Difficile dans une chronique hebdomadaire dédiée à la course à pied et à l’athlétisme de ne pas aborder le sujet qui a fait la une de tous les médias de la planète cette semaine. Un rapport dévoilé lundi dernier par la Commission indépendante de l’AMA, confirmait l’existence d’un dopage organisé en Russie. Un cas de tricherie qui n'était pas sans rappeler la triste époque du bloc socialiste en Europe. Souvenez-vous des nageuses de l'Allemagne de l'Est.

Permettez-moi d’abord de dire que je suis le moins surpris des hommes puisque j’avais déjà, à quelques reprises, abordé le sujet du dopage en Russie. Je me basais pour cela sur l’excellent travail du journaliste Hajo Seppelt du quotidien ARD. C’est grâce à lui que l’Agence mondiale antidopage (AMA) avait décidé de mandater l’avocat montréalais Dick Pound pour faire enquête. Mon dernier article à ce sujet, le 11 octobre, traitait du souhait de la marathonienne russe, Liliya Shobukhova, de courir aux Jeux olympiques de Rio l’année prochaine après avoir purgé une longue suspension pour dopage. Le titre à lui seul (Nous prend-elle pour des cons?) vous laisse imaginer ce que j’en pensais!

Au-delà de la tricherie et du dopage institutionnalisé grâce à la participation de l’état russe, au-delà de la corruption et du chantage de plusieurs têtes dirigeantes envers les athlètes, c’est davantage pour la visibilité, l’image et le financement de l’athlétisme que je m’inquiète et que mon cœur d’amateur saigne!

Il faut comprendre que l’athlétisme est en manque flagrant de visibilité mondiale. Une fois à tous les quatre ans, on s’intéresse à ce sport lorsqu’il est présenté aux Jeux olympiques. Le reste du temps, la très grande majorité de ces athlètes que nous souhaitons voir gagner et que nous apprenons à découvrir retournent dans un anonymat relatif. Vous êtes probablement tous capable de me nommer le meilleur sprinter au monde, Usain Bolt, mais là souvent s’arrête votre savoir. Qui est la meilleure sprinteuse? Le meilleur marathonien? Le champion canadien du 1500 mètres? Etc.

L’athlétisme se bat avec des sports hautement plus médiatisés sur la scène mondiale comme le soccer, le rugby, le basketball, le baseball ou le hockey pour attirer sa part de commanditaires. Impossible d’organiser de grandes réunions d’athlétisme dans des stades sans l’appui de multinationales souhaitant s'associer à votre événement et offrir des bourses aux gagnants. Il est ironique de constater que malgré la hausse fulgurante de la pratique de la course à pied par monsieur et madame tout le monde, nous nous intéressions si peu à ceux qui devraient être nos modèles et notre inspiration.

Le financement est le nerf de la guerre dans le monde du sport. C’est encore plus vrai en athlétisme où les revenus du participant sont directement liés à ses performances et à sa visibilité. Le spectacle offert par l’athlétisme était difficile à vendre, il le sera encore beaucoup plus avec les allégations de dopage. Usain Bolt est la seule vedette d’athlétisme à apparaitre sur la prestigieuse liste des cent athlètes les mieux payés du monde de la revue Forbes. Il occupe le 73e rang avec des revenus annuels de 21 millions de dollars en 2014. La plus grande proportion de cette somme provient des commanditaires qui appuient le sprinter jamaïcain. Croyez-vous que d’autres coureurs se joindront au top 100 éventuellement? Pas certain avec ce qui se passe actuellement!

Lamine DiackPour s’en convaincre, il n’y a qu’à observer ce qui s’est produit avec le cyclisme après que les allégations de dopage au Tour de France aient accaparé la plupart des grands titres. De nombreux commanditaires ont préféré prendre leurs distances. Il a fallu des années, et c’est loin d’être terminé, pour conclure le grand nettoyage des dirigeants et restaurer un semblant de confiance chez les amateurs. Malgré tout le doute persiste et les cyclistes professionnels ont vu, en moyenne, leurs revenus diminuer.

C’est exactement ce qui va se produire maintenant avec l’athlétisme. De plus, Dick Pound n’a soumis qu’une partie de son rapport et de ses recommandations. Attendez-vous à ce que d’autres pays soient pointés du doigt pour le dopage prochainement. La Chine, l’Éthiopie et le Kenya ne seraient pas des exemples de probités.
Plusieurs ont comparé le scandale de l’athlétisme à celui du soccer de la FIFA. L’image est boiteuse car ce sont les dirigeants de la FIFA qui ont triché et qui sont corrompus. Pas les joueurs. En athlétisme, le mensonge serait généralisé à plusieurs intervenants, de l’ex-patron de l’athlétisme mondial Lamine Diack à l’athlète russe qui se dope. C’est encore pire!

Il existe des pistes de solutions pour redorer l’image de l’athlétisme, mais cela prendra des années avant de pouvoir les appliquer et d’en voir le résultat. Un ménage doit d’abord être fait au sein de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF). Le nouveau président de l’organisme, le Britannique Sebastian Coe, peut difficilement demeurer en poste si les preuves continuent de s’accumuler. Il était un des bras droits de Diack et a continué de l’appuyer lors de la publication des premiers articles de ARD.

Il est impératif d’augmenter le nombre de contrôles antidopage en s’assurant que les laboratoires participants au programme soient d’une intégrité parfaite. Cela coûtera certainement plus cher, mais c’est le prix à payer pour un sport propre et une confiance renouvelée des amateurs.

Dick Pound n’a pas été tendre envers la Russie dans son rapport. Il n’a pas mis de gants blancs lors de sa conférence de presse en suggérant que les athlètes de ce pays devraient être bannis des compétitions d’athlétisme à Rio et lors des autres réunions internationales importantes. Je suis d’accord avec lui, mais ne comptez pas là-dessus. Malgré l'annonce de la suspension provisoire et effective immédiatement par l'IAAF de la Fédération russe! cela n’arrivera pas.

Vladimir PoutineJamais, dans l’histoire des Jeux olympiques, une nation a été punie après avoir enfreint les règles du dopage. Les Russes ont suffisamment de temps devant eux avant Rio, neuf mois, pour redorer leur image et démontrer au Comité international olympique (CIO) qu’ils prennent ce dossier au sérieux. Le temps est l'allié de la Russie. Cela se fera de manière parfaitement orchestrée. Ainsi, après avoir nié en bloc, voilà que le président russe, Vladimir Poutine, a déclaré qu’il entendait tout faire pour contrer le dopage. Il a même l’intention de mettre sur pied une enquête interne dans le but de sanctionner les coupables individuellement plutôt que collectivement.

Le président du CIO, Thomas Bach, entretient de bonnes relations avec Poutine qu’il a appris à connaître lors des Jeux de Sotchi. Il s’est dit convaincu que la Russie apportera les correctifs nécessaires et qu’il a bon espoir de voir les athlètes russes à Rio. D'ailleurs, le comité olympique russe a annoncé avoir trouvé un accord avec le CIO pour prendre des mesures contre le dopage. Bach a expliqué que seuls les athlètes qui se sont dopés devaient être punis et prendre leurs responsabilités. Il a ajouté que les athlètes propres seraient à Rio. Bref, la famille olympique ne peut et ne veut pas se mettre à dos une nation aussi puissante que la Russie.

L'IAAF a mis en place une équipe de vérification ayant pour mission de décider si la Russie fera des efforts sérieux au cours des prochains mois pour retrouver le droit d'être aux JO 2016, du 5 au 21 août prochain. Vous pouvez parier qu'elle y sera.

Les prochaines semaines s’annoncent intéressantes. J’ai bien l’impression que nous ne voyons que la pointe de l’iceberg de cet énorme scandale qui touche l’athlétisme. J’espère sincèrement que cette merveilleuse discipline réussira à survivre à cette tourmente.