De la France au Centre Bell : la destination logique d'un naturel
Canadiens jeudi, 25 févr. 2021. 07:40 dimanche, 15 déc. 2024. 04:25MONTRÉAL – « On a joué ensemble, on a coaché ensemble... et on a gagné ensemble! », résume Éric Raymond lorsqu’on l’aborde au sujet de la relation qui l’unit à Dominique Ducharme.
Les deux hommes sont des complices de longue date. Ils se sont croisés pour la première fois au milieu des années 1990. Raymond, alors un fringant gardien de but dans la jeune vingtaine, est arrivé avec le Blizzard de Huntington, une équipe de la ECHL, au moment où Ducharme s’apprêtait à quitter. Ils ont été coéquipiers pendant 13 parties, puis leurs chemins se sont séparés.
Quatre ans plus tard, le hasard a voulu qu’ils se retrouvent au club d’Anglet, en France.
« On est devenus chums, ça n’a pas été long. Dom, c’est le genre de gars, si t’as vingt joueurs dans l’équipe, les vingt l’aiment. C’était pas difficile de s’entendre avec lui. Entre Québécois, on passait pas mal de temps ensemble. »
Les dirigeants d’Anglet savaient qu’ils avaient un bon joueur sous la main en Ducharme, qui avait préalablement connu des saisons de 105 et 141 points en troisième division. Mais il a fallu des circonstances imprévues pour qu’ils découvrent la véritable portée de son potentiel.
C’est en effet dans le championnat français, dans une petite ville plus reconnue pour ses écoles de surf que son équipe de hockey, que le nouvel entraîneur-chef du Canadien de Montréal a jeté les bases de sa deuxième carrière.
« Notre coach était tombé malade, raconte Éric Raymond. On ne savait pas quand il était pour revenir, l’équipe était dans une mauvaise position. Dom avait pris l’équipe en charge avec Bob Ouellet, le père de [l’actuel capitaine du Rocket de Laval] Xavier. Je ne me rappelle pas exactement comment ça s’était décidé, mais c’était la logique. Avec le respect qu’il avait des autres joueurs, c’était unanime. Et tu le voyais, déjà à cette époque, qu’il avait une bonne tête de hockey et qu’il savait où il s’en allait. Ce n’était pas quelque chose de planifié, mais je crois que ça lui a donné une certaine piqûre. »
Ducharme a quitté l’Europe après sa deuxième saison à Anglet. Il s’est engagé avec une équipe senior de Joliette, sa ville natale, et s’est inscrit à l’Université du Québec à Trois-Rivières afin d’obtenir une équivalence du diplôme en enseignement de l’éducation physique qu’il avait décroché durant sa carrière de quatre saisons à l’Université du Vermont.
L’entraîneur des Patriotes de l’UQTR, Jacques Laporte, était un ami de longue date de la famille Ducharme. Il avait dirigé Stéphane, le frère cadet de Dominique, au niveau junior. Ses liens avec Martin St-Louis et Éric Perrin l’avaient aussi incité à multiplier les allers-retours à Burlington, où les Ducharme étaient des spectateurs réguliers.
Laporte avait perdu un adjoint après la conquête du championnat canadien l’hiver précédent. Quand il a vu que Ducharme était rentré au bercail, il l’a invité à se joindre à son équipe d’entraîneurs. L’offre a été acceptée.
« C’était la première fois qu’il coachait, mais tu voyais qu’il était doué, qu’il était voué à avoir du succès. C’était en lui, avait remarqué Laporte. Oui, il était passionné. Oui, il était travaillant. Oui, il connaissait le hockey. Mais sa façon d’amener tout ça aux joueurs, je me disais, ‘wow!’. Ça faisait 20 ans que je coachais et il m’en apprenait à ce niveau-là. »
« Être » avant « paraître »
Les journalistes affectés à la couverture du Canadien ont eu leur premier contact avec le successeur de Claude Julien mardi après-midi, peu après l’arrivée de l’équipe à Winnipeg. Ils ont pour la plupart obtenu des réponses directes et franches, mais souvent brèves et monotones.
« Ce n’est pas Bob Hartley ni Joël Bouchard! » avait prévenu Laporte en riant quelques minutes auparavant.
Mais ceux qui le connaissent le claironnent d’une même voix : Dominique Ducharme est la preuve que derrière un homme de peu de mots peut se cacher un grand communicateur.
« Il n’est pas le grand verbalisateur qu’on peut voir dans certains entraîneurs, ce n’est pas le gars qui va piquer de grosses colères, explique son premier mentor. Mais il a une façon de voir les choses et de présenter ça à ses joueurs. À l’époque, on pouvait déjà déceler chez lui des grandes qualités de leader. C’était quelqu’un qui était capable d’aller chercher le meilleur de ses joueurs. C’est cliché de dire ça, mais ce qui ne l’est pas, c’est comment il le faisait. Je n’ai jamais vu un gars en dire autant avec son non-verbal! »
Ducharme en a donné un avant-goût à la toute fin de son premier point de presse, quand un confrère lui a demandé d’énumérer les choses qu’il ne tolérait pas comme entraîneur. Le regard, celui auquel font allusion les membres de sa garde rapprochée, a été titillé par la question. « Tout ce qui n’a pas rapport au collectif, ça je ne tolère pas », a lâché Ducharme en fronçant les sourcils.
« Je pense à Martin St-Louis, que j’ai déjà eu comme joueur. Dans le temps, les gens parlaient aussi de Maurice Richard et de ses yeux perçants. C’est un peu ça, compare Jacques Laporte. Des yeux qui te regardent et immédiatement, tu comprends exactement ce qu’il veut dire. Même quand il est fâché, il ne hausse pas le ton plus que ça... mais tu le sais. »
« Il a une façon de faire qui attire l’attention, conclut-il. Et ça marche avec les joueurs de n’importe quel âge, je le vois quand il vient rencontrer les jeunes à mon école de hockey. Il ne passe pas ses messages avec des gros discours et des grands sparages, juste par sa façon d’être. ‘Être’, c’est sa force. Ce n’est pas ‘paraître’ avec lui, c’est ‘être’. C’est dans les valeurs qu’il a reçues. Pour moi, c’est une bonne personne avant d’être un bon coach. »
Un sens de la communication peu commun
Ducharme a gagné un championnat canadien avec les Patriotes, après quoi il a fait le grand saut comme entraîneur-chef. À l’âge de 31 ans, il a pris la barre de l’Action de Joliette, un club de la Ligue de hockey junior AAA dont il s’était porté acquéreur avec son ami Stéphane Desroches et deux hommes d’affaires de la région.
Marc-André Élément, qui dirigent aujourd’hui l’équipe masculine des Stingers de l’Université Concordia, a été l’un de ses premiers joueurs.
« C’est lui qui était venu me chercher dans une transaction. Il m’avait super bien accueilli. C’est tellement une bonne personne, un bon être humain. J’ai appris beaucoup avec lui. Il avait une bonne relation avec ses joueurs et on ne se fera pas de cachette, c’est une méchante bonne tête de hockey. Même si c’était sa première année, il connaissait tellement la game. »
C’est aussi à l’Action de Joliette que Steve Hartley a rencontré l’homme qu’il allait plus tard épauler sur les bancs de la Ligue de hockey junior majeur du Québec pendant cinq saisons. L’actuel pilote des Voltigeurs de Drummondville était un gardien de but dont Ducharme avait fait l’acquisition dans l’espoir de faire un bout de chemin en séries éliminatoires.
« Je me souviendrai toujours, on était en finale contre les Titans du Collège Laflèche. Après avoir mené la série 3-0, on avait perdu le quatrième match sur la route et on s’était fait battre 7-0 à domicile dans le cinquième. J’habitais en pension chez Stéphane Desroches. Dom était débarqué chez lui après le match et il m’avait amené prendre une marche. Ça fait 15 ans de ça, je ne pourrais pas répéter exactement ce qu’il m’a dit, mais ça voulait dire qu’on allait gagner le prochain match, qu’on allait gagner la Coupe et que ça allait être en grande partie grâce à mon jeu. »
Ducharme avait vu juste. Quelques jours plus tard, l’Action remportait le premier de deux championnats consécutifs.
« Je l’ai assez côtoyé depuis pour te dire qu’il trouve toujours les mots justes. C’est noir ou c’est blanc avec lui, il n’y a pas de zone grise, dit Hartley, qui a attendu la fin de la conférence de presse de son ami avant de retourner l’appel de RDS. On l’a vu aujourd’hui : il était en contrôle. Quand il prend une pause, c’est parce qu’il réfléchit. Et quand ça sort, c’est direct. »
« Honnêtement, que ça soit dans le junior ou l’universitaire, des joueurs qui n’ont pas aimé jouer pour lui, je n’en ai pas rencontré, renchérit Jacques Laporte. C’est rare. Parce que même ceux qui avaient des rôles plus effacés, ils comprenaient pourquoi. Dominique prenait le temps de leur expliquer. C’est un communicateur à sa façon. Ce n’est pas un grand verbomoteur, mais à sa façon, il a un sens de la communication peu commun. »
« C’était une étoile montante »
Dans une vieille chronique qu’il a dépoussiérée mardi, le collègue Stéphane Leroux expliquait comment Ducharme, après quatre ans à la tête de l’Action, est monté en grade en décrochant un poste avec le Junior de Montréal dans la LHJMQ. Dans cette organisation dirigée par Pascal Vincent, il a renoué avec ami Éric Raymond, qui commençait quant à lui sa carrière d’entraîneur des gardiens de but.
« Pascal m’avait demandé ce que je pensais de Dominique. Je lui avais répondu que c’était sûr qu’il s’en allait dans le mille avec lui », se souvient Raymond.
Les retrouvailles n’ont duré qu’un an. Raymond est éventuellement parti en Nouvelle-Écosse poursuivre son cheminement chez les Mooseheads de Halifax. L’équipe traversait des années de misère à son arrivée. Dans un intervalle de trois ans, elle avait raté les séries au terme de deux saisons consécutives et allait congédier son entraîneur-chef au début de la troisième. À l’été 2011, le propriétaire Bobby Smith se cherchait un nouveau pilote.
« Il avait reçu le CV d’un gars qui était dans la Ligue nationale l’année précédente. Il m’en avait parlé et je lui avais dit : ‘Ok, mais moi j’en connais un autre. Je sais que ton gars était dans la LNH, ça paraît bien, mais au bout du compte, si après dix matchs ton équipe est en première place, c’est tout aussi vendeur’. »
À la recommandation de Raymond, Smith a donc reçu Dominique Ducharme en entrevue. La rencontre s’est faite dans une chambre d’hôtel. Smith a plus tard confié à son entraîneur des gardiens qu’il savait qu’il avait son homme avant même qu’il ne sorte de la pièce.
« Ce n’était pas une question de vouloir amener mon chum à Halifax. J’étais confiant que c’était la meilleure personne disponible pour cet emploi. Je savais à quel point il était apprécié à Montréal, que Pascal en disait beaucoup de bien comme adjoint. Mais c’était un head coach, c’était une étoile montante et c’était une question de temps avant qu’il ait du succès. À ce moment-là, on pensait surtout au junior, pas encore à la Ligue nationale, mais j’étais confiant que j’amenais un bon coach. »
L’arrivée de Ducharme a eu un effet immédiat sur le rendement des Mooseheads, qui ont atteint le troisième tour des séries éliminatoires. L’année suivante, l’équipe n’a perdu que six matchs de saison en temps réglementaire, a tout balayé sur son passage en séries et a remporté la coupe Memorial.
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Ducharme a passé cinq saisons à Halifax avant de quitter son poste pour accepter ceux d’entraîneur-chef et de directeur général des Voltigeurs de Drummondville. Ses deux saisons dans le Centre-du-Québec ont été interrompues par des mandats avec Équipe Canada junior, avec qui il a remporté une médaille d’or et une d’argent.
« J’ai adoré travailler avec lui, affirme Hartley. Il a l’air calme et réservé, sauf qu’il a une intensité silencieuse. Il veut gagner, il veut faire la différence et il s’attend à la même chose de tout le monde autour de lui. »
Hartley a appris ce que vivait son camarade quand, après s’être fait mettre la puce à l’oreille par tous les messages textes qu’il recevait, il a vu sa photo sur le compte Twitter du Canadien mardi matin. « C’était surréel, mais c’est tellement mérité », se réjouit-il.
À ceux qui craignent que Ducharme, qui n’a que deux saisons d’expérience comme adjoint dans la Ligue nationale, se noiera dans la marmite constamment en ébullition qu’est le marché montréalais, Hartley rappelle qu’il a l’expérience des projecteurs et qu’il n’a jamais figé sous leur chaleur. Il offre en exemple sa fameuse sortie publique avant la demi-finale de 2017 au Mondial junior. Alors que ses joueurs sortaient d’un quart-de-finale peu convaincant contre les Tchèques, Ducharme avait mis la pression sur les Suédois, ses prochains adversaires, en rappelant à la planète entière leurs insuccès bien documentés en ronde des médailles.
« Tu ne fais pas ça si t’es pas confiant en tes moyens. C’est ça, Dom. Tout est réfléchi jusqu’au plus menu détail. C’est pour ça que je n’ai aucune crainte qu’il va avoir du succès à Montréal. »
« Il ne pouvait pas aller ailleurs dans son cheminement, croit Jacques Laporte. Si ça n’avait pas été le Canadien, ça aurait été ailleurs, assurément. Il a toujours fait sa place en ne prenant jamais celle de personne. Ça a donné des bons résultats. Pourquoi ça ne continuerait pas? »