TORONTO – À l’hiver 2015, après son 39e combat professionnel, Jordan Mein en a eu plein le dos de la compétition. À 25 ans, avec un brillant avenir devant lui, il est disparu dans la brume sans la moindre intention d’en sortir.

Devant l’absence d’explication, on a parlé de retraite. Officiellement, le verdict n’a jamais été prononcé parce que Mein s’est effacé sans dire un traître mot. L’un des plus beaux talents des arts martiaux mixtes canadiens est tout simplement débarqué de la mappe sans attendre son rappel.

« À l’époque, j’étais convaincu que c’était la fin, a finalement commenté le jeune Albertain jeudi. Je ne voulais plus me battre, j’en avais assez de la compétition. Je ne voulais plus rien savoir. »

Si Mein est réapparu, c’est qu’il a changé d’idée. À un certain moment durant l’été, il n’est pas trop certain quand, la flamme s’est rallumée. Et le voilà de retour sur les rails, prêt à faire ce qu’il fait depuis l’âge de 16 ans : se battre. Samedi soir, il effectuera son grand retour sur la carte principale de l’UFC 206 à Toronto. Entouré d’une foule partisane, il affrontera le Norvégien Emil Meek.

La vraie question n’est pas de chercher à comprendre ce qui a ramené Mein vers la seule chose qui l’ait jamais passionné, mais plutôt ce qui l’a d’abord incité à vouloir s’en éloigner. Combattre dans une cage représentait l’essence de sa vie depuis près de dix ans. Vers quoi allait-il se tourner?

« Il était en train de se brûler dans le monde des sports de combat et il en avait marre de la façon dont certaines choses se passaient, alors il m’a dit qu’il avait besoin d’arrêter, confie Lee Mein, son père et entraîneur. J’ai compris sa décision. Il y a de ça plusieurs années, c’est ma propre carrière qui n’allait pas très bien et il m’avait dit : ‘Tu n’aimes visiblement plus te battre, alors pourquoi tu continues de le faire?’ Il avait raison. J’ai arrêté pendant deux ans, je suis revenu et je n’ai jamais eu autant de plaisir depuis. C’est ça qui lui est arrivé. »  

Avant d’atteindre les ligues majeures de son sport, Jordan Mein se battait régulièrement six fois par année. Il s’agit d’un rythme insoutenable dans un sport aussi brutal que les arts martiaux mixtes. Il venait de subir une défaite par K.-O. contre Thiago Alves, sa deuxième en cinq combats à l’UFC, quand il a décidé qu’il en avait assez.

Mein tient à ses secrets. Il est évident qu’il a fait le choix de ne révéler que l’essentiel quant aux raisons qui ont motivé son départ impromptu. Il dit qu’il était « mentalement perdu » et qu’il avait besoin de recul pour penser à ce qu’il allait faire du reste de sa vie.

Bien avant la défaite contre Alves, son père s’était bien rendu compte que quelque chose clochait.

« Tout était pénible, se souvient Lee Mein. L’entraînement et tout ce qui est rattaché n’étaient pas sa priorité. Il le faisait, mais il n’avait plus de plaisir à le faire. Il n’était pas le premier à qui ça arrivait, vous savez? Même si vous aimez votre boulot, il y aura toujours des jours où vous aurez l’impression que c’est une corvée. Mais vous devez quand même vous lever et y aller, non? C’est le genre de chose qu’il a dû apprendre. Il a compris qu’il y avait des conséquences à ne pas être en forme, à ne pas se présenter au travail. Mais pour vraiment le comprendre, il a dû aller voir ailleurs pendant un certain temps. »

Jordan Mein n’a pratiquement rien changé dans sa vie après avoir décidé que les combats, ce n’était plus pour lui. Il n’a pas été attiré par le jardinage ou le scrapbooking, n’est pas parti à la chasse aux Pokémon. Quelques jours après sa défaite contre Alves, il est retourné au gymnase, a continué à enseigner le jiu-jitsu. Avant longtemps, il a su qu’il ferait éventuellement demi-tour.

« Ça a été l’une de mes grandes réalisations! Je me suis dit : ‘Attends une minute, je ne peux pas prendre ma retraite. J’aime beaucoup trop ça’. »

Avant de prendre le chemin du retour, Mein, qui est aujourd’hui âgé de 27 ans, a fait le ménage. Il dit avoir adopté un style de vie plus sain. Sa copine a donné naissance à une petite fille, leur premier enfant. Au gym, son père et lui ont incorporé de nouvelles techniques d’étirement et de récupération pour atténuer le poids des années sur son corps. Et au cours de ce processus, il a recommencé à voir les arts martiaux comme une fantastique façon de gagner sa vie plutôt qu’un fardeau qui ne faisait que lui apporter stress et frustration.

« Quand Jordan était tout jeune, je travaillais dans la construction, raconte le paternel. J’avais commencé à enseigner les arts martiaux, mais je devais quand même gagner ma vie avec un vrai job. Aujourd’hui, quand je vois des gars faire ce que je faisais, je me souviens à quel point je détestais ça et je suis heureux de la vie que je mène. J’ai encore des grosses journées et ça arrive que j’en aie ras le bol, mais je suis quand même capable de l’apprécier parce que c’est mieux que d’autres choses que j’ai faites dans ma vie. Je crois que c’est un peu ce que Jordan a réalisé. Il va connaître sa part de mauvaises journées, mais une mauvaise journée dans notre bureau, c’est encore mieux que la bonne journée de bien des gars. »

Quand il a appelé les dirigeants de l’UFC, à qui il était toujours lié contractuellement, pour leur faire part de son désir de remonter dans l’octogone, on l’a mis au courant des nouvelles règles qui avaient été instaurées pendant son absence. Il n’avait aucune idée qu’il aurait à se soumettre à des tests antidopage pendant quatre mois avant de pouvoir renouer avec la compétition. Comme la vie fait bien les choses, l’échéancier le rendait tout juste admissible à participer au gala torontois.

Mein dit avoir appris de nouveaux trucs au cours de son année sabbatique, mais il ne peut promettre qu’il les mettra en application à son retour dans la cage. « L’entraînement et la compétition, ce sont deux choses complètement différentes! », dit-il avec un sourire serein, les yeux pétillants.

Et quand on lui demande comment il voit la suite du reste de sa carrière, celle qui commencera samedi soir contre Emil Meek, on comprend rapidement que la vraie retraite, ce n’est vraiment pas pour maintenant.

« J’aimerais être plus actif. J’avais l’habitude de me battre six fois par année, vous savez... »