Après avoir été libéré par les Bears de Chicago vendredi, Mathieu Betts a appris hier qu’il n’était retenu au sein de leur équipe d’entraînement.

 

Il vit certainement une grande déception, mais je tiens à souligner le parcours exceptionnel de ce jeune Québécois de 24 ans.

 

Je ne connais pas quelle est la procédure d’embauche de tous les métiers qui existent dans le monde entier et dans toutes les sphères d’activités, mais quand on pense à la NFL, je ne sais pas s’il y en a d’aussi exhaustives que celle-là.

 

Mathieu Betts vient en quelque sorte de conclure une entrevue de 12 mois. Je me demande s’il y a bien d’autres employeurs qui passent des candidats en entrevue pendant aussi longtemps.

 

L’évaluation a commencé l’an passé pour le début de saison du Rouge et Or de l’Université Laval, en 2018. Toutes les bandes vidéo y sont décortiquées. Dans le langage du football, c’est mettre son CV sur caméra. Ce sont les images sur bandes vidéo qui vont souvent attirer l’attention, c’est en les regardant que ça peut motiver à envoyer des recruteurs sur place. Si tu n’as pas de bandes vidéo, ça n’aide pas...

 

Pendant la saison du Rouge et Or, il y a de nombreux entraînements en plus des matchs et tu commences à recevoir des visites de recruteurs. Ils veulent confirmer des choses qu’ils ont vues sur les bandes vidéo. Quelque chose a piqué leur curiosité. Quand tu viens voir le gars en personne, il y a ce qu’on appelle le test du coup d’œil (ou le eye ball test) : on regarde le gabarit du joueur. En fait, la NFL, c’est comme un encan animalier. On veut voir la grandeur, la grosseur, la morphologie, bref l’apparence en personne. En même temps, quand tu vas voir les entraînements, ça te permet de surveiller l’éthique de travail du joueur. Ça te permet de lui parler et de voir sa personnalité. C’est le premier contact, on peut commencer à se faire un portrait du jeune homme.

 

Après la saison, dans le cas de Matthieu Betts et de plusieurs joueurs qui sont sollicités par la NFL, tu n’as pas beaucoup le temps de te reposer parce que tu commences les entraînements en vue de ta participation à un match étoile universitaire. Betts s’est donc retrouvé au East-West Shrine Bowl, qui a eu lieu en janvier 2019. Normalement, après la saison, tu prends le temps de guérir des bobos, de finir ta session d’école et de te reposer physiquement et mentalement. Betts, lui, a continué les entraînements parce qu’ils s’en allaient aux États-Unis pour pratiquer et jouer contre des joueurs de premier plan en première division. Il a testé un nouveau football américain avec les règlements qui viennent avec, c’est un gros défi. Encore là, il y a un paquet d’entrevues et de tests avant le grand match. Tout est filmé, tout est épié. C’est tellement fou la NFL au niveau de l’évaluation. Tu ne peux pas relaxer : que ce soit pendant l’entraînement, l’échauffement et même tes étirements, on t’observe. Il y a beaucoup de pression.

 

Évidemment, après avoir vécu cette expérience, ce n’est pas encore le temps de se reposer. Vient ensuite le pro day, qui se déroulait à l’Université Laval avec plusieurs tests physiques effectués devant de nombreux recruteurs de différentes équipes. Encore là, il y a un niveau de stress. Tu es constamment sur les nerfs.

 

Après le pro day, le stress grandit en marge du repêchage de la NFL et tu espères entendre ton nom y être prononcé. Si tu n’es pas repêché, tu espères être inscrit sur la liste des équipes pour être un joueur autonome prioritaire, ce qui a été le cas de Betts. Immédiatement après le repêchage, les Bears de Chicago l’ont désigné comme joueur autonome prioritaire, donc il était au moins en mesure de déterminer au camp de quelle équipe il allait participer.

 

Après le repêchage d’avril, il y a des mini-camps des recrues, une sorte de camp d’orientation. Tu vas à Chicago pour rencontrer les entraîneurs et d’autres recrues, tu visites les installations, tu commences à pratiquer. On te dit ce qu’on attend de toi, quelles sont les choses à améliorer. Ça te donne une idée de la façon de faire des Bears. Il y a également des activités d’équipe organisées, comme d’autres entraînements sans équipement.

 

Ensuite, comme si ce n’était pas assez, après une petite semaine de repos, voilà le vrai camp d’entraînement qui commence et qui durera six semaines avec du football matin, après-midi et soir. Il y a des réunions à n’en plus finir et des entraînements à n’en plus finir, en plus de quatre matchs préparatoires.

 

Au bout de 12 mois, tu apprends si tu as le boulot ou pas. C’est assez particulier. C’est un cheminement qui est extrêmement taxant physiquement et mentalement. En gros, tu te fais dire si tu as la chance de réaliser ton rêve ou si tu dois mettre une croix là-dessus pour l’instant. C’est beaucoup de sacrifices et d’efforts. Évidemment que c’est très décevant quand tu n’atteins pas ton objectif de faire l’équipe ou du moins de rester dans l’entourage de l’équipe. Tout ça pour dire que c’est ça la réalité de la NFL. Ce n’est pas évident, c’est très compétitif.

 

Dans le cas de Betts, la marche entre le football universitaire et la NFL est énorme, on ne se le cachera pas. Ajoutons à ça le fait qu’il a dû changer de position. Ailier défensif, il a surtout été employé comme secondeur extérieur. C’était toute une commande. Quand je regardais ses jeux, ça paraissait que c’était un niveau plus élevé et qu’il n’avait pas l’air aussi à l’aise à sa nouvelle position. Ça fait beaucoup de changements et d’apprentissages. Les positions de départ sont différentes, soit debout avec deux points d’appui plutôt qu’à une main au sol avec trois points d’appui, et les techniques sont différentes aussi. Parfois, le secondeur extérieur doit reculer sur les couvertures de passe, chose qu’il ne faisait pas vraiment avant.

 

Malheureusement, ça n’a pas fonctionné pour lui. Connaissant la personne, je sais que c’est quelqu’un qui a une attitude irréprochable et qui a donné tout ce qu’il pouvait. C’est le genre de joueur avec qui les entraîneurs tombent en amour parce qu’il applique le plan à la lettre et qu’il a toujours la bonne attitude, il va toujours à 100 miles à l’heure sur tous les jeux. Force est d’admettre que la marche était trop grande à gravir cette fois.

 

C’est décevant, mais je pense personnellement que c’est le genre de cheminement qui fait en sorte que tu en apprends beaucoup sur toi-même. Tu ressors de là beaucoup plus fort mentalement parce que ce sont des épreuves qui ne sont pas faciles. Il y a des matins où tu te lèves et tu t’ennuies de ta mère parce que c’est dur. C’est sûr qu’il va devenir un meilleur joueur de football mentalement et techniquement. C’est sûr qu’il est déçu parce que c’était son rêve et qu’il a travaillé fort pour ça, mais pour l’instant, voyons quelles seront ses prochaines options. Il peut maintenant se tourner vers la LCF puisqu’il a été repêché par les Eskimos d’Edmonton. Rien n’empêche un jeune joueur de passer quelques années dans la Ligue canadienne et de tenter sa chance à nouveau dans la NFL dans le futur s’il en a encore envie.

 

J’en profite donc pour féliciter Mathieu Betts. Quand on regarde son cheminement universitaire et son cheminement au cours de la dernière année, c’est assez spectaculaire. Il y a de quoi être fier. C’est tout un accomplissement. S’il a le sentiment d’avoir fait de son mieux et d’avoir tout donné, c’est une victoire en soi. Il n’a pas obtenu le résultat qu’il voulait, mais en même temps, on ne sait pas ce que l’avenir va lui réserver. Cette situation peut faire de lui un meilleur joueur de football. Après tout ça, il n’y a pas grand-chose qui peut l’ébranler. C’est quelque chose qui peut être positif pour la suite de sa carrière.

 

 

* Propos recueillis par Audrey Roy.