McLaren Senna en piste: les freins, Bobby, LES FREINS!
Sports jeudi, 13 déc. 2018. 14:00 jeudi, 12 déc. 2024. 14:43Il y a de ces chanceux... et ils le savent
David Booth est probablement le journaliste automobile le plus chanceux en Amérique du Nord: il a testé plus de supercars que n’importe qui d’autre. Pensez McLaren P1, Porsche 918, Ferrari LaFerrari et même la très exclusive Jaguar C-X75 – qui incidemment n’a jamais été menée en production.
Chanceux, voire... «maudit chanceux», dit son cousin de Gatineau, Robert Sigouin. Car devant ce quarantenaire qui en bave pour les bolides exotiques, David n’a aucun scrupule à étaler ses expériences.
Voici d’ailleurs ce qu’il lui raconte après avoir testé la nouvelle McLaren Senna, dernière venue dans la gamme Ultimate, en réponse au courriel du pauvre Bobby qui s’intitulait: «Sacrament...!»
En direct de l’Autódromo do Estoril, Portugal
Salut Bobby,
Comment se porte la vieille Toyota Camry 1998 de mon père ou quel que soit le bazou que tu conduis en ce moment? Comme tu le sais, je reviens tout juste de conduire la nouvelle McLaren Senna, la voiture de «route» la plus extrême que le constructeur britannique ait jamais fabriquée – à la main, bien sûr.
C’est fou, je sais. Surtout que la compagnie est déjà responsable de la mythique McLaren F1 et de cette absurdement rapide McLaren P1 qui peut – ou pas – avoir été la voiture la plus vite sur le Nürburgring.
«Sacrament!!!!!»
Je t’entends me demander: à quoi ça ressemble, conduire la nouvelle McLaren Senna. De fait, chaque fois que je teste une Ferrari, une Lamborghini ou, comme ici, une McLaren...
... et que je «poste» sur Facebook un cliché de moi assis dans lesdites 488, Huracán ou Senna, souriant comme un chat qui vient de manger un canari, je sais que le premier courriel que je vais recevoir, il sera de toi.
Je n’ai même pas besoin de vérifier la signature pour voir de qui il vient; je n’ai qu’à compter le nombre de points d’exclamation qui le débutent, puis le «Sacrament» qui vient inévitablement, suivi de tout un tas d’autres points d’exclamation, parfois d’un «Holy Crap, Dave!»...
Et toujours, ton éternelle question: «Alors, dis-moi, qu’est-ce que c’est que de conduire un supercar, mon mausus de cousin?»
335 km/h, ça ressemble à quoi?
Inévitablement, ton interrogation – et, à vrai dire, c’est la même qu’à peu près tout le monde – tourne autour de la vitesse.
- Ça donne quoi comme sensations, 789 chevaux, comme pour la McLaren Senna qui nous concerne?
- Qu’est-ce que ça fait que d’accélérer de zéro à 100 km/h en tout juste 2,8 petites secondes ou – plus impressionnant encore pour cette toute dernière de la gamme Ultimate – à 200 km/h en seulement 6,8 secondes?
- À quoi ressemble ça ressemble, du 335 km/h? Ça sonne comment, derrière tes oreilles, ce fougueux V8 bi-turbo de 4,0 litres capable de 590 lb-pi de couple?
Ce n’est pas la bonne question...
Ce que tu me demandes vraiment, c’est si toute cette puissance, cette vitesse font peur. Tu te demandes si c’est comme d’être expulsé d’un canon? De sauter d’un avion en parfait état de marche? De monter dans la pire des montagnes russes au monde?
Autrement dit, tu demandes: c’est vite comment, une Mclaren Senna?
Eh bien, cher Bobby, tu seras surpris d’apprendre qu’ici, la vraie «patente» n’est pas une affaire de vitesse. De fait, tu ne poses même pas la bonne question.
Certes, si tu comparais avec la vieille Camry quatre cylindres 1998 que mon père t’a vendue il y a dix ans, à bord de la McLaren, tu trouverais que ton coeur palpite plus vite que le rythme avec lequel les poteaux téléphoniques défilent par la vitre latérale.
Mais...
80 chevaux de plus? Pffft...
... Mais bon – et je m’excuse si je fais éclater ta bulle: tu t’y habitues, à cette vitesse. En fait, tout le temps que tu mets le pied au plancher, les pneus Pirelli PZeros luttent pour conserver leur traction – mais étonnement, ça devient vite banal.
Pire: tu vas devenir blasé. Tu sais, la vitesse, c’est un peu comme une drogue: plus t’en prends, plus t’en as besoin. C’est pareil ici: plus tu t’élèves dans l’échelle des chevaux-vapeur, plus il en faut pour t’impressionner.
Le bolide dont je te parle, par exemple, libère 80 chevaux de plus que la McLaren 720 S dont il origine. Mais – et je ne pourrais jamais écrire ça en anglais, Bob, parce que sûrement que je perdrais mon job dans le temps de crier «Senna»: tu peux à peine faire la différence.
La 720 S réalise le 100 km/h en 3 secondes, sa version de performance le fait, comme je l’ai mentionné plus tôt, en 2.8 secondes.
Oh, sûr que si toi et moi, on les «rinçaient» l’une contre l’autre, tu pourrais me battre, sans doute de la longueur d’une voiture et demie. Mais en solitaire, même sur un circuit, soyons honnête: la différence est trop mince pour être perceptible.
D’ailleurs, Bobby, j’avoue que je rigole à la pensée de tous ces riches péteux de broue qui échangeront leur actuelle McLaren 720 S de 300 000$ pour une Senna d’un peu plus d’un million de dollars... pour 6% plus de chevaux. Ils vont être déçus, car même les popotins les plus sensibles ne peuvent (res)sentir pareil écart.
Oh, je t’ai dit, mon cousin, que McLaren n’allait fabriquer que 500 exemplaires de sa Senna?
On s’habitue à tout... même à «ça»
Quand bien même, admettons que quelqu’un perçoit vraiment une différence; et alors? Il lui suffira de quelques tours au circuit Mont-Tremblant pour oublier le surcroît de puissance et pour se (re)mettre à magasiner pour quelques turbos en extra.
Mais je vais te dire ce qu’ils n’oublieront pas, Bob: longtemps, très longtemps après qu’on se soit blasé des 789 poulains, on continue d’être impressionné par... le freinage.
Tout comme une vraie Formule 1, ce qui démarque la Senna de ses contemporaines – y compris de sa très compétente cousine McLaren 720 S – ce sont les freins.
Oui, Bobby: les freins!
Laisse-moi t’expliquer, mon cousin. T’as vu en introduction que j’ai piloté la McLaren Senna sur le circuit d’Estoril, au Portugal. Rappelle-toi que cette ancienne piste de Formule Un profite d’une loooongue droite.
Avec un bolide comme la Senna qui pèse à peine 1 198 kg (oui, c’est un rapport puissance / poids pas mal impressionnant), tu atteindras les 280 km/h avant même de commencer à penser qu’il te faut ralentir... en prévision d’un virage si serré qu’il faut le manoeuvrer en second rapport.
La première fois que tu attaques ce droit à, justement, 280 km/h et que tu écrases les freins, les gros étriers à six pistons cadenassent les énormes disques avant de 390 millimètres, évidemment de carbone-céramique...
... et à environ 50 mètres – une éternité, sur un circuit! – de la courbe en 90 degrés, tu réalises que tu roules si lentement que même ta vieille Camry quatre cylindres, sur ses vieux Michelins usés à la corde, pourrait «cliper» l’apex.
Pas de farce, Bobby: la Senna s’immobile de 200 à 0 km/h... sur 100 mètres!
Oui, mais... il y a plus encore
Tu vas me faire remarquer, Bob, que la plupart des autres supercars se proposent avec des freins-céramique, eux aussi. Bon sang, certains en offrent même avec huit pistons à l’avant.
Et je vais rajouter que presque tous ces bolides misent sur des Pirelli PZeros d’ultra-performance, tout comme la Senna. Mais aucun – je te jure: aucun ne freine comme s’il avait frappé un mur de briques.
Tu sais quoi, Bobby? Il y a plus encore. Car l’item le plus important chez la nouvelle Senna, davantage que les culasses ou le turbocompresseur révisés, c’est ce giga-aileron que tu as probablement déjà remarqué.
Sinon, le voici:
Certes, sur d’autres voitures, une telle aile à l’arrière n’est jamais rien de plus qu’un appendice de snob essayant de compenser son... eh bien, son manque d’appendice.
Mais pour la McLaren Senna, c’est pour de vrai. Et Bobby, excuse-moi d’être si technique, mais tu sais comment j’aime fouiller ce que cachent les chiffres et ici, ils dévoilent un phénomène stupéfiant: entre cet aileron énorme (certains diront criard...) et les splitters à la grille avant contrôlés par ordinateur d’une manière incroyable efficace, le bolide profite, à 255 km/h, d’un appui aérodynamique de 800 kilogrammes.
Comme je sais que tu es en train de chercher ta calculatrice pour convertir le tout en mesure impériale, Bob, laisse-moi te faciliter la tâche et te dire que c’est un énorme 1763,7 livres – très précisément – d’appui aérodynamique.
Ou, si tu préfères, plus des deux tiers du poids total de la Senna.
En termes encore plus simples, mon cher cousin, ça veut dire qu’à cette vitesse, les Pirelli PZero Trofeo Rs déjà super-adhérents (ceux arrière sont des 315/30ZR20, ceux en avant sont des 245/35ZR19s) ont une traction de 1998 kilos qui enfonce le caoutchouc dans le tarmac portugais, comme pour l’arracher...
... bien qu’ils n’aient que 1198 kg à immobiliser.
En comparaison, sache que même la McLaren P1 de 903 chevaux pèse 1 395 kg (presque 200 kg de plus) et, pourtant, ne libère que 500 kg d’appui aérodynamique.
De fait, mon cher Bobby, si tu veux plus d’appui qu’avec la Senna, tu n’as pas le choix: ça te prend une monoplace de F1 ou, à la rigueur, d’Indy. Rien d’autre qui exhibe une plaque d’immatriculation ne s’en approche – même de loin.
Va au gym, Bobby...
Cela dit, contrairement à cette puissance dont tu voulais tant me parler (et, laisse-moi répéter, à laquelle tu t’habituerais bien vite), toute cette force de freinage nécessite une bonne période d’adaptation.
De fait, et si jamais tu réussis à dégoter les 958 966 $ US exigés par McLaren pour sa nouvelle mouture de haute performance, avant même de penser à la mener en piste, il va te falloir... visiter le gym plus souvent.
Je sais que tu te crois en bonne forme physique, avec tes cours d’aérobie au Nautilus et tes longueurs de piscine, mais tu vas devoir être – comment je dirais ça gentiment...: plus fort. Vraiment plus fort.
C’est que, vois-tu, avec toute cette fougue aérodynamique qui pousse littéralement la Senna dans le bitume, générant bien au-delà des 2g aux dires de McLaren, tu dois l’enfoncer sévèrement, cette pédale de freinage. C’est comme si tout à coup, tu rajoutais 45 livres à ton leg press, Bobby.
Et pendant que tu y es, pratique donc tes exercices au corps. Parce que du «plus que 2g», la Senna est aussi capable d’en donner en virage, nous a assuré Andy Palmer, grand patron de la division Ultimate chez McLaren (celle-là même qui a accouché de la P1).
Bref, de quoi challenger tes muscles abdominaux, mon Bobby.
Bien sûr, comme tous les bolides conçus pour la piste, la McLaren Senna est pourvue de sièges modelés d’une seule pièce – en fibre de carbone, évidemment – qui sont (bien) dessinés pour te maintenir en place.
Mais tu vas quand même être suffisamment «barrouetté» pour qu’après six ou huit tours de circuit, tu souhaites avoir fait pas mal plus de sit-ups sur ton tapis de yoga...
Mais – et laisse-moi conclure sur ceci, Bobby: ça en vaut tellement la peine.
Parce qu’autant les virages rapides à bord de la McLaren 720 S (que nous avions sur place pour la comparaison) exigent une manoeuvre judicieuse des gaz, pour ne pas dire des freins, autant la Senna les attaque à fond la caisse...
... si, bien sûr, tu réussis à ne pas lever le pied droit de l’accélérateur, mon Bobby!