néfastes irréparables. 

« Ce qui est plate dans tout ça, c’est qu’il y a une génération qui a été sacrifiée un peu. Il y avait de très bons jeunes qui sortaient du Québec. À l’âge critique de 18 à 20 ans, c’est là que tu dois accrocher le jeune sinon tu le perds. Leur développement a passé à côté de la track », a déploré Bertrand. 

« Il y a tellement de possibilités pour les jeunes aujourd’hui. Si tu veux les garder, il faut que tu leur proposes quelque chose, que tu les fasses rêver, qu’ils sentent qu’il y a un projet pour eux. Quand tu débourses 2200$ de ta poche pour un tournoi, c’est pour aller gagner et construire quelque chose », a-t-il poursuivi.

Si Handball Canada parvenait à libérer les athlètes de ces dépenses considérables, le sport pourrait accueillir un bassin nettement plus vaste.  

« J’interviens auprès de jeunes qui sont au basketball, mais je sais que c’est impossible pour plusieurs d’embarquer au handball. Ils ne pourront jamais payer 5000$ par année pour jouer au handball avec nous. Souvent, nos athlètes, ce sont des jeunes issus des sports-études donc d’un milieu avec un minimum de moyens », a convenu Bertrand ce qui prive la discipline d’excellents joueurs. 

Si on peut conclure ce tour d’horizon avec du positif, le handball ne peine pas à séduire les jeunes qui y goûtent. De plus, la Fédération internationale de handball a développé des initiatives pour maintenir le sport aux Jeux olympiques. Le tout exige un développement planétaire si bien que cette entité subventionne des tournois pour la relève dans plusieurs pays ce qui permet plus facilement aux jeunes de participer à des compétitions d’envergure. 

Il faudrait maintenant que Handball Canada suive le mouvement. Malgré tout, Brochu et Bertrand demeurent prêts à les conseiller. 

« Je ne suis pas rancunière, je suis là pour les athlètes. Ils et elles méritent un encadrement élite digne d’une équipe nationale », a conclu Brochu qui est peinée par la situation.