Le doute
Amateurs dimanche, 7 déc. 2014. 09:38 dimanche, 15 déc. 2024. 00:46L’année 2014 se termine sur une fausse note pour le monde de l’athlétisme. Une sorte d'arrière-goût malsain. Le marathon, cette distance mythique de 42,2 kilomètres, a été éclaboussé par des cas de dopage au cours des dernières semaines. Dommage, car l’année semblait pourtant vouloir bien se terminer grâce au record du Kényan Dennis Kimetto, établi le 28 septembre à Berlin. Il devenait ainsi le premier homme à terminer l’épreuve sous la barre des 2 h 3 min.
Le cas de dopage le plus médiatisé fut celui de la grande championne Kényane de 33 ans, Rita Jeptoo. Cette nouvelle a eu l’effet d’une bombe.
La championne en titre des marathons de Boston et Chicago a été déclarée positive à l’érythropoïétine (EPO) avant son triomphe au plus récent marathon de Chicago, le 12 octobre. Il s’agissait d’un test effectué à partir d’un échantillon urinaire. Jeptoo a immédiatement nié avoir pris tout produit dopant et peut toujours demander que l’échantillon B de son test soit soumis à une analyse pour une contre-expertise. Le résultat de ce deuxième examen déterminera l’avenir de cette coureuse d’exception au palmarès étoffé. Mais disons que pour le moment, ça ne regarde pas bien pour elle.
Ce qui rend le cas de Jeptoo encore plus dramatique, c’est que ses récents triomphes lui permettaient de terminer en tête de la World Marathon Majors (WMM), le plus important circuit de marathons de la planète, et dont le calendrier est composé des épreuves de New York, Chicago, Berlin, Londres, Boston et Tokyo. Cette première place est associée à une importante bourse de 500 000 dollars américains. Pour le moment, la somme d’argent est retenue jusqu’au résultat de l’échantillon B. Au cours des trois dernières années, près d’une vingtaine d’athlètes kényans ont échoué à des tests et ont été suspendus par l’Agence mondiale antidopage. Mais jamais l’AMA n’avait attrapé dans ses filets une prise aussi importante que madame Jeptoo.
Une autre coureuse de légende est impliquée dans un scandale de dopage. Il s’agit de la Russe Liliya Shobukhova, gagnante à trois reprises à Chicago et une fois à Londres. Shobukhova est la deuxième femme la plus rapide de l’histoire sur la distance, tout juste derrière la Britannique Paula Radcliffe. Elle est présentement au milieu d’une suspension de deux ans imposée par sa propre fédération pour des irrégularités dans son passeport biologique. En 2010 et 2011, elle a reçu deux chèques de 500 000 dollars pour avoir terminé au premier rang du classement de la WMM. Si on additionne également ses bourses obtenues aux marathons de Chicago et Londres, elle a ainsi cumulé 1,4 million de dollars en gain! De l’argent qu’elle a toujours. En effet, on lui a peut-être retiré ses premières places, mais pas son argent.
Le dossier de Shobukhova est extrêmement complexe et truffé de secrets nous rappelant l'ère soviétique. Comme si les irrégularités de son passeport biologique n'était pas suffisantes, voilà qu'un documentaire (Dopage confidentiel: comment la Russie fabrique ses vainqueurs) diffusé le 3 décembre dernier sur une chaîne de télévision allemande dressait un portrait peu élogieux de l'athlétisme en Russie. En gros, un système de dopage et de corruption systématique y régnerait sans partage. Les dirigeants doperaient volontairement leurs athlètes tout en contrôlant leurs échantillons sanguins pour qu'il ne se fassent pas attraper. En échange, ils touchaient un pourcentage des gains de leurs protégés. Evgenia Pecherina, une spécialiste du lancer du disque, a déclaré que 99 % des athlètes russes étaient dopés!
Le très réputé journal français L'Équipe en a rajouté en précisant que la Fédération internationale d'athlétisme était au courant de cette affaire et avait ouvert une enquête interne. L'Équipe précise qu'un haut placé de la Fédération russe, Andreï Baranov, aurait avoué que Shobukhova avait payé 450 000 euros à sa fédération en échange d'une promesse de ne pas être suspendue pour dopage et de pouvoir ainsi participer aux Jeux olympiques de Londres en 2012. Si c'est le cas, il, s'agit d'un immense scandale.
On comprend mieux les responsables de la WMM de retenir la bourse de 500 000 dollars de Jeptoo. Il est fort peu probable qu'ils puissent récupérer un jour le chèque d'un million de dollars octroyé à Shobukhova et se montrent prudents. Pendant ce temps, chez les hommes, le Kényan Wilson Kipsang n'a d'autres choix que de se montrer patient. Sa victoire, le 2 novembre dernier à New York, lui a permis de terminer au premier rang du classement général. La cérémonie au cours de laquelle devait lui être remis son demi-million a été reportée à une date qui reste encore à être déterminée.
Les histoires de dopage au marathon en cette fin d'année 2014 viennent probablement d'allumer une longue mèche qui fera exploser un scandale en 2015. Au delà des trahisons, tricheries, camouflages et mensonges des principaux intervenants, c'est le doute que cela aura semé dans l'esprit des amateurs de course à pied de la planète qui est dommage. Dorénavant, un peu comme le font les amateurs de vélo suivant les meneurs du Tour de France, on ne pourra faire autrement que de douter.