RDS présentera en direct les qualifications du GP d'Australie samedi à 1 h 45 et la course dimanche à minuit.

Il y a certainement de multiples points majeurs à observer à l’aube du la nouvelle saison de Formule 1 et honnêtement mes amis, nous pourrions élaborer pendant plusieurs pages pour faire un portrait complet.

Bien sûr, l’arrivée du Montréalais Lance Stroll chez Williams apparaît très haut sur la liste des facteurs qui rehaussent fortement l’intérêt pour le Championnat du monde, chez nous. Le jeune homme de 18 ans va assurément attirer l’attention des amateurs de F1 d’ici mais va aussi susciter un vif intérêt à travers le monde entier, à titre de seul véritable pilote recrue du plateau 2017. Il y a fort à parier qu’il piquera aussi la curiosité des gens qui ne suivent pas nécessairement la discipline sur une base régulière mais qui voudront savoir comment « un p’tit gars de chez nous » se comporte dans cet univers international aussi sélect. Les attentes seront-elles justes et équitables à son endroit? Aura-t-il droit à la patience et au discernement de « son » public? C’est sur ce plan que porte la chronique de mon collègue Bertrand Houle, que je vous invite à lire également à quelques heures du Grand Prix d’Australie.

De mon côté, sur une base plus large, je retiens d’abord que le Championnat de cette année marque sans l’ombre d’un doute, le virage le plus important qu’ait connu la Formule 1, dans son histoire moderne, sur le plan de sa structure de direction. En fait, l’impact est tel, qu’il est essentiel d’analyser la situation en deux phases bien distinctes : d’abord du point de vue du départ de Bernie Ecclestone, proprement dit et de l’arrivée des nouveaux dirigeants mandatés par Liberty Media, la nouvelle entité qui possède maintenant la majorité de l’équité « contrôlante » de la discipline.

Je vous propose d’abord aujourd’hui le premier volet de cette analyse. Nous y verrons les grandes étapes de la démarche entreprise par Ecclestone il y a 40 ans. Vendredi, je vous proposerai un survol des enjeux qui attendent les nouveaux propriétaires à compter de maintenant. Bonne lecture.

Un héritage colossal sur fond de déclin

Il est difficile pour la plupart des amateurs de F1 de saisir dans toute son amplitude le legs de Bernie Ecclestone à l’univers du sport automobile, du sport en général et du divertissement au sens large. Il est plus facile de retenir son enrichissement personnel gigantesque et sa mainmise totale sur la commercialisation et le développement de la discipline tout au long de son parcours moderne. Vrai que celui qui fut souvent surnommé le « tsar de la F1 » a souvent éclaboussé les gens sur son passage, vrai qu’il a agi de façon autocratique dans sa prise de décision. Il est aussi vrai qu’il a souvent « divisé pour mieux régner » (surtout dans les dernières ententes avec les écuries) et qu’il était hautement réfractaire à basculer dans l’ère moderne des communications. Et oui, il a amassé beaucoup, beaucoup d’argent au passage !

Mais Ecclestone fut surtout le grand responsable de l’essor fantastique de la Formule 1 à compter des années 1970, essor qui a placé la popularité mondiale de ce sport à un niveau presque inégalé, tout juste derrière les Jeux olympiques et les grandes rencontres internationales de soccer. Tout en cherchant à développer les pouvoirs des écuries qui, selon lui, étaient à la base même du « spectacle F1 », il a aussi compris que tout devait passer par la télé. Il a pris les Grands Prix dans les vases clos des circuits traditionnels et les a transportés dans les salons des gens ordinaires. La F1 est soudainement devenue universelle, elle est devenue accessible pour tous et c’est pourquoi progressivement, toutes les grandes marques mondiales voulaient s’y afficher !

En créant la Formula One Constructors Association (FOCA) en 1974, Bernie a su rallier d’abord les écuries britanniques à sa cause. Il devint le leader naturel de la nouvelle entité et c’est ainsi que son pouvoir s’est accentué au fil des ans. Après de longues batailles avec le pouvoir sportif et par ricochet avec les écuries françaises et italiennes, la paix s’est installée et Ecclestone a pu commercialiser la F1 à pleine vapeur. Tout au long du parcours de développement, il a aussi mis de l’argent dans les poches des écuries et de la Fédération internationale alors que tous les acteurs étaient liés par des accords complets et « équitables ». Si les équipes se plaignaient de recevoir un trop faible pourcentage des revenus globaux, elles pouvaient en retour vendre à prix d’or l’espace de commandite sur les voitures, vu l’auditoire mondial qui s’élargissait sans cesse.

C’est l’arrivée de son bon ami (et membre fondateur de la FOCA) Max Mosley, à la tête de la FIA, en 1991, qui a ouvert davantage les portes de la démesure à Bernie Ecclestone. Dorénavant, le pouvoir sportif et le pouvoir commercial étaient unis par des liens très forts et éventuellement la société dirigée par Bernie obtint les droits de commercialisation du Championnat pour une durée de 100 ans ! Le premier objectif fut de faire exploser la valeur des droits de télévision, objectif qui fut atteint surtout en Europe et en Asie, grâce à des économies très fortes, à l’impact de méga stars comme Michaël Schumacher et à l’appétit des commanditaires, dont ceux du tabac qui voulaient profiter de leur dernière fenêtre sur le monde avant le bannissement total qui s’annonçait.

L’effritement commence

Tout cela allait plutôt rondement jusqu’au virage du siècle. On peut croire que le désir de monnayer son empire tout en gardant le contrôle de la F1 a mené vers un long déclin. Les premiers acquéreurs d’une partie de son équité se sont avérés d’une solvabilité douteuse. Puis, les grands constructeurs se mirent à redouter plusieurs de ses projets, dont celui de la télé numérique à péage. Son ami Mosley perdit éventuellement tous ses appuis et Bernie perdit, lui, sa ligne directe avec le pouvoir de la FIA en 2009, quand le français Jean Todt arriva à la tête de l’organisme.

Au fil de la décennie 2000, l’intérêt global s’effrita pour la F1, en partie à cause des dominations répétitives de Ferrari et de Schumacher. Petit à petit, plusieurs commanditaires ont quitté le navire, dont ceux du tabac qui furent frappés d’interdiction totale d’affichage. L’Europe, le château-fort de la Formule 1, devint un peu plus tiède et les hauts et les bas de l’économie eurent des effets très néfastes pour la discipline sur ses terres de prédilection.

Bernie n’allait pas s’arrêter là pour autant. Si l’Europe était en stagnation, des marchés en pleine croissance salivaient à l’idée d’attirer la F1 à prix d’or ! Le GP de Malaisie arriva en 1999. Celui de Bahreïn, en 2004. Ceux de Turquie et de Chine en 2005. Il fallait continuer à développer, pour le meilleur et pour le pire, là où on le pouvait ! Ecclestone s’éloignait de plus en plus de la base même du sport et par ricochet, du spectacle offert.

Lorsque le groupe financier CVC Capital finalisa l’acquisition d’une majorité d’actions du groupe de contrôle de la F1, en 2005 et en 2006, Bernie perdit ses derniers liens avec le sport proprement dit. Il devint « exclusivement » responsable de la croissance financière du porte-feuille de CVC (dont c’est le mandat premier, faut-il le rappeler). Tout en imposant des augmentations énormes aux promoteurs existants, il continua sa croisade de développement. Singapour et son Grand Prix de nuit s’ajouta en 2008. Puis, il frappa un coup énorme en ajoutant Abou Dhabi, en 2009, une première incursion dans les riches Émirats Arabes. La Corée du sud vint en 2010, éventuellement un fiasco. Puis, arriva l’Inde, en 2011, un autre fiasco, étonnant celui-là. Bernie était en mission exclusive, celle du développement à tous prix !

Il ne s’arrêta pas là. Les quelques échecs de la liste précédente l’ont amené sur le continent américain et en 2012, Austin, au Texas, devint le site d’accueil du GP des États-Unis. Où trouver de l’argent neuf après cette boucle? En Europe de l’Est, bien sûr ! Après les Jeux olympiques d’hiver de 2014, Sotchi tenait absolument à maintenir sa visibilité touristique et avait déjà prévu s’offrir à très fort prix un GP annuel. Et puis? Pourquoi ne pas retourner au Mexique et répondre aux offres généreuses des promoteurs. Baku, en Azerbaïdjan veut rivaliser avec Sotchi pour le tourisme dans l’Est de l’Europe? Allons-y gaiement même s’il n’existe aucun circuit là-bas !

Pendant cette folle croisade, les structures de base de la Formule 1 se sont effritées sérieusement, au point où la menace d’une nouvelle association d’équipes et de constructeurs, comme celle que Bernie Ecclestone avait créée lui-même au milieu des années 1970, devint extrêmement sérieuse. L’idée d’une série parallèle fut clairement évoquée. Les cotes d’écoute se mirent à descendre un peu partout à travers le monde. Frappés de plein fouet par le ralentissement de l’économie à l’échelle mondiale, les commanditaires ont continué leur exode. L’Europe peina à maintenir à flot des événements pourtant coulés dans le béton jadis. La FIA imposa par ailleurs de nouvelles normes techniques à saveur écologique, qui vinrent jouer dangereusement dans la nature même de la F1.

Pour éviter le naufrage du navire et pour pouvoir sauver ultimement son contrôle, Bernie se devait d’intervenir. Il choisit alors de procéder de la façon qu’il maîtrise si bien : en pulvérisant les efforts de concertation des écuries et des constructeurs en négociant avec chacun d’entre eux des accords de partage de revenus spécifiques. Il eut aussi l’idée brillante mais peu équitable d’en donner davantage aux riches, ce qui vint donner le coup de grâce aux projets d’union des équipes et des constructeurs et qui instaura une paix « forcée » dans les paddocks.

Ce très long et spectaculaire parcours d’un seul homme se termina par la vente des actions de CVC au groupe américain Liberty Media, il y a quelques mois. À la conclusion de celle-ci, Bernie Ecclestone se fit gentiment mené vers une risible voie de service, qui ne fit que confirmer les volontés de changement du nouveau propriétaire et qui signifie hors de tout doute la fin de son règne de 40 ans.