Ils ne sont vraiment pas drôles à regarder jouer. Certains le font même d'une manière inquiétante. Après une autre défaite, cette fois contre une équipe déjà éliminée, Michel Therrien et son groupe d'adjoints ont du pain sur la planche pour replacer sur les rails un groupe de joueurs qui, il n'y a pas si longtemps, faisait parler de lui à la grandeur de la ligue.

On voyait déjà le trophée Jack Adams dans la soupe de Therrien. P.K. Subban s'annonçait comme le successeur d'Erik Karlsson à titre de défenseur par excellence. Carey Price était un candidat logique au trophée Vézina. Brendan Gallagner était en lice pour le Calder. C'était l'extraordinaire remontée du Canadien qui lui valait pareille reconnaissance. Aujourd'hui, pendant que le Canadien glisse au classement, il ne faudrait pas s'étonner que tous ces lauréats potentiels glissent dans les intentions de vote des journalistes de la ligue. Car, si des joueurs sont mis en lumière grâce aux succès de leur formation, c'est normal qu'on regarde moins de leur côté quand leur équipe ne gagne plus.

Ce qui se passe est inquiétant parce qu'on est à la porte des séries. Si la même léthargie était survenue une quinzaine de matchs après le début de la saison, personne n'aurait appréhendé le pire, comme c'est le cas actuellement. En ce moment, le bouton de panique brûle les doigts d'une majorité de Québécois. Une ou deux autres défaites et le bouton sera bruyamment enclenché.

Même s'il nous arrive certains soirs de reconnaître l'équipe cafouilleuse de l'an dernier, il est encore temps de travailler sur ce qui ne va pas. Toutes les formations traversent des périodes difficiles dans le cours d'une saison. Pour le Canadien, cela ne pouvait se produire à un plus mauvais moment.

Heureusement que l'équipe n'est pas en train de se battre pour la huitième place. C'est plutôt ce qui pourrait se passer en séries qui donne la chair de poule. Après avoir semé beaucoup d'espoir en s'extirpant brillamment de la dernière place pour trôner au deuxième rang durant plusieurs semaines, il ne faudrait pas que les Rouges piquent du nez en première ronde. On ne leur pardonnerait pas pareil laisser-aller.

Il lui faut donc retrouver l'instinct de compétiteur qui lui a valu de connaître tant de succès depuis le match inaugural. Deux autres parties et une semaine intensive de préparation avant les séries devraient suffire à trouver des solutions. Si, évidemment, chacun y met du sien.

Le passé tend à prouver que tout est possible. On a assisté au même genre de scénario lors des deux dernières conquêtes montréalaises de la coupe Stanley. Pour ceux qui n'étaient pas là en 1986, l'équipe avait connu un dernier mois misérable en étant limitée à deux victoires en 12 parties, connaissant une série de six revers consécutifs au passage. Toe Blake, qui accompagnait l'équipe à titre d'observateur à l'époque, était si humilié par cet effondrement qu'il s'était demandé publiquement si le Canadien gagnerait un autre match. Deux mois plus tard, il y avait un défilé dans les rues de la ville.

Même état de panique en 1993. Jacques Demers, qui complétait sa première saison derrière le banc de l'équipe dont il avait tant rêvée, avait vu ses hommes perdre sept de ses 11 dernières rencontres. Sa nature positive l'a bien servi parce qu'il n'a jamais paniqué. Au contraire, il dit avoir tenté de convaincre ses joueurs que leurs déboires ne lui causaient aucune inquiétude.

«N'oubliez pas que nous avons ajouté deux autres revers contre les Nordiques en entrant dans les séries, rappelle-t-il. On parlait donc de neuf défaites en 13. Je me suis souvenu alors de l'expérience que j'avais vécue à ma première saison à Detroit. Nous avions perdu les deux premiers matchs des séries contre Toronto. Les entraîneurs ont tous leur façon personnelle de réagir. La mienne était d'exploiter les situations tendues d'une façon positive. Je parlais constamment aux joueurs. Je tenais à ce qu'ils sachent que j'avais encore confiance en eux. Je ne les laissais pas s'abreuver de pensées négatives.»

Finalement, est-il nécessaire de rappeler le formidable exploit de 1971 quand on n'accordait pas la moindre chance à l'équipe dirigée par intérim par Al MacNeil d'éliminer les Bruins au premier tour. Boston possédait une machine dévastatrice qui avait marqué un total record de 399 buts, soit 108 de plus que le Canadien. Les quatre premiers marqueurs de la ligue, six des huit premiers, étaient des Bruins. Ils avaient devancé Montréal par 24 points au classement. Le «miracle de 1971» a été suivi encore une fois par une coupe Stanley.

Est-ce que tout cela calme un peu vos appréhensions et vos craintes?

Carey Price n'est pas Patrick Roy

Quand on demande à Demers s'il était inquiet quand son équipe semblait incapable de s'en sortir dans les derniers moments de la saison, sa réponse est directe: «Pas du tout. En fait, je ne pouvais pas me permettre de l'être.»

Faut dire qu'il jouissait d'une arme qui avait déjà fait ses preuves : Patrick Roy. Ce qui est loin d'être le cas chez Therrien. Carey Price n'a encore rien prouvé en séries. Ses huit victoires et 15 revers n'ont rien de rassurant. En fait, il n'est pas encore devenu le gardien qu'on voyait en lui.

Price n'est plus un jeunot. Compte tenu de ses 25 ans bien sonnés et de l'expérience acquise dans la ligue depuis six ans, le moment est venu pour lui de faire une différence dans les séries. Il ne doit pas se satisfaire de bien jouer. Il doit gagner. S'il ne répond pas aux attentes encore une fois, les conséquences pourraient être désastreuses pour lui.

Au printemps de 1993, Demers savait ce que son atout premier pouvait lui apporter. Roy rebondissait toujours à la suite d'une performance chancelante. Therrien ne l'avouera jamais, mais Price ne lui inspire sûrement pas la même confiance. On le sent fragile entre les oreilles et ce n'est pas parce qu'il vient de perdre un match serré contre les Devils, sa cinquième défaite en six parties, qu'il est sorti du bois. On peut dire tout ce qu'on voudra de Price, son attitude mentale ne le place pas dans la même ligue que l'unique gardien à avoir remporté trois trophées Conn Smythe.

«Avant le début des séries 1993, je n'ai jamais dit que j'allais gagner ou perdre avec Patrick. J'ai déclaré que j'allais gagner avec lui», rappelle l'entraîneur devenu sénateur.

Demers savait qu'il ne remplacerait pas Roy, peu importe la situation. De son côté, il se pourrait que Therrien n'ait pas le choix. Si le Canadien commence les séries d'une façon toujours aussi désorganisée, l'entraîneur aura une décision difficile et risquée à prendre. Il devra se tourner du côté de Peter Budaj.

Price a déjà perdu sa place à Jaroslav Halak en séries. S'effacer devant Budaj bousillerait totalement son statut de joueur d'impact. Le Canadien se retrouverait finalement avec un gardien numéro un plutôt ordinaire, sans le moindre successeur en vue dans ses réserves.