Peut-on vraiment se surprendre que le dossier James Harrison ait causé autant de remous durant la dernière semaine?

Les nouvelles concernant le vétéran secondeur extérieur ont défrayé la manchette une première fois lorsque les Steelers de Pittsburgh lui ont indiqué la sortie le 23 décembre, puis une deuxième, de manière beaucoup plus significative, lorsque les Patriots de la Nouvelle-Angleterre l’ont ajouté à leur effectif, quelques jours plus tard.

Ç’a soulevé les passions et pavé la voie à de nombreuses discussions animées entre partisans, notamment en raison de la grande rivalité qui anime les affrontements entre ces deux équipes. Quand un joueur possédant l’expérience de Harrison se joint au camp ennemi, ça fera toujours jaser dans les chaumières.

Pourtant, en regardant la situation froidement, force est d’admettre que ce genre de mise sous contrat se produit fréquemment dans un calendrier de la NFL. Ce n’est pas rare pour un athlète d’affronter un ancien coéquipier tellement il y a de mouvements de personnel d’une année à l’autre, et même d’une semaine à l’autre dans cette ligue.

Il est facile d’analyser cette situation en surface et d’affirmer que les Patriots ont pris cette décision en se régalant devant la perspective d’avoir accès à toutes les connaissances que possède Harrison relativement au livre de jeux des Steelers.

Pour ma part, même si je crois que c’est une des facettes qui a pu les convaincre de lui octroyer une chance, je suis d'avis que ça demeure néanmoins une simple partie du casse-tête.

La théorie de l’espionnage est une bien belle histoire, mais en s’arrêtant sur la position à laquelle joue James Harrison et la situation actuelle des Pats, il y a certainement un besoin criant auquel il peut contribuer à répondre. Au cours des derniers mois, l’extérieur de la ligne défensive a été une véritable chaise musicale en Nouvelle-Angleterre. On connaît des ennuis à trouver des joueurs fiables à cette position.

Des départs et des expériences ratées

Après la conquête du Super Bowl l’an dernier, Chris Long et Jabaal Sheard ont pris le chemin des Eagles de Philadelphie et des Colts d’Indianapolis respectivement. Rob Ninkovich, un vétéran qui apportait de la stabilité à l’unité, a opté pour la retraite au début du camp. L’expérience Kony Ealy, acquis des Panthers de la Caroline, n’a guère fonctionné en début de saison. Même son de cloche avec Cassius Marsh, arrivé des Seahawks de Seattle, qui n’a pas répondu aux attentes lui non plus. Et finalement, Derek Rivers, un choix de troisième tour au repêchage de 2017, s’est déchiré un ligament du genou avant même de pouvoir jouer un match.

Tout cela mis ensemble a forcé les Patriots à faire jouer des secondeurs à la position d’ailier défensif. On le faisait avec Dont’a Hightower avant qu’il ne se blesse, et on le fait de temps à autre avec Kyle Van Noy. Bref, on cherche des solutions pour pallier le manque de profondeur sur le coin de la ligne, et c’est dans cette optique que l’ajout de Harrison est logique.

J’en entends certains d’entre vous demander : « Mais s’il n’était pas assez bon pour la défense des Steelers, en quoi peut-il aider les Patriots? » Ce à quoi je réponds qu’on le découvrira au cours des prochaines semaines.

Entre-temps, on peut se rappeler que Bill Belichick excelle lorsqu’il s’agit d’extraire le meilleur de ses joueurs. Il parvient à utiliser les forces de ceux-ci et s’arrange pour camoufler autant que possible leurs faiblesses. Même à 39 ans, Harrison peut encore générer de la pression sur le quart et ancrer le point d’attaque lors des courses sur le périmètre.

Bill Belichick et James HarrisonJ’ai été étonné de constater en observant les statistiques des Pats qu’ils figuraient malgré tout au 12e rang pour le nombre de sacs du quart réussi (ils en totalisent 38). Devant de tels chiffres, je n’ai pas le choix de lever mon chapeau aux entraîneurs, qui ont fait des petits miracles en l’absence de joueurs de grand talent. Pas moins de 15 joueurs ont obtenu au moins un sac!

Le meilleur au sein de l’équipe est Trey Flowers, avec une récolte de 6,5 sacs, ce qui lui vaut le 42e rang dans la ligue. À titre d’exemple, les Jaguars de Jacksonville ont quatre joueurs dans leur formation qui devancent Flowers à ce chapitre. Les Panthers, eux, en comptent trois.

Son coéquipier Van Noy en a réalisé 5,5, lui qui pourtant est un secondeur transformé à qui on demande de jouer comme ailier défensif à l’occasion.

Tout cela pour dire que les Pats peuvent certainement s’améliorer à ce chapitre malgré les résultats surprenants obtenus dans les circonstances.   

Frais et dispo malgré son âge

Les Patriots vont probablement confier à Harrison un rôle au sein de quelques formations défensives bien précises, et ajuster son utilisation en fonction du jeu, du nombre de verges à franchir et des forces des joueurs offensifs adverses. Dans un tel contexte, le vétéran peut aider les Patriots, surtout qu’il a les jambes fraîches, n’ayant disputé qu’un maigre total de 40 jeux durant les 16 premières semaines d’activités. D’où son insatisfaction du rôle auquel il était relégué au sein des Steelers.

Il suffit de voir ses vidéos d’entraînement sur les médias sociaux pour constater à quel point il est encore dans une forme exemplaire. C’est complètement fou de voir cet athlète être encore à ce jour aussi explosif en salle de poids et altères!

Une autre raison pour laquelle je refuse de voir cette signature comme une simple tactique d’espionnage est la fiche de Tom Brady et des Pats face aux Steelers dans les dernières années. Force est d’admettre que même sans les « informations » que détient Harrison, la Nouvelle-Angleterre s’est admirablement bien débrouillée contre Pittsburgh.

En saison régulière, Brady affiche un dossier de 8-2 contre les Steelers. En éliminatoires, sa fiche est parfaite : trois gains et aucun revers. La dernière défaite remonte à 2011, ce qui signifie que les Patriots ont remporté les cinq derniers duels.

À travers tout ça, il ne faut pas perdre de vue son poste ne lui est aucunement garanti. Si l’expérience n’est pas concluante, qu’il ne livre pas la marchandise ou que sa présence est une distraction, il pourrait très bien être libéré avant même que les deux équipes aient la chance de croiser le fer en matchs d’après-saison. Il n’y a absolument rien de coulé dans le béton.

L’expérience de James Harrison en matchs éliminatoires mérite cependant d’être soulignée. Il possède 19 rencontres derrière la cravate, et durant ces rencontres, il a cumulé un total de 11 sacs du quart.

Harrison peut aider face à Baltimore ou KC

Et quand on jette un œil sur les possibilités de confrontations des Patriots dans le calendrier éliminatoire, on s’aperçoit rapidement que les Ravens de Baltimore sont un adverse potentiel. Y a-t-il un joueur à travers la ligue qui connaisse mieux Joe Flacco et son attaque que Harrison? Dans sa carrière, Harrison a enregistré 19 sacs du quart contre les Ravens... Ce n’est pas rien!

Évidemment, le rendez-vous avec les Steelers est possible – en finale d’association – mais il y a également dans le portrait les Chiefs de Kansas City. Si ceux-ci gagnent leur premier match éliminatoire, ils devront se rendre à Foxborough pour s’y mesurer aux Patriots. C’est intéressant car Harrison a donné énormément d’ennuis aux Chiefs ces dernières années.

L’année dernière en match éliminatoire, il avait obtenu un sac en travaillant du côté du bloqueur à gauche Eric Fisher, en plus de forcer une pénalité pour avoir retenu en toute fin de match, un jeu qui avait anéanti les chances des Chiefs de l’emporter. Puis cette année, Harrison a joué 15 de ses 40 jeux face à ces mêmes Chiefs, récoltant un autre sac du quart pour aider à sceller l’issue du match.

Je comprends que les fervents du mouvement « anti-Patriots » vont monter aux barricades chaque fois que leur nom et le mot « espionnage » sont prononcés dans la même phrase. Évidemment, Harrison connaît la terminologie utilisée par Mike Tomlin, les appellations, les tendances du coordonnateur pour les ajustements. Il connaît même la ligne à l’attaque et ses systèmes de blocage, ainsi que les habitudes de Ben Roethlisberger, puisqu’il s’est entraîné avec eux à répétition.

C’est donc vrai que les Steelers vont devoir changer leur nomenclature, et peut-être même certains signaux, si on en vient à affronter les Patriots dans quelques semaines. Mais ce n’est pas comme si Harrison pouvait arriver avec quelque chose que Belichick n’a jamais vu auparavant.

À ce que je sache, les bandes vidéo de matchs sont disponibles pour tout le monde. Toutes les équipes s’étudient de fond en comble et envoient des éclaireurs dans les stades adverses quelques semaines avant les matchs afin de récolter un maximum de connaissances.

Tout le monde cherche des clés en révisant les séquences vidéo. Un joueur qui vend la mèche, par exemple en étant paresseux dans sa technique ou en faisant un geste quelconque qui trahit le jeu à venir. Ça peut aller jusqu’à un tic, comme un receveur qui joint les mains et ajuste ses  gants à la ligne d’engagement lorsque la passe va être décochée en sa direction.

Avec de tels enjeux, il y a des gens qui sont payés pour faire pratiquement que ça!

Sachant que les équipes vont une étude aussi approfondie de leurs rivaux, y a-t-il vraiment une tonne de nouveaux détails jamais observés que peut procurer Harrison à sa nouvelle équipe?

Espionnage versus paranoïa

Dans un monde où le spectre de l’espionnage industriel sera toujours présent, la paranoïa sera toujours présente aussi. C’est pourquoi les entraîneurs, devant la peur que des gens du camp adverse utilisent des jumelles pour tenter de livrer sur les lèvres, se sont mis à cacher leur bouche lorsqu’ils donnent leurs instructions.

Parmi les équipes qui se servent encore des signaux, on voit souvent trois instructeurs côte-à-côte, de manière à ce que l’équipe adverse ne puisse déduire lesquels sur le lot sont réellement ceux qui s'appliquent au jeu à venir.

Devant la crainte de voir les employés de l’autre équipe obtenir des schémas de jeux laissés sans surveillance dans les bureaux, il peut même arriver que l’équipe visiteuse y laisse des informations erronées par rapport au plan de match afin de brouiller les pistes. Eh oui, ça va jusque-là!

En conclusion, je réitère que je comprends les arguments des gens qui adhèrent à la théorie de l’espionnage dans le dossier Harrison. Mais pour ma part, je crois que celle-ci ne saurait expliquer à elle seule pourquoi les Patriots se sont tournés vers lui, à deux semaines des éliminatoires.

* propos recueillis par Maxime Desroches