La 104e Coupe Grey nous a servi un rappel, un élément qu’il ne faut jamais perdre de vue : lorsque la finale du championnat est l’affaire d’un match, tout peut arriver.

Dans un tel contexte, ce ne sera pas toujours la meilleure équipe qui l’emportera, mais celle qui se sera avérée la meilleure cette journée-là. Dimanche, le Rouge et Noir d’Ottawa a été supérieur aux Stampeders de Calgary.

Et même si on dit que le football est un sport tactique et stratégique – semblable à une partie d’échecs, souligneront certains – ce sont l’intensité déployée, la robustesse et le désir qui dicteront bien souvent l’issue de la rencontre. On a vu à Toronto un Rouge et Noir affamé, particulièrement en première demie. Il ne fait aucun doute que cette hargne dans son jeu a donné le ton au match.

L’histoire de Henry Burris durant cette soirée forte en émotions ressort du lot. Rappelons-nous que le vétéran quart-arrière s’était fait mal à un genou durant la période d’échauffement. À ce moment, tout indiquait qu’il n’allait même pas participer à cette Coupe Grey.

Si j’avais eu un « ballon du match » à offrir à la fin de la rencontre, il serait allé d’une part au général vedette, mais aussi à l’équipe médicale d’Ottawa. Imaginez la situation de panique, à quelques minutes du match de championnat! On ne possède pas tous les détails sur la blessure, les traitements effectués et la gestion de la douleur, mais ils méritent néanmoins de chaudes félicitations pour les circonstances dans lesquelles ils ont dû travailler.

Le Rouge et Noir est sorti en lion

C’était plutôt difficile avant ce duel de ne pas percevoir les Stampeders comme étant les favoris. Personnellement, j’avais identité quelques facettes cruciales qui devaient pencher du côté du Rouge et Noir pour que celui-ci demeure dans le coup, à commencer par une performance solide lors du premier quart. Il était absolument nécessaire pour l’équipe négligée d’en ressortir avec la tête en-dehors de l’eau. Les hommes de Rick Campbell ont fait encore mieux que ça en s’imposant 10-7 après 15 minutes de jeu.

J’insiste sur l’importance de sortir en force car les Stamps avaient dominé leurs adversaires par le pointage de 158-38 au premier quart au cours de la saison régulière. Régulièrement, leurs rivaux étaient complètement sortis du match avant même d’atteindre le deuxième quart. Depuis 2012, lorsque la formation albertaine possédait les devants après 15 minutes, sa fiche était de 44 victoires et six revers. Voyant cette statistique, je me suis dit qu’Ottawa devait trouver un moyen de survivre au début de match. Ce fut mission accomplie.

Je voulais également voir le Rouge et Noir contrôler la possession du ballon. Ce mandat a été bien rempli, puisqu’il s’est retrouvé à l’attaque huit minutes de plus. Belle façon de limiter les dégâts face à l’excellent Bo Levi Mitchell!

Par ailleurs, je trouvais qu’il était impératif de créer un doute dans l’esprit des Stamps – soit à l’aide d’un gros jeu offensif ou d’un revirement – tôt dans la confrontation. Avec leur air d’invincibilité, ceux-ci avaient fait face à très peu d’adversité durant leur parcours des derniers mois. Il fallait donc les ramener sur terre, et inversement, faire en sorte que chaque membre du Rouge et Noir y croyait. À mon avis, c’est au deuxième quart que cela s’est produit.

En début de deuxième quart, sur la première séquence offensive des Stamps, un gros sac du quart sur Mitchell a forcé un dégagement. Peu de temps après, l’échappée du retourneur Roy Finch a fragilisé encore un peu plus les champions du calendrier régulier, surtout lorsque le Rouge et Noir a concrétisé le revirement en inscrivant un touché.

Mais le Rouge et Noir n’allait pas s’arrêter là. Sur la possession suivante des Stamps, une interception réalisée aux dépens du joueur par excellence de la saison donnait deux pouces et une vingtaine de livres supplémentaires à toute l’équipe tant le momentum créé était immense.

On a réussi à déranger Mitchell

Statistiquement, ce qu’Ottawa a réussi à faire au point de vue défensif est plutôt admirable. Durant 18 matchs de saison régulière, les Stampeders avaient été victimes de 26 revirements. À la Coupe Grey uniquement? Cinq. Avant les éliminatoires, 20 sacs du quart avaient été concédés. Le Rouge et Noir en a réussi trois dimanche. Finalement, Bo Levi Mitchell avait été victime de huit interceptions durant les 17 parties qu’il a disputées en 2016. Lors de la finale du football canadien, Ottawa l’a intercepté trois fois.

Bo Levi MitchellSi l’on continue de mettre le tout en perspective, mentionnons qu’il avait décoché 80 passes face au Rouge et Noir durant leurs deux duels de la campagne. Mitchell avait été victime d’un seul sac et n’avait été victime que d’une seule interception. Au plan des ratios, c’est le jour et la nuit!

Finalement, le Rouge et Noir est sorti du match de la Coupe Grey avec un ratio favorable de +2 au chapitre des revirements. C’était pourtant une facette qui faisait défaut toute l’année (ratio de -10) pour les représentants de l’Est. À l’opposé du spectre, les Stampeders avaient maintenu un superbe ratio de +19 durant la saison.

J’ai aimé qu’on réussisse à déranger Bo Levi Mitchell tant physiquement – avec des sacs du quart opportuns – que mentalement – avec un bon mélange de stratégies diversifiées. L’arsenal au complet a été sorti : de la pression à trois, quatre, cinq et même six. De la couverture homme à homme suivie de couverture de zone. Bref, on a constamment tenté de varier les stratégies et cela a payé, car le quart des Stamps est tombé dans le piège à quelques reprises. Il a fait quelques prises de décisions carrément douteuses pour un quart de son calibre, en anticipant mal les types de couvertures, notamment.

Et pour la première fois en 2016, on a vu un langage corporel empreint de frustration chez Bo Levi Mitchell. On voyait que le Rouge et Noir était en train de le déranger, chose qui est très rare.

Offensivement, le taux de réussite sur deuxième essai contre la meilleure défensive de la LCF allait s’avérer absolument crucial. Pas le choix d’exceller afin de soutenir les séquences. On peut vraiment affirmer qu’à ce chapitre, le Rouge et Noir a été extraordinaire dans son exécution, en faisant mouche sur 22 de ses 28 tentatives (79 % de taux de réussite). Je ne me souviens pas d’avoir vu une telle efficacité, et encore moins dans un match de championnat.

Un autre chiffre déterminant : l’exécution une fois rendu dans la zone payante. À cet égard, le Rouge et Noir s’est retrouvé cinq fois à l’intérieur de la ligne de 20, et ce fut la perfection. Cinq touchés! Tous ces chiffres sont probants dans l’analyse d’un match.

Hughes et Law complètement muselés

La ligne offensive a aussi fait un travail remarquable. Malgré la présence de jeunes bloqueurs (dont Jason Lauzon-Séguin, le choix de première ronde), seulement un sac a été concédé en 47 jeux de passes. En saison régulière, la ligne à l’attaque concédait un sac à toutes les 14 passes. Pourtant, on était confronté à Charleston Hughes et Cordarro Law, deux très bons chasseurs de quarts. Ces deux-là n’ont récolté qu’un maigre plaqué chacun. Ces deux joueurs de premier plan sont passés tout près de ne pas paraître sur la feuille de statistiques! Assez spectaculaire.

Je dois aussi saluer les jeux appelés par le coordonnateur offensif du Rouge et Noir, Jaime Elizondo. Celui-ci a choisi plusieurs jeux qui permettaient à Burris de se débarrasser du ballon en vitesse. Avec les stratégies de chassé-croisé adoptées, la diversité dans le champ-arrière et le mouvement des receveurs, la défense adverse était figée et ne savait plus où donner de la tête. La demi-seconde qu’elle prenait pour réagir lui a coûté cher sur de nombreux jeux.

Nous étions tous un peu surpris de voir le Rouge et Noir prendre une avance aussi proéminente dans le match. À un certain point, sa priorité était de 20 points (27-7). C’est considérable lorsque l’on considère que les Stampeders n’avaient pas tiré de l’arrière par plus de 15 points en saison régulière.

On ne savait pas comment ce groupe de joueurs allait réagir à un écart de points aussi important, mais force est d’admettre qu’ils ont fait preuve de résilience en deuxième demie, et c’est ce qui nous a donné une fin de match spectaculaire. Bien des équipes auraient abandonné devant cette situation aussi déplaisante qu’inconnue.

Un échappé d’Ottawa recouvré par la défense albertaine a mené à une séquence où Calgary a inscrit 16 points consécutifs pour ramener le pointage à 27-23. Et là, on avait un match de football.

Dickenson s'en voudra longtemps

Évidemment, le fameux deuxième essai à la porte des buts en toute fin de quatrième quart alors que le Rouge et Noir menait 33-30 va faire jaser encore longtemps. Les Stamps avaient la chance d’inscrire un touché – selon toute vraisemblance victorieux – et ont essayé de prendre leurs rivaux par surprise.

Il s’agit du genre de jeu qui suscite énormément de réactions. S’il réussit, on glorifie toutes les personnes impliquées et on en salue l’audace. « Quel cran! », se serait-on exclamé. S’il échoue, on manifeste notre désaccord. C’est toujours plus facile de s’y opposer après les faits. Il demeure néanmoins que le coordonnateur Dave Dickenson a mentionné qu’il regrettait d’avoir opté pour cette sélection de jeu.

Dave DickensonLorsqu’on s’y arrête, c’est effectivement fatigant de constater que le meilleur joueur du circuit en 2016, et le porteur de ballon élu joueur canadien par excellence, un athlète de 260 livres, sont demeurés sur les lignes de côté pour ce jeu d’une importance sans précédent.

J’ai personnellement pour opinion qu’il faut envisager l’option que l’équipe adverse réalise le gros jeu. Mais tant qu’à en arriver là, pourquoi ne pas aller à la guerre avec ses meilleurs éléments? À mon avis, Dickenson s’est truqué lui-même en voulant être imprévisible.

Jerome Messam ne connaissait pas un grand match, mais les choses se replaçaient pour lui en deuxième demie. D’ailleurs, ses deux dernières courses du match – en situation de deuxième et une verge à franchir – avaient rapporté un total de 17 verges. Il avait aussi gagné six verges sur le premier essai menant au dernier jeu offensif en temps réglementaire.

Rappelons-nous qu’Andrew Buckley, le troisième quart, est le spécialiste des faufilades du quart. Il a trouvé la zone payante huit fois sur un tel jeu en saison régulière, et une fois au début du quatrième quart, dimanche. Tous ces majeurs sont marqués de façon identique : à l’aide d’un jeu sur lequel il se déplace vers l’extérieur.

Cette fois, on est revenus avec Buckley et la même formation, à une exception près. Cette fois-ci, il y avait une option de passe. On a voulu surprendre Ottawa avec un jeu jamais tenté jusque-là. Chapeau donc au Rouge et Noir, qui ne s’est pas fait surprendre par la variante. Les receveurs étaient surveillés, et Buckley n’a pas eu le choix de courir. Ainsi, le plaqué d’Abdul Kenneh est venu sauver les meubles, forçant Calgary à tenter un court botté de précision pour aller en prolongation. C’est intéressant car c’est ce même Kenneh qui avait quelques instants auparavant écopé d’une pénalité pour obstruction. Une infraction qui avait permis aux Stampeders de s’avancer à la ligne de huit du Rouge et Noir.

Certains seront tentés de dresser un parallèle entre ce jeu marquant et celui qui avait permis aux Patriots de la Nouvelle-Angleterre de triompher des Seahawks de Seattle au SuperBowl 49. La différence est toutefois que Russell Wilson avait eu la chance de faire la différence en décochant la dernière passe. Marshawn Lynch était sur le terrain lui aussi. Quand on y pense, ce n’est pas tout à fait pareil.

Un exemple à suivre dans la LCF

En conclusion, je lève mon chapeau à l’organisation du Rouge et Noir d’Ottawa. Des propriétaires jusqu’au bas de l’organigramme, c’est un modèle à suivre dans la LCF. Et dire qu’on a construit ça en seulement trois ans.

Dans la LCF, certaines qualités sont plus importantes que d’autres pour une équipe. La première est de détenir un quart-arrière d’élite. Cette case était cochée pour Ottawa avec Burris et Trevor Harris. La seconde est la qualité des joueurs canadiens. À cet égard, Marcel Desjardins et son groupe ont fait un boulot fabuleux au repêchage et dans la signature de joueurs autonomes.

Dans un circuit où on oblige les clubs à aligner au minimum sept partants canadiens sur un total de 24, le Rouge et Noir en a habillé un total de 10 à la Coupe Grey. Et quand on ajoute le centre-arrière Patrick Lavoie à l’équation, on avait 11 partants d’origine canadienne. C’est à l’honneur du Rouge et Noir, et ça nous rappelle à quel point il y a de la profondeur en talent bien de chez-nous.

Il y a tellement de joueurs américains disponibles qu’à un certain moment, c’est le recrutement des joueurs canadiens qui peut s’avérer être la différence. Et chez le Rouge et Noir, dans cette facette, on est en business!

J’aurais maintenant envie de lancer un défi au Rouge et Noir : sachant qu’il se fera l’hôte du match de la Coupe Grey en 2017, pourquoi ne pas défendre son championnat sur son propre terrain?

* propos recueillis par Maxime Desroches