« Choisir, c’est se priver du reste1 »

Le championnat mondial de curling féminin s’amorce ce week-end à Riga en Lettonie. Pas en Alberta ni au Manitoba ou encore à Glasgow en Écosse, mais bel et bien en Lettonie. Depuis que le curling est devenu officiellement un sport olympique en 2002, le sport connaît une expansion planétaire sans précédent. Parmi les nouveaux pays qui se sont joints à la Fédération mondiale de curling depuis 2002, mentionnons la Grèce, la Pologne, la Chine, le Kazakhstan, la Turquie et plusieurs autres dont la Lettonie.

Si l’on peut considérer ce phénomène comme une excellente nouvelle pour le développement de notre sport, on pourrait dire que c’est aussi plus inquiétant pour nos athlètes canadiennes. En effet, il semble de plus en plus ardu pour nos représentantes de se distinguer sur la scène internationale. Un petit coup d’œil sur l’histoire du Championnat mondial de curling féminin nous permet de découvrir que celui-ci existe depuis 1979. Le Canada est monté sur la plus haute marche du podium à 15 reprises depuis la création de ce Championnat mondial, ce qui est excellent évidemment. Cependant, lorsque l’on y jette un coup d’œil plus approfondi on constate que lors de 19 premières années de cette compétition, le Canada a remporté le titre à 12 reprises! Si vous faites le calcul, vous constaterez qu’au cours des 14 dernières éditions le Canada a été couronné seulement à 3 occasions. Si vous ajoutez à cela le fait que le Canada n’a jamais remporté la médaille d’or aux Olympiques dans le volet féminin (une médaille d’argent et deux de bronzes en trois occasions jusqu’à présent) on pourrait conclure que le Canada, du côté féminin, est en perte de vitesse.

Pourtant, même avec l’ajout de ces nombreuses nouvelles fédérations, le Canada est encore loin devant en terme de participations, de membres actifs si vous voulez, au sein de son association. Dans les faits, il y a probablement plus de membres actifs au Canada seulement que dans toutes les autres fédérations réunies. À titre d’exemple, mentionnons la Fédération Suisse, qui a remporté le titre l’an dernier et qui est l’une des plus grosses fédérations internationales avec ses 8000 membres. Au Canada, on parle de près de 700 000 membres!

Alors pourquoi est-ce plus difficile pour nos représentantes? La question est débattue fréquemment dans les plus hautes instances de l’Association canadienne. Un des éléments de réponse les plus souvent retenus est dans le processus de sélection des équipes qui représenteront leur pays aux diverses compétions internationales.

Pour une grande majorité des pays, l’équipe nationale est en quelques sorte identifiée. Ou sélectionnée si vous préférez. Ce qui veut dire que les différentes fédérations qui utilisent ce processus choisissent les athlètes qu’elles envoient représenter leur pays lors des évènements internationaux contrairement à certains autres pays, dont le Canada, où les représentantes doivent remporter le titre national.

Quels sont les avantages de faire une sélection? Pour les partisans de ce processus de sélection, ses avantages sont nombreux. De cette façon, on peut s’assurer de vraiment choisir nos meilleurs talents. Ces talents peuvent ensuite être mieux encadrés pour s’assurer de leur développement optimal. On peut alors concentrer nos ressources, tant sur le plan financier que sur le plan du personnel en place (entraîneurs), sur un nombre plus limité d’athlètes. Lorsque la Chine a remporté le Championnat mondial féminin en 2009 (la Chine est devenue membre de la Fédération mondiale de curling en 2002), celle-ci a fait la preuve hors de tout doute que ce processus de sélection avait ses avantages.

De plus en plus d’observateurs commencent à croire que le Canada devrait utiliser lui aussi un tel processus. De nombreux autres s’y opposent encore cependant. Le curling jusqu’à nouvel ordre était encore un sport amateur. Un sport amateur et un sport de participation. Comme mentionné ci-dessus, près de 700 000 personnes le pratiquent sur une base régulière au pays. Évidemment, elles n’ont pas toutes des ambitions olympiques, mais un grand nombre d’entre elles rêvent de porter l’unifolié un de ces jours dans une compétition internationale. Les divers championnats canadiens demeurent encore parmi les plus  grands évènements de curling au monde. Tant par leur niveau de compétition que par l’intérêt qu’ils génèrent chez les amateurs. Les essais olympiques, qui ont lieu tous les quatre ans, sont reconnus comme l’évènement le plus difficile à remporter au monde, plus difficile encore que la médaille d’or aux Olympiques. Alors, pourquoi priver les joueurs de leur rêve? Pourquoi priver les amateurs de leur spectacle favori? Pourquoi ralentir le développement du sport en général? Sous prétexte de monter à l’occasion sur la plus haute marche du podium? Le jeu n’en vaut pas la chandelle.

Un autre argument qu’il faut souligner est qu’à partir du moment où vous identifiez des athlètes et les placez dans un programme spécial, avec des ressources presque illimitées, ceux-ci ne perdent-ils pas leur statut d’amateur? La formation chinoise qui a remporté le titre mondial en 2009 avait toutes les caractéristiques d’une équipe professionnelle. Jennifer Jones et ses coéquipières qui représentaient le Canada en 2009, elles, sont rentrées au boulot le lundi suivant.

Heureusement, le monde du sport fait bien les choses parfois. Si l’Association canadienne avait à décider laquelle de ses formations elle choisirait comme formation d’avenir, si l’Association canadienne embarquait dans le même processus que plusieurs autres pays utilisent présentement pour sélectionner leur équipe nationale, il est fort à parier que Rachel Homan et son équipe seraient cette dite formation. On peut donc conclure qu’à partir de samedi, à Riga, le Canada aura donc obtenu le meilleur des deux mondes.

1. André Guide, prix Nobel de littérature en 1947