Image rare, très rare même que celle de l’invincible sprinter Jamaïcain Usain Bolt ne franchissant pas en premier le fil d’arrivée. C’est pourtant ce qui s’est passé le 2 mai dernier lors de la deuxième édition des Mondiaux du relais à Nassau, aux Bahamas.

À la décharge de Bolt, il est toutefois important de préciser qu’il était le dernier relayeur de la formation jamaïcaine lors de la finale du 4 x 100 mètres. Lorsqu’il a reçu le témoin, il accusait déjà plusieurs mètres de retard sur l’Américain Ryan Bailey, si bien que sa performance ne fut pas des plus transcendantes. Conclusion, la Jamaïque (37’’68) se voyait devancée par son éternel rival sur le sprint, les États-Unis (37’’38). C’était la première fois depuis 2008 que l’homme le plus rapide de la planète était battu sur un 4 x 100 mètres. Avec Bolt, la Jamaïque avait remporté trois titres mondiaux et deux médailles d’or olympiques au 4 x 100 mètres.

Lors de la remise des médailles, le visage de Bolt n’affichait pas son éternel sourire. Il était évident qu’il n’avait pas le goût d’être là. C’est qu’une semaine plus tôt, le roi du sprint avait sérieusement remis en question la légitimité de la formation américaine composée de Tyson Gay, Mike Rodgers, Justin Gatlin et Ryan Bailey. Selon lui, Gay aurait dû être banni à vie pour dopage plutôt que de voir sa suspension être ramenée de deux à un an en raison de sa collaboration avec l’agence américaine anti-dopage.

Bolt voyait peut-être les choses venir et présageait sans doute la victoire américaine. Deux autres des coureurs ayant participé la finale du relais 4 x 100 mètres avaient déjà été sanctionnés pour dopage. Gatlin avait été suspendu quatre ans et Rodgers pour une période de neuf mois. Bref, de sérieux doutes pesaient sur la « propreté » de trois des quatre relayeurs. Vexé, le Jamaïcain de 28 ans a préféré ne pas participer au relais 4 x 200 mètres présenté deux jours plus tard. Ironiquement, les américains seront disqualifiés lors de cette épreuve si bien que la Jamaïque, sans son coureur étoile, terminera tout de même avec la médaille d’or.

Usain Bolt devra rapidement se remettre de cette déception et plutôt s’en servir comme un élément de motivation. Il a d’ailleurs affirmé que dans chaque défaite, il y avait une leçon à apprendre, mais qu’il était difficile d’utiliser le relais pour déterminer le niveau individuel d’un coureur. Après une saison 2014 difficile en raison de blessures, il s’est fixé des objectifs clairs en 2015 pour retrouver la forme et la vitesse qui lui ont permis de devenir sextuple champion olympique et octuple champion du monde.

Un de ces objectifs est d’arriver aux Championnats du monde d’athlétisme, à Pékin en août, pour réaliser le triplé 100 mètres, 200 mètres et 4 x 100 mètres. Avant de s’y présenter et pour atteindre le niveau de forme désiré, il participera au 200 mètres de la réunion d’Ostrava le 26 mai, à la sélection nationale à Kingston le 25 juin, au 100 mètres de Paris Saint-Denis le 4 juillet et au 200 mètres de Lausanne le 9 juillet.

À plus long terme, la superstar du sprint souhaite devenir le premier homme de l’histoire à réaliser un troisième triplé 100, 200 et 4 x 100 mètres lors des Jeux olympiques de Rio, en 2016. Il avait déjà réalisé l’exploit à Pékin en 2008 et Londres en 2012. Au passage, il annonce viser encore plus haut et veut passer sous la barre des 19 secondes sur 200 mètres pour ainsi améliorer le record qui lui appartient déjà (19’’19).

Bolt fait preuve de lucidité en décidant de se concentrer sur le 200 mètres plutôt que le 100 mètres car il sait que son record de 9’’58 sera difficile à améliorer. Courir un 200 mètres en moins de 19 secondes est une entreprise colossale et il doit pouvoir progresser tout au long de la saison 2015 pour amorcer l’année olympique en parfaite forme. Si tout se passe comme il le souhaite à Rio, il participera aux Mondiaux un an plus tard aux États-Unis avant de prendre sa retraite à l’âge de 31 ans.

Le visage soucieux et inquiet de la Foudre après la deuxième place de Nassau s’explique en partie par le doute. Pour atteindre son objectif du triplé olympique, il doit gagner l’or au 4 x 100 mètres et compter sur ses équipiers. Cela signifie qu’ils devront vraisemblablement vaincre les Américains, même soupçonnés de dopage. Cette contre-performance est un rappel que rien n’est assuré et que, pour une fois, il est tributaire de la vitesse des autres. Bolt est apprécié de ses équipiers et même si l’athlétisme est un sport individuel, il n’a jamais hésité à courir avec eux pour la plus grande gloire de la Jamaïque. Ils ont encore pleinement le temps de s’entraîner à plein régime et de s’habituer à la haute compétition.

L’été 2015 risque d’offrir un spectacle très intéressant au sprint mondial. Même s’il est impossible de tirer des conclusions hâtives, il est évident que l’écart entre les Américains et la Jamaïque est minime. La lutte s’annonce très serrée. Mais c’est surtout le duel Gatlin-Bolt qui devrait retenir l’attention et ce jusqu’au Jeux de 2016. En effet, Gatlin, revenu d’une suspension de quatre ans en 2014, est parvenu à boucler la saison en demeurant invaincu. Mais à défaut de me voir accuser de vouloir ternir ses victoires, il a profité des blessures et abstentions de Bolt pour s’illustrer. S’il est peu probable de voir ces deux bolides de course face à face sur piste au cours des prochaines semaines, ils ne pourront s’éviter aux Championnats du monde, en août, à Pékin. Le choc promet, à ce moment, d’être excitant. Réjouissons-nous, le spectacle ne fera alors que commencer!