« Je ne l’ai pas regardé au complet. Au début tu vois qu’il est vivant et à la fin, il ne respire plus. Je n’ai pas été capable de le regarder au complet. Il y a une grande tristesse en moi. De voir un homme perdre sa vie de manière aussi impuissante... Ma situation était complètement différente, j’ai eu la chance de parler à ma mère après, de continuer ma vie, mais lui, ça n’a pas fini de la même façon. »

Ce sont les paroles de Bokondji Imama, un Québécois de 23 ans qui joue pour le Reign de l’Ontario (en Californie) dans la Ligue américaine de hockey. Il raconte comment il a réagi à la suite du décès tragique et révoltant de George Floyd, tué par un policier du Minnesota.

‘Boko’ est le dernier hockeyeur à avoir fait les manchettes en raison des propos racistes dont il a été victime le 20 janvier dernier. Lors d’un match, Brandon Manning des Condors de Bakersfield a lancé des insultes pas très subtiles à l’attaquant Montréalais.

Après s’être excusé, le joueur des Condors s’est vu imposer une suspension de 5 matchs pour ses propos déplacés.

« C’est sûr que sur le moment quand c’est arrivé, j’étais un peu choqué, un peu surpris. Ça ne m’était jamais arrivé de cette manière-là. Est-ce que je me suis senti attaqué personnellement? Non, mais je savais que c’était pour être un autre événement qui allait être mauvais pour la cause qu’on essaie de combattre », relate Boko qui, bon prince, a accepté les excuses de son adversaire.

« Oui, il s’est excusé mais je pense qu’il n’avait pas vraiment le choix. Je lui ai même dit que c’était moi qui étais un peu désolé pour lui car c’est quelque chose qui va le suivre. Est-ce qu’il est raciste? Je ne penserais pas, mais c’est un accrochage qu’on ne peut plus se permettre. »

Imama a eu l’occasion de venger son honneur lors du premier match contre les Condors après les événements, en engageant le combat avec Manning.

Il précise que ce n’était pas un règlement de compte.

« Est-ce que je le déteste? Est-ce que j’ai quelque chose contre lui? Absolument pas! Mais si c’était juste de moi, je me serais battu avec lui à chaque match. C’est comme ça que je me sentais à ce moment-là. La raison pour laquelle il n’y a eu qu’un seul combat? Ma famille! Aussi, il y a plusieurs joueurs de ma couleur qui me suivent et suivent le hockey. Je ne voulais pas mettre en péril notre cause, notre image. Je ne voulais pas que les jeunes voient ça comme un exemple à suivre. La violence n’est pas toujours la solution. Mais c’est sûr que ça m’a fait du bien de me battre contre lui » précise-t-il avec un sourire dans la voix.

Ce qui l’a particulièrement touché c’est la réaction de ses amis et de ses coéquipiers.

« C’était intense. L’incident s’est passé en 2e période et quand le match a fini mon téléphone était remplis de textos. Des joueurs de la LNH, dont J.T. Brown, m’ont écrit. Mes coéquipiers étaient avec moi tout le long. Ça m’a fait du bien de voir qu’ils m’appuyaient comme ça.  Quand on les a affrontés quelques semaines plus tard, mes coéquipiers voyaient le match d’une façon différente. Ils étaient prêts à aller à la guerre! J’ai toujours eu une belle relation avec eux. Ils sont très familiers avec mes racines, mes parents sont nés au Congo en Afrique. Ce genre de support, ça fait vraiment du bien mais là, il faut prendre action face à ce genre de chose si on veut bénéficier d‘un changement. »

Le mouvement de dénonciation du racisme qui déferle sur les médias sociaux est nécessaire et important, mais ceux qui y sont touchés de près, espèrent que ce ne sont pas que des paroles en l’air. Qu’il y ait enfin comme le dit si bien Boko, un vent de changement au sein de la population.

« Certainement qu’il est temps pour une prise de conscience, je pense aussi que c’était le temps il y a plusieurs années. Il y en a qui vont te dire que maintenant ça changé. Oui ça changé un peu. Mais pas assez. Peut-être que ça pourrait changer davantage. J’espère que le monde va continuer d’avoir la même énergie et j’espère que ce ne sera pas un buzz d’une journée ou deux parce que souvent plusieurs événements arrivent et les gens vont n’en parler que quelques heures ou quelques jours et ensuite la vie continue comme si rien n’était. Donc là, j’espère qu’on va garder la même énergie et que la détermination des gens dans les réseaux sociaux va rester et que ça va être appliqué pour qu’on puisse grandir tous ensemble. Je pense aussi que ça va être bénéfique au hockey », m’explique Boko.

Depuis quelques jours, d’ailleurs, la planète hockey dénonce le racisme haut et fort. Les joueurs de la LNH se font entendre. Les Sidney Crosby, Shea Weber, Brendan Gallagher, Tyler Seguin, Jonathan Toews et plusieurs autres, publient des messages bien sentis sur Twitter.

« C’est exactement ça qu’on a besoin » précise l’ancien du Drakkar et des Sea Dogs de la LHJMQ. « Ce ne sont pas les noirs contre les blancs. C’est tout le monde contre le monde qui ne sont pas capables d’accepter qu’on soit tous une même race. Et de voir des gros noms comme ça donner leur appui, c’est exactement ce dont on a besoin. »

Imama se considère « chanceux » de n’avoir vécu que quelques incidents reliés au racisme.

« J’ai grandi dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce à Montréal qui est très multiculturel alors je n’ai rien vécu ici, mais c’est sûr qu’il y a eu des petits évènements quand j’étais à Los Angeles. Quand je conduis ma voiture là-bas, ça va arriver parfois que je me fais arrêter, ils font des « vérifications ». Ce sont des petits événements quand même assez mineurs, mais c’est comme ça, ça fait partie de tout le contexte un peu de profilage », relate-t-il comme si tout cela était normal.

Événements mineurs? Non, loin de là! Mais c’est la triste réalité des gens de couleurs. Une chose est certaine, Bokondji voit un peu d’espoir à travers les tragiques événements des derniers jours.

« C’est tellement malheureux qu’il a fallu que quelqu’un perdre sa vie pour qu’on réalise tous ensemble que cette situation ne peut plus durer. Moi, je suis prêt à tout pour contribuer à un changement, en espérant que ceux qui ont le pouvoir vont se lever et vont agir pour qu’on puisse suivre leur exemple », de conclure le sympathique joueur du Reign qui représente un beau modèle à suivre dans cette lutte au racisme, un combat dont le « buzz » doit durer jusqu’à la victoire sur ce fléau.