En écrivant ma chronique sur la dernière victoire du Canadien, je n'ai pu m'empêcher de penser à mon ancien collègue Red Fisher, décédé vendredi, à 91 ans.

 

Le vénérable Red était un pince-sans-rire. Il aimait jongler avec l’ironie associée aux aléas des victoires inattendues et parfois non méritées; des victoires morales; des défaites honorables.

 

Je me demande ce qu’il écrirait sur la victoire de vendredi. Sur la saison désolante de son équipe. Car oui, le Canadien c’était à bien des égards son équipe. Une équipe qu’il a épiée quotidiennement à partir du moment où un affectateur du Montreal Star où il travaillait à l’époque l’a envoyé couvrir le grabuge qui venait d’éclater au Forum de Montréal.

 

Du grabuge qui s’est envenimé et qui a pavé la voie à la célèbre émeute du Forum, émeute qui a éclaté en guise de représailles à la suspension imposée aux dépens de Maurice Richard par le président de LNH Clarence Campbell. Émeute qui, aux yeux de plusieurs historiens, a marqué le début de la Révolution tranquille qui a permis au Québec et aux Québécois de s’émanciper. Ou de commencer à le faire...

 

De l’émeute du Forum au printemps 1955 jusqu’au moment où il a pris sa retraite alors qu’il était encore tout jeune à 85 ans, Red Fisher a été le témoin privilégié de 17 des 24 conquêtes de la coupe Stanley du Tricolore.

 

Dix-sept conquêtes en 57 ans de carrière!

 

Dire que ça fera 25 ans le printemps prochain que Guy Carbonneau a été le dernier capitaine à soulever le précieux trophée. Bien malin celui ou celle qui peut prédire, avec un semblant de précision, combien de temps encore Montréal devra patienter avant de célébrer un autre défilé de la coupe Stanley.

 

Je serais surpris que l’un ou l’autre des joueurs du Canadien ait déjà lu un texte signé par Red Fisher. Je serais même surpris qu’un seul joueur du Tricolore sache qui était Red Fisher. Encore moins qu’il soit en mesure de reconnaître la stature de ce journaliste parfois bourru, qui s’amusait à intimider les jeunes scribes qui arrivaient autour de lui en refusant de leur adresser la parole comme il refusait de parler aux joueurs et entraîneurs recrues, mais qui une fois cette barrière franchie devenait affable et aimait raconter son histoire, celle de son équipe et des grands joueurs qui ont défilé dans un vestiaire où il était maître derrière Dick Irwin, Toe Blake ou Scotty Bowman.

 

Peut-être même devant...

 

Red Fisher lèverait les deux mains au ciel et lancerait un regard de feu à quiconque oserait prétendre que le Canadien a gagné vendredi soir pour saluer son départ.

Un dernier hommage pour Red Fisher

 

Je crois même qu’il serait offusqué qu’une si mauvaise équipe salue un si grand journaliste. Un journaliste qui affichait et respectait des principes rigides. Comme celui de remettre son veston du Temple de la renommée du hockey alors que les bonzes du Hockey Hall of Fame ont décidé de confiner les journalistes dans un rôle secondaire de simples invités au Temple. Un affront que le vieux Red n’a jamais prisé. Qu’il n’a jamais accepté.

 

Mais peu importante que l’édition actuelle du Canadien n’ait rien à voir avec les grands clubs qui ont mis en vedette les Richard, Blake, Lach, Geoffrion, Béliveau, Moore, Savard, Dryden, Lafleur, Robinson, Lapointe et autres joueurs qui étaient aussi bons avec la rondelle que Red Fisher l’était avec les mots, il est malgré tout de bonne guerre que le Canadien ait gagné hier.

 

Comme vous me l’avez lancé si souvent en quittant la galerie de presse après un match du Canadien, c’est à mon tour de vous lancer amicalement, chaleureusement et respectueusement :

 

« Bonsoir! Bonsoir Red! Bonsoir M. Fisher. »