(D'après ESPN.com) - Dix ans plus tard, vous vous souvenez du silence. Le calme. Le vide. Le vide classique d'un parc lors d'un match du camp d'entraînement, et ce qu'aurait dû être le moment classique d'un match du camp d'entraînement.

Et le vide dans le visage des gens qui auraient dû être assis bien confortablement à leurs sièges au parc. Pour faire ce qu'ils aiment faire. Jouer au baseball. Regarder le baseball.

Il y a déjà dix ans. Dix ans qu'un yacht entrait en collision avec un quai au crépuscule, amenant avec lui deux membres des Indians de Cleveland.

Les joueurs de baseball ne sont pas supposés mourir. Pas au sommet de leur carrière. Pas quand leurs familles sont si jeunes. Pas quand ils commencent à peine à goûter à leurs rêves. Pas durant le camp d'entraînement, quand la pression n'y est pas et que, dans les estrades, les partisans vivent d'espoir.

Et surtout pas lors d'une journée de congé sur un lac paisible à des miles de tout, où enfants et épouses pique-niquent ensemble dans une camaraderie bien spéciale. Le genre de journée que personne veut ne voir prendre fin.

Tout le monde ressent ce genre de douleur. La ressentir à ce moment. La ressentir maintenant.

Vous n'aviez pas à être à Winter Haven, en Floride, en ce 22 mars 1993 pour ressentir cette douleur. Mais pour les gens qui ont assisté aux tristes événements, c'est une image qui ne pourra jamais s'effacer.

J'étais à 75 miles de Winter Haven quand je me suis réveillé le lendemain. Le téléphone a sonné. Et tout a changé.

Normalement, il n'y a rien de plus excitant que de se diriger vers le stade avant un match. Plus vous approchez, plus vous entendez le contact du bâton avec la balle. Vous entendez les vendeurs de programme tenter de faire de l'argent. Vous voyez des joueurs dans toutes les directions. Vous voyez des parents tenir la main de leurs enfants.

Mais pas cette journée-là.

Tous les stades étaient déserts. Quelques camions de télévision stationnés dans un lot étrangement vide. On aurait dit que tout son avait été évacué de l'air. C'était à ça que ressemblait, sentait et sonnait la tristesse.

Bob DiBiasio, vice-président des Indians, s'était aventuré seul dans le stade. Il n'avait pas fermé l'oeil de la nuit. Ses yeux, rougis. Sa voix, enrouée.

"Cet endroit est supposé être plein. Les gens sont supposés applaudir", a-t-il lancé.

Mais pour les Indians de Cleveland et les gens qui les supportaient, ce fut long avant de pouvoir applaudir à nouveau.

Mais ce fut sans Steve Olin, leur effervescent releveur numéro un, décédé à l'âge de 27 ans. Sans Tim Crews, le complice qui préparait la table pour Olin, décédé à l'âge de 31 ans. Sans Bobby Ojeda, lanceur partant et dernière pièce de la rotation des Indians, gisant sur un lit d'hôpital, qui se demandait pourquoi il était encore en vie alors que ses amis avaient rendu l'âme.

Leurs coéquipiers s'étaient réunis à l'aube. Mike Hargrove, le gérant, les avaient réunis en cercle dans le vestiaire. Ils ont parlé de leurs amis, de leur vie et de la manière dont ils allaient s'en sortir.

Jim Thome, une recrue alors âgé de 22 ans, connaissait à peine Olin et Crews. Maintenant, il considère cette journée comme l'expérience la plus puissante de sa carrière de joueur de baseball.

"Je me souviens du moment où je suis pénétré dans le vestiaire. Les visages disaient tout", raconte Thome.

Vous n'oubliez jamais ces visages. Ces visages qui tentent de digérer la réalité d'un événement qui ne doit pas se produire.

"Vous ne pouvez y croire. C'est le genre d'événement qui vous fait apprécier la vie. J'essaie d'aborder chaque journée avec ce sentiment. Je me dis que je vais apprécier chaque journée et que je vais en profiter".

Dix ans plus tard, l'ironie de la tragédie se répercute encore. Comment le destin a-t-il dicté le chemin de ces trois hommes vers ce lac?

Si les Indians n'avaient pas quitté l'Arizona ce printemps-là -- après 46 saisons à Tuscon, Arizona --, ils n'auraient jamais navigué sur ce lac.

Si l'ouragan Andrew n'avait pas détruit le stade désigné par les Indians à Homestead l'automne précédent, ils n'auraient jamais navigué sur ce lac.

Si l'équipe n'avait pas prévu que cette journée serait la seule journée de congé du camp, ils n'auraient jamais navigué sur ce lac.

Si la direction des Indians n'avait pas décliné l'offre des Dodgers de remettre une partie en raison de la pluie à Winter Haven cette journée-là, ils n'auraient jamais navigué sur ce lac.

Si Steve Olin avait écouté son épouse, qui lui avait dit, après une plusieurs tentatives infructueuses de se rendre au ranch de Crew, "Oublie ça et retournons à la maison", ils n'auraient jamais navigué sur ce lac.

"Je ne comprends pas pourquoi ces choses arrivent ainsi", a récemment indiqué Kevin Wickander, meilleur ami et coéquipier de Olin, sur les ondes de ESPN. "Je ne peux expliquer. Ça fait partie de la vie. Dieu a décidé que celle de Steve était terminée".

Mais dans la vie, il y a toujours du bien à retirer d'une situation triste. Et, alors que les Indians ont poursuivi leur reconstruction dans les années suivantes, le jour du 22 mars 1993 est resté comme un nuage au-dessus de l'équipe.

Pendant longtemps, ils ont conservé les chandails de Olin et Crews dans leurs casiers... même sur la route.

Pendant longtemps, Kevin Wickander a porté un chandail de son ami Steve Olin sous son uniforme.

Pendant longtemps, neuf ans dans les faits, la direction de l'équipe a décidé d'éliminer de son calendrier les journées de congé. L'année dernière, la direction est revenue sur sa décision.

"Les tragédies sont souvent les moments qui vous font le plus grandir", estime John Maroon, le directeur des relations publiques de l'équipe de l'époque. "L'équipe a abordé les choses différemment. Les joueurs ont été forcés de se regrouper et grandir plus rapidement. Il y avait beaucoup d'unité au sein de l'équipe par la suite. Après l'accident, nous n'avions pas peur de démontrer notre affection les uns les autres".

Le point culminant de cette expérience est survenu un soir de septembre de 1995 quand l'équipe a décroché un premier titre de division en 41 ans.

On a joué la chanson "The Dance" de Garth Brooks. Tout le monde sur l'équipe connaissait la signification de la chanson. C'était la chanson de Steve.

La chanson préférée de Olin, Wickander a décidé de la jouer lors de son service funéraire en mars 1993. Des joueurs qui ont dansé sur cette chanson dans des circonstances plus joyeuses deux ans plus tard, dix-sept étaient avec les Indians en 1993.

Ils savaient. Et Mike Hargrove savait qu'ils savaient. Ce soir-là, il avait demandé à l'homme qui contrôle le tableau indicateur une demande très spéciale

Selon Maroon, "le point de Mike était le suivant : nous voulons nous souvenir. Parce que l'accident survenu en mars 1993 a joué un très grand rôle sur l'identité de notre équipe".

Dix ans plus tard, tout le monde fait une pause. Tout le monde se souvient. Et ce, peu importe si nous connaissions ces joueurs. Et ce, peu importe si nous étions partisans des Indians.